Dérapages à la télé : d'Hanouna à Tex, près de 90 000 plaintes reçues par le CSA en 2017

Si le CSA a trouvé une utilité, c’est bien celle d’être le réceptacle de tous les griefs des téléspectateurs à l’encontre de la télévision. En 2017, le nombre de plaintes déposées a atteint des records. Une évolution de l’institution s’imposera-t-elle en 2018 ?

Par Etienne Labrunie

Publié le 18 décembre 2017 à 08h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h37

Mise à jour du 27 décembre 2017 : comme nous l’avions écrit dans cet article, le CSA a confirmé avoir reçu un nombre record de plaintes en 2017, soit « près de 90 000 saisines cette année », a indiqué l’instance à l’AFP.

Le week-end des 2 et 3 décembre 2017 n'a pas été de tout repos pour le CSA. Le compteur de plaintes envoyées par des téléspectateurs furieux ou agacés s'est soudainement affolé. La cause ? Deux dérapages coup sur coup. Le 30 novembre, l'animateur télé Tex (Les Z'amours, sur France 2) tente sur C8 une « blague » bien épaisse sur les violences conjugales (1). Immédiatement, relayée par les réseaux sociaux, les propos du présentateur font le bad buzz et provoquent une déferlante de plaintes au CSA, à commencer par celle de la secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa.

Tex est contraint de s’excuser, mais le sujet est hautement sensible dans le contexte actuel, et il écope d’une mise à pied avant d’apprendre qu’il ne présentera définitivement plus l’émission dont il était à la tête depuis dix-sept ans. Le 2 décembre, c’est au tour de Joey Starr de se lâcher dans On n'est pas couché. Le chanteur qualifie André Manoukian, son ancien comparse dans le jury de Nouvelle Star (M6) de « grosse tarlouze ». Eclat de rire général sur le plateau. Pas au CSA, où dès le lendemain les plaintes affluent. 

L’instance de régulation est désormais perçue par un nombre croissant de téléspectateurs comme le bureau des plaintes de tous les dérapages vus à la télévision. Fin 2017, il devrait en comptabiliser plus de 88 000 (mise à jour : ce sera finalement près de 90 000), soit une augmentation de 121 % par rapport à 2016 (38 616), et à des années-lumière de celui de 2015 (8 906). Un record fâcheux qui doit beaucoup à Cyril Hanouna et à son émission Touche pas à mon poste (TPMP). Son « sketch » homophobe ayant concentré à lui seul près de 40 000 signalements en mai dernier.

Si certaines émissions focalisent l’essentiel des plaintes, le CSA est aussi devenu le réceptacle de tous les agacements des téléspectateurs concernant les sujets les plus variés : le trop plein de publicité, de séries américaines ou de rediffusions ; le non respect des horaires ; la qualité des programmes ; les problèmes de sous-titrage ou d’audiodescription ; les bandes-annonces violentes… Des critiques reçues très majoritairement via le site de l’instance même si certains irréductibles nostalgiques des PTT, utilisent encore la lettre timbrée à leurs frais. Et même sous cette forme, le succès du CSA ne se dément pas puisque les courriers postaux enregistrent une hausse (2 717 lettres reçues début décembre contre 2 200 l'année passée).

Du côté du CSA, si l’on se félicite qu'une « proximité s'instaure avec les téléspectateurs et les citoyens », il a fallu faire face à ce succès pas si prévisible. « On a été plusieurs fois sous l’eau », concède-t-on à la direction. Pour faire face à cet afflux, l’instance a même dû revoir tout son système informatique et affiner le formulaire de plaintes accessible sur son site. Elle a dû surtout se mettre en position d’accélerer l’instruction des plaintes les plus graves. 

De ce point de vue, l'épisode Hanouna a marqué un tournant. L'ampleur du nombre de plaintes, doublé de la pression publique et médiatique, l’a contrainte à une prise de position et à une réaction rapide. Dans ce cas précis, la sanction, trois millions d'euros d'amende pour C8, est tombée moins de trois semaines plus tard. Une première ! L'émission était, il est vrai, déjà en sursis après deux mises en demeure et plusieurs rappels à l'ordre pour des séquences de harcèlement moral ou sexuel.

L'amende infligée à C8 est cependant loin d'être inédite (ni record). En 1992, le CSA avait « condamné » TF1 à verser 4,6 millions d'euros pour avoir failli à ses obligations de diffusion d'œuvres françaises. L'année passée, le gendarme de l'audiovisuel a également condamné Radio courtoisie à verser 3 % de son chiffre d'affaires (25 000 euros) pour propos discriminatoires et racistes. Au total, en 2017, le CSA aura instruit près de 780 dossiers en assemblée plénière, essentiellement sur le terrain des droits et des libertés. Si la majorité est classée sans suite ou donne lieu à de simples rappels à l'ordre, 91 ont fait l'objet de « procès-verbaux approuvés ».

Longtemps relégué à une image d'institution somnolente constituée de membres recasés par copinage, le Conseil semble enfin avoir gagné en crédibilité. L'explosion du nombre de plaintes reçues traduit sans doute de la part des téléspectateurs une forme de reconnaissance d'utilité publique. Pourtant, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, le CSA dans sa forme actuelle n’en a sans doute plus pour longtemps. Dans le passé, il a échappé à une fusion avec l’Arcep, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, pas sûr qu’elle ne revienne pas rapidement sur le tapis.

Une rumeur qui prend du poids après les récentes critiques d’Emmanuel Macron contre le CSA. Le président de la République a redit récemment devant les députés LRM de la Commission des affaires culturelles qu’il souhaitait enlever au CSA son pouvoir le plus visible : la nomination des président des chaînes et radios publiques. Il a surtout ringardisé l’instance dans un jugement sans nuance : « Il a été pensé, dans sa forme, à une autre époque, qui avait d’autres usages : il faut complètement le réadapter. » Moralité : les téléspectateurs vont peut-être devoir trouver un nouveau bureau des plaintes en 2018.  

(1) « Les gars, vous savez ce qu'on dit à une femme qui a les deux yeux au beurre noir ? On ne lui dit plus rien, on vient déjà de lui expliquer deux fois. »

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