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Analyse

Chez Amazon, derrière le client roi, des PME maltraitées

Des poursuites ont été lancées par le ministère de l’Economie contre le géant du commerce en ligne. Celui-ci est accusé de pratiques abusives à l’encontre des commerçants qui vendent leurs produits sur sa «place de marché» hexagonale.
par Christophe Alix
publié le 18 décembre 2017 à 20h56

Il n'y a pas que pour leurs montages fiscaux que les Gafa (1) se retrouvent dans le viseur de la justice. Après la condamnation de Google à une amende de 2,42 milliards d'euros par la Commission de Bruxelles pour abus de position dominante de son propre comparateur de prix sur son moteur de recherche, c'est au tour d'Amazon de se faire assigner par Bercy pour une autre forme d'abus. Le ministère de l'Economie a engagé des poursuites devant le tribunal de commerce de Paris contre le leader mondial du commerce en ligne pour pratiques abusives envers les milliers de commerçants qui vendent leurs biens via sa «place de marché» hexagonale (la plateforme sur laquelle les vendeurs tiers proposent leurs propres produits à la vente). Une assignation pour «déséquilibre significatif dans les relations commerciales avec ses vendeurs», assortie d'une demande d'amende d'environ 10 millions d'euros.

«Nous avons mené une enquête de deux ans sur toutes les places de marché, soit une dizaine», dit Loïc Tanguy, directeur de cabinet de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), confirmant une information du Parisien. «On a considéré que dans les clauses imposées par Amazon aux entreprises qui vendent sur sa place de marché, il y avait un déséquilibre significatif, une pratique prohibée par le code du commerce.»

Pot de terre

Certes, Amazon qui, comme à son habitude, n'a pas souhaité «commenter des procédures judiciaires en cours», n'est pas le seul à avoir imposé des clauses contraires au droit. Mais à la différence des places de marché d'autres poids lourds du secteur, comme Cdiscount (groupe Casino) et Rue du commerce (groupe Carrefour), qui se sont mis en conformité avec les demandes de la DGCCRF, cette dernière «a considéré que les pratiques d'Amazon étaient plus déloyales», poursuit Loïc Tanguy. Des méthodes qui ressemblent beaucoup aux relations existantes entre la grande distribution et ses fournisseurs. Autrement dit, le pot de terre des 10 000 PME françaises présentes sur la «marketplace» d'Amazon face au pot de fer d'un site marchand qui, selon le dernier baromètre Médiamétrie du e-commerce en France, reçoit plus de 24 millions de visiteurs uniques par mois et 3,6 millions par jour.

Quelles sont ces infractions dont Amazon était visiblement au courant depuis plusieurs mois ? La DGCCRF pointe surtout des modifications unilatérales dans les clauses des contrats qui le lient aux vendeurs. Le géant du e-commerce, qui présente volontiers sa place de marché comme «l'équivalent d'une boutique que l'on ouvrirait sur les Champs-Elysées», peut imposer à tout moment et au nom de son obsession du client-roi de nouvelles contraintes à ceux qui ont acquis un «privilège de vente» sur sa plateforme. Des délais de livraison raccourcis à l'obligation de répondre à la demande d'un client sous 24 heures, dimanche compris, en passant par des réponses diligentes à toutes sortes de demandes de vérification, toutes les exigences d'Amazon doivent être honorées sous peine d'exclusion. Temporaire ou définitive, elle est également décidée de manière unilatérale et synonyme pour quantité de PME d'écroulement des ventes, voire de faillite quasi-certaine dans certains cas.

«On s'habitue, on n'a pas le choix, explique un libraire de livres anciens, dont l'activité sur Internet dépend à 80 % de la place de marché d'Amazon. Mais c'est vrai qu'avec la garantie de A à Z, on est sous pression permanente.» Les vendeurs qui peuvent suivre l'évolution de leurs performances grâce à toute une série d'indicateurs (nombre de pages vues, taux de conversion des visiteurs en acheteurs, etc.) ont surtout l'œil rivé sur les notations des clients. Et gare aux évaluations sous la barre des quatre étoiles (sur cinq). «C'est un critère décisif pour bien vendre, poursuit la libraire,et une épée de Damoclès, puisque seuls les avis quatre et cinq étoiles sont considérés comme positifs.» «On est traités comme des enfants avec un système de gratification en bons points, renchérit une vendeuse. L'image qui me vient, c'est celle du saloon. Tu rentres par des portes battantes qui ont l'air très ouvertes mais tu te fais éjecter aussi vite si tu ne réponds pas à leurs critères. Et cela ne sert à rien de se plaindre, il n'y a que des robots pour te répondre.»

Régulation

Les places de marché ont acquis un poids très important, de l'ordre de 20 à 30 % des achats sur Internet, selon Oxatis, un fournisseur de solutions d'e-commerce. Pour Amazon, qui prélève une commission de 8 à 15 % selon le type de biens sur chaque transaction de ses vendeurs, c'est même une vente sur deux. Soit 4 milliards d'euros si l'on s'en tient à l'estimation, basse, de 8 milliards de volume d'affaires annuel de sa filiale française. «Par nature, le rapport de force est déséquilibré entre ces géants du Net et tous ces marchands, d'autant plus lorsqu'ils sont de petite taille. D'où l'importance d'une régulation par l'Etat pour sortir de la loi du plus fort, explique Marc Schillaci, président d'Oxatis. Les vendeurs ont un besoin vital d'Amazon pour vendre mais que représentent quelques PME de moins pour sa plateforme ? Rien ou presque.» A quand un véritable droit des plateformes ?

(1) Acronyme pour Google, Amazon, Facebook, Apple

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