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ReportageClimat

En Suède, les mines et le changement climatique menacent l’élevage ancestral des rennes

En Laponie suédoise, les Samis voient les terres sur lesquelles ils élèvent leurs rennes grignotées par l’industrie minière et affectées par le changement climatique. Ce peuple autochtone, installé depuis plusieurs millénaires dans la région, lutte pour préserver sa culture.

  • Kiruna (Suède), reportage

À Kiruna, les traces des Samis sont partout, dans les magasins d’artisanat, qui vendent des vêtements traditionnels, comme à l’office du tourisme, qui propose des découvertes « authentiques » de leur culture. L’autre caractéristique de cette cité suédoise située à 145 kilomètres au-delà du cercle polaire est son immense mine de fer, célèbre pour un projet dantesque : le déménagement d’une partie de la ville, menacée par l’extension souterraine de la mine, à trois kilomètres de là. Les Samis d’un côté et la mine de l’autre, une parfaite illustration de deux forces à l’œuvre dans la région.

Les Samis, autrefois appelés « Lapons », sont la seule population indigène d’Europe. Ils seraient aujourd’hui entre 80.000 et 100.000, répartis entre la Norvège (50.000 à 65.000), la Suède (20.000 à 40.000), la Finlande (8.000 à 9.000) et la Russie (2.000). En Suède, les Samis sont reconnus comme une population autochtone et disposent de leur propre parlement, qui n’a pas de pouvoir législatif. Seuls 10 % d’entre eux pratiquent encore aujourd’hui l’élevage de rennes, souvent à côté d’une autre activité professionnelle, mais cette pratique est devenue l’un des symboles de leur culture. Dans le nord du pays, ce mode de vie est menacé par de multiples mines, déjà existantes ou encore en projet.

La mine de Kiruna est l’une des fiertés de l’industrie suédoise 

« Voici la mine, et voilà l’un des quartiers qui doivent être déménagés », explique Niklas Sirén, le maire adjoint de Kiruna, en désignant une grande maquette installée dans le hall de la mairie. L’élu se montre très enthousiaste à propos du déménagement de la commune, à proximité de laquelle se trouvent deux sameby, les entités administratives et géographiques dont font partie les éleveurs en Suède. Il concède que la transformation de la ville va avoir quelques conséquences pour eux, notamment sur les routes de migration des rennes. « Ils vivent autour de la ville et transportent leurs rennes de l’autre côté. Mais ils ont de grands espaces pour déplacer les rennes, donc ils peuvent y arriver. L’élevage va être touché par le déménagement de la ville, mais vraiment très peu. »

La mine de Kiruna est l’une des fiertés de l’industrie suédoise. Créée en 1899, elle est gérée par la compagnie nationale LKAB. Aujourd’hui, deux mille habitants de la ville (sur dix-huit mille) y sont employés, sans compter un grand nombre d’emplois indirects. Au début des années 2000, lorsque des fissures dans les immeubles sont apparues, conséquences de l’extension de la mine, l’entreprise a très vite décidé de déménager, et cela n’a pas rencontré de réelle opposition.

Les bureaux de la société LKAB avec la mine de Kiruna à l’arrière-plan.

Aanna Keinil, étudiante samie, ne conteste pas l’existence de la mine, mais elle s’inquiète de son agrandissement : « La mine a de bons côtés... mais les mines et les rennes ont tous deux besoin de grandes étendues et quand les mines s’agrandissent, les rennes ont moins d’espace. » Si la modification, même légère, des routes de migration des rennes peut sembler dérisoire au vu des enjeux financiers du projet, l’accumulation de ce type de contraintes met selon elle en péril l’élevage : « La mine de Kiruna ne nous touche pas tant que cela, mais ce sont toutes ces petites choses qui rendent tout plus compliqué. »

Ici comme dans le reste de la région, « ce sont plus les infrastructures liées aux mines [que l’activité minière en soi] qui posent problème », confirme Matti Berg, président du sameby de Girjas. Aux mines s’ajoutent les effets des éoliennes et des centrales hydroélectriques, ainsi que les risques d’accident avec les camions et les trains.

Matti Berg, président du « sameby » de Girjas.

« L’élevage de rennes est presque toujours perdant face à l’exploration minérale ou minière » 

À l’été 2013, les éleveurs samis se sont élevés contre le projet de la mine de fer de Kallak, porté par l’entreprise britannique Beowulf. Le 30 novembre dernier, le comté de Norrbotten a rendu un avis négatif au gouvernement suédois sur son ouverture, lui recommandant de ne pas accorder de concession d’exploitation à Beowulf. Jusqu’ici, les autorités s’étaient montrées plutôt favorables au projet.

Avec cette décision, le comté a directement arbitré entre le camp minier et les Samis. « L’élevage de rennes, qui est considéré comme d’intérêt national en Suède, est presque toujours perdant face à l’exploration minérale ou minière, elle aussi considérée comme d’intérêt national. Beaucoup de mines reçoivent le feu vert [des autorités] », analyse Kristina Sehlin MacNeil, postdoctorante au centre de recherche samie de l’université d’Umea. Les Samis ne possèdent pas les terres sur lesquelles ils élèvent leurs rennes, qui appartiennent pour la plupart à l’État.

Des éleveurs de rennes dans le nord de la Suède (comté de Norrbotten).

Les permis d’exploration et d’exploitation sont délivrés par l’Inspectorat minier, qui dépend de la Commission géologique, un organisme public. La Suède est le premier État minier de l’Union européenne, une position qu’elle entend bien renforcer. Dans un document publié en 2013, le ministère de l’Entreprise et de l’Innovation estime d’ailleurs que sa production de minerais, qui s’élevait cette année-là à 70 millions de tonnes par an, devrait passer à 120 millions de tonnes annuelles en 2020.

En Suède, les différentes parties concernées doivent être consultées par les entreprises qui déposent des demandes de permis d’exploration, mais il en va souvent autrement dans la pratique, estime Kristina Sehlin MacNeil, qui a recueilli les témoignages de deux sameby dans le cadre de sa thèse. « Leur expérience est qu’ils ont été conviés à des réunions où on leur donne très peu d’informations, ce n’était pas une consultation, pas quelque chose de mutuel. » Malgré tout, certaines entreprises, à l’image de LKAB, depuis longtemps implantée dans la région, organisent des réunions régulières auxquelles elles convient les sameby voisins. Le ministère de l’Entreprise et de l’Innovation recommande lui-même aux entreprises de mieux informer les Samis.

Un autre ennemi, plus difficile à cerner que l’État suédois ou les compagnies minières : le changement climatique 

Des éleveurs de rennes dans le nord de la Suède (comté de Norrbotten).

Au-delà de ces tentatives de coopération, c’est le système dans son ensemble qui pose problème, d’après la rapporteuse de l’ONU sur les droits des peuples indigènes, qui avançait en 2016 que « bien que les compagnies doivent soumettre une étude d’impact environnemental [...], ce processus cherche seulement à établir les conditions [d’ouverture] d’une mine et n’empêche pas les activités minières si des impacts négatifs sur la culture et les modes de vie samis sont découverts ».

La justice donne parfois raison aux Samis, comme lors du procès historique que Matti Berg a gagné contre l’État suédois en 2016, à l’issue duquel il a obtenu les droits exclusifs de chasse et de pêche sur le territoire de son sameby. Cette décision historique — dont Stockholm a fait appel — a précisément porté sur les droits des Samis en tant que population indigène et c’est ce qui lui donne une telle importance.

Des éleveurs de rennes dans le nord de la Suède (comté de Norrbotten).

Les éleveurs de rennes font aussi face à un autre ennemi, plus difficile à cerner que l’État suédois ou les compagnies minières : le changement climatique. L’Arctique se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète et les Samis voient augmenter le nombre de prédateurs naturels (comme les aigles, les ours et les lynx), tandis que la nourriture est plus difficile à trouver pour les rennes. « Habituellement, il ne neige pas autant à cette période de l’année... Et il fait plus froid, indique Matti Berg en regardant par la fenêtre, derrière laquelle la neige tombe sans discontinuer sur Kiruna. Avant, on savait quoi faire dans les différentes situations, mais aujourd’hui, vous ne pouvez rien prévoir. »

Malgré tout, l’éleveur veut continuer à croire en son mode de vie. « Ce climat, cette nature et les rennes sont ajustés les uns aux autres, alors ça marche, tant que nous avons un équilibre dans la nature... Même si la balance n’est déjà plus du tout équilibrée. »

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