De l'écolier médiéval à "l'étudiant-fille" du XIXe : la fabrique du mot "étudiant(e)"

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De l'écolier médiéval à "l'étudiant-fille" du XIXe : la fabrique du mot "étudiant(e)"

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Pierre tombale d'un universitaire de Bologne. Bas relief d'etudiants suivant un cours. Bas relief de marbre du debut du 14eme siecle.
Pierre tombale d'un universitaire de Bologne. Bas relief d'etudiants suivant un cours. Bas relief de marbre du debut du 14eme siecle.
© AFP - Bologne, museo civico ©Luisa Ricciarini/Leemage

Previously. Alors que l'enseignement supérieur fait la une avec l'examen à l'Assemblée nationale du projet de loi "orientation et réussite des étudiants", retour sur l'histoire de la figure de l'étudiant, qui remonte au Moyen Âge.

Face aux difficultés financières des universités et à l'augmentation régulière du nombre d'étudiants, l'accès aux études supérieures fait désormais débat. Mais quand est né l'étudiant ? "La Fabrique de l'Autre", c'est chaque mois dans La Fabrique de l'Histoire l'analyse d'un mot qui catégorise un groupe de gens, et une plongée dans l'histoire pour comprendre la genèse de ce terme. Retour sur l'histoire de cette dénomination et de cette figure, intimement liée à la création des universités au Moyen Âge, et qui s'est longtemps confondue avec le terme "écolier".

Un terme qui se confond avec "écolier" jusqu'au XVIIIe siècle

Dérivé du latin studere, qui veut dire "apprendre" ou "s'appliquer ", le terme "étudiant" apparaît en ancien français au XIIIe siècle, d'abord comme participe présent avant de devenir substantif. Il renvoie à ceux qui vont à l'école, quelle qu'elle soit. Ce n'est qu'au XVIe siècle que le mot renvoie précisément aux élèves de l'enseignement supérieur, c'est-à-dire des universités.

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Entre la création des universités au XIe siècle en Europe et la fin du XVIIe siècle, le mot "étudiant" est en concurrence avec le terme "écolier", qui signifie à peu près la même chose. Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que les universités elles-mêmes reprennent à leur compte, dans leur communication, le terme "étudiant".

L'étudiant du Moyen Âge reste 20 ans à l'université

L'étudiant de l'époque médiévale a quinze ans quand il intègre l'université. Pour y entrer, il faut qu'il ait étudié d'abord la grammaire latine, sésame indispensable pour accéder à l'institution. L'étudiant y restera pas moins de vingt années, le temps d'évoluer vers la fonction de maître, c'est-à-dire de professeur.

Une longue durée qui s'explique par l'absence de supports d'écriture et de lecture faciles à transporter, ainsi que par l'absence de bibliothèques, obligeant les étudiants à mémoriser tout ce qu'ils vont apprendre. A l'époque, étudier représente un véritable défi. 

Ces vingt années sont jalonnées par des examens qui valident le passage de différents grades : l'étudiant devient bachelier, puis licencié, c'est-à-dire autorisé à enseigner, avant de finir docteur. Il apprend d'abord les arts dits libéraux (rhétorique, mathématique, musique, etc.), avant d'intégrer l'une des trois facultés : médecine, droit (de l'Eglise) ou théologie, la plus renommée. 

Situées en Italie et en France, les universités médiévales les plus influentes attirent des étudiants venus de toute l'Europe, et au sein d'un même pays, de toute région. Le médiéviste Jacques Verger, spécialiste de l'histoire des universités au Moyen Âge, a très bien montré comment cette mobilité étudiante en Europe a existé très tôt, même si elle est le fait de groupes minoritaires. En latin, cela s'appelle la peregrinatio, l'ancêtre de  notre programme Erasmus.  Quant aux origines sociales des étudiants, elles concernent surtout la classe moyenne et non la grande noblesse.

Les études, utilitaristes ou non ?

L'étudiant médiéval est bien loin de celui d'aujourd'hui, mais à regarder de près les débats qui agitent l'université médiévale, on comprend qu'ils ont imprégné l'institution et son image jusqu'à aujourd'hui.

La royauté, les municipalités, les autorités religieuses du Moyen Âge vont de plus en plus attendre de l'université qu'elle forme des lettrés capables de servir l'administration, étatique ou ecclésiastique. D'où une certaine mainmise sur les contenus, et une restriction parfois, de la liberté de l'université. La mission de l’université prend une dimension utilitariste, entre le XIIIe et le XVe siècle : c’est vrai surtout du côté des facultés de droit et de médecine, celle des Arts libéraux devenant le lieu d'une culture générale désintéressée.

La visée intellectuelle pure de l'enseignement n'a donc pas existé en tant que telle au Moyen Âge, un débat quasi-originel qui marque encore notre époque.

L'étudiante médiévale n'existe pas

Autre caractéristique de cette université du Moyen Âge : elle est exclusivement masculine. S'il y a bien sûr des femmes cultivées au Moyen Âge, elles n'ont pas droit de cité à l'université, où les étudiants et maîtres sont tous des hommes, et qui plus est souvent des célibataires. L'étudiante n'existe donc pas à l'université, ni même dans la langue française. 

Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour voir le terme féminisé apparaître, avec un sens surprenant : "l'étudiante" désigne alors la compagne de l'étudiant, un peu comme la bouchère celle du boucher. L'étudiante se confond donc avec la "grisette" du Quartier latin.

L'arrivée de "l'étudiant-fille" à la fin XIXe siècle

Il faut faire un grand bond dans le temps pour voir émerger la véritable figure de l'étudiante, car elle n'apparaît que sous la IIIe République, à la fin du XIXe siècle. En 1861, Julie-Victoire Daubié est la première femme à obtenir le baccalauréat, mais elle n'a pas le droit d'assister aux cours de l'université. Cette interdiction sera progressivement levée dans les décennies suivantes, établissement après établissement.

Côté vocabulaire, il faut relever aussi une étrangeté : ces premières femmes qui intègrent l'université sont appelées, "étudiants-filles". C'est dire si le phénomène a de quoi choquer dans une société où féminité et cerveau sont si souvent opposés.

De fait, l'arrivée des femmes sur les bancs de la fac est souvent qualifiée par les professeurs (plus que par les étudiants) d' "invasion" ou de "révolution". Cette intégration des femmes se fait très progressivement, étant donné le retard dans l'instruction des filles : en 1900, les femmes ne représentent que 3% des effectifs de l'université, et en 1935, à peine un tiers. Quant au mot "étudiante", il ne sera utilisé qu'une fois celui d'étudiant entré dans le vocabulaire institutionnel, ce qui arrive en 1882 pour la Sorbonne à Paris.  

Bibliographie

Jacques Verger, La circulation des étudiants dans l'Europe médiévale, Les Cahiers du Centre de Recherches historiques, 42 / 2008.

Julien Duval, Question de communication, Retour sur l’évolution universitaire en France Question de communication, 23/2013.

Casagrande, Carla, L'université, un monde très masculin !, L'Histoire, vol. 297, no. 4, 2005.

Carole Lécuyer, Une nouvelle figure de la jeune fille sous la IIIe République : l'étudiante, Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 4/ 1996.