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Un Sami affronte l’Etat norvégien pour sauver ses rennes

Le ministère demande à Jovsset Ánte Iversen Sara d’abattre les trois-quarts de son troupeau afin de garantir un développement durable. Sa sœur, artiste plasticienne, l’a soutenu dans son combat.

Par  (Malmö (Suède), correspondante régionale)

Publié le 15 décembre 2017 à 14h51, modifié le 15 décembre 2017 à 14h51

Temps de Lecture 3 min.

Un rideau composé de 400 crânes de rennes  baptisé « Pile o’Sapmi » de l’artiste Maret Anne Sara.

En janvier 2016, il avait gagné son procès en première instance. Un an plus tard, il a récidivé en appel. Les 5 et 6 décembre, le jeune Sami éleveur de rennes, Jovsset Ánte Iversen Sara, 25 ans, père d’une petite fille depuis quelques jours, affrontait cette fois devant la Cour suprême l’Etat norvégien qui veut le forcer à abattre les trois-quarts de son troupeau de trois cents rennes. Pour le soutenir et tenter de mobiliser des Norvégiens peu sensibles à sa cause, sa sœur, l’artiste plasticienne Máret Ánne Sara, a dressé devant le Parlement à Oslo un impressionnant rideau de quatre cents crânes de ces animaux : une œuvre qu’elle considère comme « une action en justice artistique ».

Dans l’histoire de ce jeune éleveur s’opposent le combat identitaire du peuple sami, qui lutte dans le nord du pays pour préserver ses coutumes, et les raideurs technocratiques de l’administration d’Oslo. Quand il a décidé de suivre les traces de son grand-père, en se créant un troupeau, Jovsset Ánte Sara n’avait pas 20 ans, et s’est lancé dans l’aventure avec des aides de l’Etat.

Las, en mars 2013, alors qu’il est parvenu à rassembler cent seize bêtes, le ministère de l’agriculture change de pied et lui demande cette fois d’en abattre quarante et une pour n’en garder que soixante-quinze, sous peine de devoir payer une lourde amende et de perdre toutes les aides auxquelles il a droit. Le décret, signé par le gouvernement conservateur, se fonde sur une loi adoptée par le Parlement en juin 2007, qui visait alors à garantir un écosystème et une réniculture « durables ». En clair, si les animaux sont trop nombreux, les ressources s’épuisent. Et la santé des rennes pâtit du manque de nourriture. Des quotas d’abattage ont été fixés pour tous les éleveurs, sans tenir compte de la taille de leur troupeau.

Jovsset Ánte Sara est devenu « un symbole de la résistance sami contre une décision inique de l’Etat norvégien ».

« Economiquement, c’est impossible de vivre avec soixante-quinze bêtes », remarque l’avocat Trond Biti, qui cite un rapport officiel, datant de 2012, plaçant le minimum viable à deux cents rennes. Il a assuré devant les juges que son client serait « graduellement contraint à la faillite », d’autant plus rapidement que l’Etat lui réclame le versement de 200 000 couronnes (20 000 euros) d’amende. L’avocat estime également que l’abattage obligatoire constitue une violation de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, en empêchant l’éleveur de perpétuer sa culture et son savoir-faire.

Par deux fois, les juges lui ont donné gain de cause. Mais le pouvoir a décidé de ne pas lâcher, traînant l’affaire devant la Cour suprême. Les enjeux sont trop importants, remarque Trond Biti : « Non seulement la décision ferait jurisprudence, mais le gouvernement serait obligé de modifier la loi. » En attendant, Jovsset Ánte Sara est devenu « un symbole de la résistance sami contre une décision inique de l’Etat norvégien », assure Aili Keskitalo, la présidente du Sametinget, le Parlement sami. Elle ne nie pas le problème de la sous-alimentation des rennes. Mais elle y voit aussi un effet de la réduction des terres de pâturages et des changements climatiques. « On nous demande aussi de supporter les effets de l’adaptation au réchauffement climatique, avec la construction d’éoliennes sur nos terres », complète-t-elle.

Devant le tribunal de première instance, l’artiste Máret Ánne Sara avait déjà dressé un tas de cent têtes de rennes. Son projet artistique, baptisé Pile o’Sápmi, s’inspire des O’bones piles, gigantesques empilements de crânes de bisons que les chasseurs blancs réalisaient après avoir massacré les buffles des grandes plaines nord-américaines, affamant les populations indigènes. « Nous faisons face à une nouvelle forme de colonialisme, dénonce-t-elle. Sauf que cette fois ils ne viennent pas avec des armes, mais des lois et des principes démocratiques, où tout est propre, comme lavé à la machine. C’est très difficile de résister, quand tout le système est mobilisé et qu’on nous présente comme des criminels écologiques et incompétents qui détruisent la toundra. » La Cour suprême devrait rendre sa décision avant la fin de l’année.

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