À quel jeu joue le Canada?

Raif Badawi

L’emprisonnement de Raif Badawi est politique. Le règlement de cette affaire sera inévitablement politique. Ce jeune homme a consacré sa vie à défendre les droits humains et la démocratie dans un pays féodal, tribal où règne l’absolutisme religieux.


«Allumer les Lumières en Arabie!», plaide Raif. Dans cette mission qu’il s’est donnée par amour pour les siens et pour son pays, ce courageux n’était pas seul. Tout au long de son engagement, il a pu compter sur quelques compagnons de route ainsi que sur l’appui indéfectible de son épouse, Ensaf Haidar, qui parcourt le monde depuis son emprisonnement en 2012 pour en appeler à sa libération en plus de s’occuper de leurs trois enfants qui vivent avec elle à Sherbrooke.

Se battre en Arabie saoudite pour les amoureux de la liberté c’est presque impossible. Car chaque espace est formaté de façon à casser tout esprit libre: l’État, la famille, l’école, la rue, la mosquée sans compter le matraquage des zozos religieux qui continuent d’imposer leurs sornettes comme des vérités absolues.

C’est donc contre son père que Raif Badawi a mené son combat. Un père qui n’a nullement hésité à dénoncer son fils à la police. 

Aujourd’hui, le gouvernement canadien s’est rangé du côté père. Pire encore, il joue le père contre le fils. Il veut nous faire croire que l’issue de cette terrible histoire dépend du pardon de ce dernier. Quelle indécence! Comble du comble, c’est à Ensaf Haidar que revient la mission d’écrire à son beau-père pour lui suggérer de pardonner à son fils et de faire part de sa décision aux autorités saoudiennes. Le père aurait donc le droit de vie et de mort sur son fils. Autrement dit, si Raif Badawi n’est pas libéré, la faute incombe fatalement à sa femme qui refuse de valider un seul instant cette mascarade des plus machiavéliques. Dites-moi, la prochaine étape sera-t-elle de nous convaincre que Badawi reste emprisonné à cause de sa compagne?

Vous savez qui est à l’origine de cette requête? Nul autre que le secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères, Omar Alghabra, député libéral. Ce natif d’Arabie saoudite d’origine syrienne entretient des relations étroites avec l’ambassadeur d’Arabie saoudite. C’est d’ailleurs à la suite d’une rencontre avec ce dernier qu’il a formulé cette demande à Ensaf Haidar. Si je comprends bien, Omar Alghabra prend ses ordres de la chancellerie saoudienne. Que le secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères du Canada discute avec l’ambassadeur saoudien pour la libération de Badawi est tout à fait souhaitable. Qu’il se plie à ses exigences est un véritable scandale. 

À quel jeu joue le gouvernement du Canada?

Djemila Benhabib, écrivaine

Trois-Rivières