Aller directement au contenu

    Les conditions de vie indignes de la prison pour malades psychiatriques de Château-Thierry

    EN IMAGES - Un rapport accablant, publié cet été par la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, dénonce les conditions de vie indignes des détenus et la vétusté du centre pénitentiaire.

    Le rapport est passé relativement inaperçu cet été. À la fin du mois de juillet, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) a publié un long compte rendu sur le centre pénitentiaire (CP) de Château-Thierry (Aisne). Un premier contrôle avait été effectué en 2009. Une deuxième visite a été menée en deux temps : la première aux mois de mars-avril 2015 et la seconde en août de la même année. Ce sont les observations notées lors des visites de 2015, qui figurent dans le rapport.

    Et le constat est accablant. Selon la CGLPL, les locaux de la prison sont vétustes, les détenus y vivent dans des conditions déplorables, certaines pratiques du personnel sont jugées illégales et contraires à la dignité des patients, des détenus malades mentaux devraient être pris en charge en service de psychiatrie, le personnel est dépassé, etc.

    Les photos présentes dans cet article ont été fournies avec l'aimable autorisation de la CGLPL.

    La prison de Château-Thierry a un statut particulier. Elle a pour spécificité d'accueillir «des personnes détenues considérées comme inadaptées à la détention ordinaire».
    Le centre pénitentiaire a en effet pour objectif «de permettre à une personne détenue de restaurer ses liens sociaux et de se réadapter à la détention ordinaire après un séjour temporaire en son sein». Château-Thierry accueille ainsi des détenus présentant des «troubles du comportement», mais le CP n'est en revanche pas adapté aux détenus «relevant, ni d’une hospitalisation d’office, ni d’une hospitalisation en service médico-psychologique régional», comme le note le rapport.

    La prison de Château-Thierry a été construite en 1850. Elle comprend deux quartiers : le quartier du centre de détention (QCD) et le quartier de la maison centrale (QMC). En mars 2015, on comptait 88 personnes écrouées, dont 3 qui sont des détenus particulièrement signalés (dit «DPS», c'est-à-dire ceux qui sont particulièrement violents ou encore qui présentent des risques d'évasion). Le rapport épingle la structure vieillissante du centre, ainsi que la vétusté des bâtiments et des cellules. Château-Thierry ne respecte pas non plus, selon le rapport, les normes d’habitabilité des cellules : actuellement, elles privent leurs pensionnaires de visibilité sur l'extérieur.

    «Comme en 2009, l’établissement ne comporte pas de quartier des arrivants, de quartier
    d’isolement, de cellules pour les personnes à mobilité réduite, de parloirs aménagés avec des box de séparation et d’installations pour la pratique des activités sportives (terrain extérieur, gymnase…)», épingle la CGLPL.

    La vie en détention semble être difficile pour les détenus. Les contrôleurs ont constaté comme en 2009 lors de la première visite de la prison, qu'il y avait de gros problèmes concernant l'hygiène corporelle de certains détenus et la propreté des cellules. «Plusieurs personnes hébergées présentent un état d’incurie allant de léger à sévère ; celles-ci nécessitent un accompagnement dans leur vie quotidienne», relève le rapport.

    La faute, notamment, à l'absence d'un ancien auxiliaire de vie qui formait les détenus à garder leur cellule propre, et qui ne vient désormais plus. Le centre pénitentiaire possède malgré tout un aide médico-psychologique qui accompagne les personnes plus ou moins dépendantes à se laver, s'habiller et manger. «Malgré la qualité et l’investissement de cette personne, ce dispositif s’avère manifestement insuffisant», regrette la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté.

    Au centre pénitentiaire de Château-Thierry, les contrôleurs ont mené des entretiens en cellule avec certains détenus. Ils ont constaté «que des personnes détenues, en état de dépendance avérée, étaient hébergées dans des cellules entièrement souillées et dégradées, et maintenues dans des conditions d’hygiène déplorables au regard de leur vulnérabilité».

    En cellule, les détenus ne disposent pas d'eau chaude. En plus de cela, la taille de leur pièce, d'une superficie entre 5 et 6 m2, est extrêmement étroite. La hauteur de la fenêtre leur permet difficilement de regarder à l'extérieur. «Par ailleurs, si les cellules sont munies d’une ou deux étagères, elles ne disposent pas de placard et les personnes détenues sont contraintes d’entasser leurs vêtements par terre ou dans des cartons, réduisant encore la surface disponible», note le rapport.

    Plus grave encore, la Contrôleuse rapporte que certains prisonniers, afin de protester contre ces contraintes, «vivent dans des conditions indignes tant leur cellule est sale et sordide». Au centre pénitentiaire, et notamment dans la partie du quartier du centre de détention (QCD), les contrôleurs ont observé la grande infantilisation des personnes hébergées, et dont la moyenne d’âge est de 35 ans :

    «Elles sont autorisées à utiliser la gazinière de la salle d’activité sans inscription mais "ne doivent en aucun cas rester dans la salle durant la cuisson de leur plat". Comme les personnes détenues du QMC, elles n’ont pas le droit de cantiner de café ou du Coca-Cola et doivent prendre leurs médicaments devant l’infirmière : "Même un Doliprane, on ne peut pas le garder en cellule". De fait, les contrôleurs ont constaté l’état de délaissement du QCD.»

    Le CP dispose d'une buanderie, mais les contrôleurs ont constaté que la machine à laver le linge, installée dans une salle au premier étage du centre de détention, ne fonctionnait pas et ne pouvait être utilisée librement par les personnes détenues.

    L’un des autres problèmes mis en avant dans ce rapport concerne l'équipe médicale. Selon la CGLPL, le personnel est en nombre insuffisant puisque un médecin généraliste passe deux fois par semaine, mais ici il s'agit plus particulièrement du personnel psychiatrique qui a du «du mal à fonctionner de
    façon cohérente.»

    Le rapport pointe les difficultés de l'équipe psychiatrique «sans maître à bord et livrée à elle-même» et qui est «dépassée par la pathologie mentale de nombreuses personnes détenues, écrasées par leur traitement, qui auraient sans doute davantage leur place à l’hôpital». Au total, 74 détenus étaient recensés dans la maison centrale (et 14 en centre de détention). Le rapport explique que «85 % des personnes présentes étaient atteintes d’états psychotiques graves et persistants», puis ajoute que si les personnes détenues étaient en liberté, «entre 80 et 90 % d’entre elles relèveraient de l’hôpital psychiatrique».

    Autre fait grave, l'attitude du personnel qui mène un «exercice de la psychiatrie plus coercitif que soignant et contraire à la déontologie». Les contrôleurs disent avoir observé «une pratique illégale et contraire à la dignité des patients», ils pointent du doigt «le recours à la force pour pratiquer des injections, avec l’aide des surveillants pénitentiaires équipés de tenues pare-coups et de boucliers», qui «est chose fréquente». Le rapport rappelle que le code de la santé publique interdit les soins sous contrainte en prison et «en dehors des procédures spécifiques qu’il institue».

    En avril et en juin, respectivement, l'ex-ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas et l'actuelle ministre de la Santé, Agnès Buzyn, ont répondu à ce rapport par des «observations». Selon l'Agence France-presse, l’administration pénitentiaire a assuré «que la prison a engagé une "action volontariste" pour aider les détenus à rester propres et à nettoyer leurs cellules»

    Depuis, un «protocole» a été établi pour les injections forcées d'une personne détenue «en grande agitation et potentiellement dangereuse pour elle-même ou pour autrui » et refusant de prendre un médicament. Elle pourra recevoir une «première injection» en prison, qui devra être «concomitante» à une demande d’hospitalisation, assortie d’une demande de soins psychiatriques du préfet.

    «Pour les injections forcées d'une personne détenue "en grande agitation et potentiellement dangereuse pour elle-même ou pour autrui" et refusant de prendre un médicament pourra recevoir une "première injection" en prison, qui devra être "concomitante" à une demande d’hospitalisation, assortie d’une demande de soins psychiatriques du préfet.»

    Parce que la prison en France est un tabou, un trou médiatique et bien souvent, une honte pour la République, BuzzFeed organise du 11 au 17 décembre une semaine de la prison. >> Retrouvez tous nos articles ici.