Le jaguar est maintenant braconné pour ses dents et son crâne

En Bolivie, le grand félin est la nouvelle cible des braconniers.

De Rachael Bale
Une mère fait la toilette de ses petits, dans le Pantanal. Les jaguars s’accouplent en toute ...
Une mère fait la toilette de ses petits, dans le Pantanal. Les jaguars s’accouplent en toute saison. La gestation dure une centaine de jours, et la portée compte un à quatre petits. Au bout de deux mois, la mère leur propose des proies blessées – le début de leur formation de chasseur.
PHOTOGRAPHIE DE Steve Winter

Les pluies torrentielles de la nuit ont déjà transformé les eaux verdâtres du río Quendeque en un flot furieux, rouge de boue, et un nouvel orage menace. J’accompagne une patrouille de gardes du parc national Madidi, en Bolivie. Par bonheur, nous avons un bon bateau, couvert d’une épaisse toile, où araignées géantes d’Amazonie et coléoptères irisés semblent vouloir élire domicile.

Le Madidi est une somptuosité de la nature. Sur la moitié de la superficie des Pays-Bas, il abrite plus de 11 % des espèces d’oiseaux connues et 200 espèces de mammifères. Même à la saison des pluies, quand vous vous enfoncez jusqu’à la taille dans la boue et que des nuées d’insectes semblent vouloir vous dévorer vivant, le parc est une féerie.

Des aras rouges font des piqués au-dessus de votre tête, des essaims de papillons chinois tapissent les flaques de leurs ailes bleu vert, et les arbres gigantesques qui vous dominent sont si larges et touffus qu’on ne distingue pas le ciel. Le parc héberge aussi des jaguars, ces mystérieux félins tachetés qui arpentaient naguère les forêts tropicales du sud-ouest des États-Unis à l’Argentine.

Mais l’élevage, l’agriculture et la déforestation illégale ont privé ces félins d’une grande partie de leur territoire forestier. Souvent, ils sont abattus par des gens qui craignent pour leur vie (même si le jaguar s’attaque rarement à l’homme) ou celle de leur bétail (parfois à juste titre).

Aujourd’hui, un nouveau fléau menace le jaguar : le braconnage né d’un commerce illégal. La Bolivie est sans doute le pays où le péril est le plus grand. Les services postaux y ont confisqué des centaines de dents de jaguar expédiées clandestinement en Chine. Deux procès sont en cours contre des Chinois accusés de ce trafic. Dans des villes du nord du pays, des radios diffusent des publicités débitées par des hommes à l’accent chinois et qui proposent aux autochtones d’acheter des dents ou des têtes de jaguar.

Le parc national Madidi, en Bolivie, abrite des centaines de jaguars. Son directeur, Marcos Uzquiano (à gauche), et les gardes constatent l’intérêt croissant des acheteurs chinois pour les dents de jaguar, revendues sur le marché noir dans leur pays.
PHOTOGRAPHIE DE Christian Rodriguez

Chasser le jaguar, en acheter, en vendre, ou même en posséder un morceau est illégal depuis des années en Bolivie, ainsi que son commerce à l’international. Mais l’application de la loi laisse à désirer dans le pays. Or une dent peut valoir entre 85 et 170 euros. « Les gens y voient un moyen de gagner de l’argent, explique Nuno Negrões Soares, un biologiste qui travaille avec une association locale de protection de la nature. Ils savent qu’ils n’auront pas d’ennuis. »

Les Chinois semblent de plus en plus priser le jaguar, car les dents de tigre (portées comme bijoux ou protection contre le mauvais sort) sont de plus en plus difficiles à se procurer. En outre, la Chine investit en Bolivie et y construit des infrastructures. L’afflux de travailleurs chinois accroît les activités clandestines, dont le trafic de jaguars, assure Anaí Holzmann, une Bolivienne qui se bat pour la protection de l’espèce. « Les ouvriers savent qu’ils peuvent se faire un petit supplément en expédiant en Chine des morceaux d’animaux sauvages, explique-t-elle.

Ils ne s’en privent pas, parfois avec l’aide de Boliviens ou d’autres Chinois qui possèdent des restaurants et des boîtes de nuit. » Lors de notre patrouille fluviale, nous tombons sur un homme à bord d’un bateau chargé de bananes. Après les salutations d’usage, Marcos Uzquiano, le directeur du parc Madidi, oriente la discussion sur les jaguars. L’homme raconte que, l’année précédente, « un Chinois » est venu dans son village : « Il cherchait des dents et des têtes. »

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    Le trafic ne se limite pas à la Bolivie. Au Pérou, près de la ville d’Iquitos, des villageois vendent les peaux de jaguars qu’ils ont tués. Tous les ans, disent-ils, un homme travaillant pour une société chinoise de la région leur achète des canines, mais refuse les peaux.
    PHOTOGRAPHIE DE Christian Rodriguez

    Plus tard, Marcos Uzquiano me confie qu’il suspecte le même Chinois d’être celui dont on lui a dit qu’il va de village en village, offrant de l’argent à tout éleveur qui aurait abattu un jaguar, en échange des dents et du crâne. Mais Uzquiano n’a aucune autorité judiciaire à l’extérieur du parc. Les polices locale et nationale, de même que le ministère de l’Environnement, ont ce pouvoir. Les autorités boliviennes affirment qu’il importe de juguler le trafic.

    Mais les efforts sont incohérents et stériles, déplorent les défenseurs de l’environnement, les scientifiques et les fonctionnaires. La biologiste Angela Nuñez a travaillé au sein des services en charge de la biodiversité. « L es efforts du gouvernement sont insuffisants, assène-t-elle. Les intérêts politiques sont privilégiés, et il semble que la priorité aille au maintien des bonnes relations entre la Bolivie et la Chine. »

    En Chine, les dents de jaguar semblent se substituer à celles de tigre, utilisées en colliers (un signe de statut social) ou contre le mauvais sort.
    PHOTOGRAPHIE DE Christian Rodriguez

    Yan Yixing est un citoyen chinois connu localement sous le nom de Javín. En 2014, lors d’une perquisition, la police a trouvé chez lui des dents et des têtes de jaguars. Trois années après son arrestation, il demeure en liberté sous caution. Son procès a été reporté plusieurs fois. Il n’est pas trop tard pour sauver les jaguars de Bolivie, assure Angela Nuñez. Leur nombre oscillerait entre 4 000 et 7 000. Mais leur survie nécessiterait de la part du gouvernement des efforts soutenus et coordonnés pour combattre les trafics. Il faudrait travailler en collaboration avec les entreprises chinoises et mener les procédures judiciaires à leur terme.

    Pour l’heure, cependant, le trafic des dents et de la tête de l’un des animaux les plus emblématiques d’Amérique du Sud reste une activité peu risquée. Et qui rapporte gros. 

     

    Ce reportage a été publié dans le magazine National Geographic de décembre 2017.

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