Menu
Libération
Vu de Berlin

L'Allemagne réfléchit à se doter d'un commissaire à l'antisémitisme

Après l'émoi provoqué par les incidents lors des manifestations contre la décision de Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël, l'idée de nommer un commissaire spécifique à ces questions lors de la formation du prochain gouvernement émerge de nouveau.
par Johanna Luyssen, correspondante à Berlin
publié le 19 décembre 2017 à 13h24

Y aura-t-il un commissaire à l'antisémitisme au sein du nouveau gouvernement allemand ? Le ministre fédéral de l'Intérieur Thomas de Maizière a appelé dimanche à nommer une personne à un tel poste, une semaine après l'émoi provoqué par les dérapages antisémites et anti-israéliens lors de manifestations contre la décision de Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël. «L'antisémitisme ne doit jamais reprendre le dessus en Allemagne», a dit Maizière, qui déplorait une hausse en Allemagne de «propos désobligeants, de plaisanteries inappropriées et de comportements discriminatoires à l'encontre de nos citoyens juifs».

Une telle idée n'est pas neuve. Elle émane des Verts et du Conseil central des Juifs d'Allemagne, et le groupe parlementaire de la CDU s'y déclare également favorable. De manière générale, cette idée fait consensus dans la classe politique allemande. Une autre suggestion, plus controversée, a toutefois émergé ces derniers  jours : celle de l'élu CDU Armin Schuster proposant l'expulsion immédiate des étrangers ayant brûlé des drapeaux d'Israël. Une proposition rejetée par principe par tous les partis, du FDP au SPD – mais pas par l'AfD – beaucoup arguant que de toute façon, on ne sait pas si les brûleurs de drapeaux étaient ou non allemands…

La non-repentance au cœur de la rhétorique de l’AfD

Le président Frank-Walter Steinmeier s'est déclaré «choqué et honteux» après ces incidents et déploré que l'antisémitisme montre encore «son visage démoniaque de différentes manières». Il a mis en avant la responsabilité qui incombe à l'Allemagne d'apprendre «les leçons des deux guerres mondiales, les leçons de l'Holocauste, la responsabilité pour la sécurité d'Israël, le rejet de toutes formes de racisme et d'antisémitisme». Il s'agit là de principes «non négociables», que doivent, dit-il, respecter tous ceux qui vivent en Allemagne. Le ministre fédéral de la Justice, Heiko Maas, a lui souhaité que l'histoire de l'Holocauste soit enseignée lors des cours d'instruction civique et d'apprentissage de la langue allemande dispensés aux migrants et aux demandeurs d'asile pour favoriser leur intégration. Il a souligné vendredi sur le site du Spiegel que de nombreux migrants venaient «de pays où de puissantes élites alimentent d'une manière intentionnelle la haine des Juifs et d'Israël, et où l'antisémitisme est pratiqué presque comme allant de soi». Tous les migrants doivent comprendre, dit-il, que «nous combattons l'antisémitisme des néonazis et que nous ne tolérerons pas plus l'antisémitisme importé par les migrants».

Mais l'antisémitisme en Allemagne ne se réduit pas à ces deux cas de figure. Et les néonazis ne représentent pas à eux seuls toute l'extrême droite allemande. Il y a aussi l'AfD. De nombreux politiques de ce parti, surtout au sein de son aile identitaire, sont très ambigus sur le sujet. En outre, au cœur de la rhétorique du parti réside l'idée de la non-repentance, c'est-à-dire l'idée qu'il ne faut pas – qu'il ne faut plus – s'excuser pour les crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Un exemple parmi d'autres : en janvier 2017, l'élu AfD Björn Höcke avait qualifié le mémorial de l'Holocauste à Berlin de «mémorial de la honte» et appelé l'Allemagne à pratiquer «un virage à 180 degrés pour ce qui concerne la mémoire».

Ce genre de propos entretient cette idée de non-repentance, qui, selon un rapport récent sur l'antisémitisme en Allemagne, constitue une forme secondaire (et très populaire) d'antisémitisme. Ainsi, le rapport indique qu'un sentiment de lassitude à l'égard de l'indispensable travail de mémoire est de plus en plus partagé en Allemagne, citant une enquête de 2014 où 55% des personnes interrogées exprimaient leur colère à l'idée que les Allemands soient encore incriminés pour les crimes commis contre les Juifs. Dans la même enquête, 49% des personnes interrogées se disaient «lasses» d'entendre parler du sujet encore et encore. Dans la presse allemande, le président du Conseil central des Juifs d'Allemagne, Josef Schuster, l'a assuré : «En fin de compte, je vois l'antisémitisme d'extrême droite comme étant au moins aussi dangereux, sinon plus dangereux, que celui de l'islam.»

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique