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Facebook, voyage au cœur de la machine à fausses informations

« Le Monde » a repéré près de 3 000 messages diffusant de fausses informations sur le réseau social, qui permettent de mieux comprendre ce phénomène.

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Publié le 19 décembre 2017 à 06h38, modifié le 19 décembre 2017 à 09h37

Temps de Lecture 5 min.

Le réseau social est vulnérable face à des procédés bien huilés.

« Protéger notre communauté est plus important que le fait de maximiser nos profits. » Souvent accusé de traiter avec dédain plusieurs problèmes affectant l’intégrité de sa plate-forme, le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, s’efforce depuis plusieurs semaines de convaincre l’opinion publique du contraire. Par exemple en publiant, le 1er novembre, un long message où il défend les efforts de son entreprise contre « les fausses informations », « les messages haineux » ou encore « le harcèlement ».

Les données accumulées par Le Monde au cours des derniers mois montrent néanmoins que le milliardaire américain et ses équipes ont encore fort à faire en matière de lutte contre les contenus mensongers. Sur Facebook, nous avons recensé 2 865 messages faisant circuler 137 informations erronées différentes, en grande majorité francophones ; ils ont été partagés des millions de fois.

Cet échantillon ne dévoile qu’un fragment du phénomène, mais il montre à quel point le réseau social est vulnérable face à des procédés bien huilés.

Des messages partagés des millions de fois

Impossible de savoir combien de personnes ont pu être exposées aux 2 865 posts que nous avons identifiés. Il est toutefois possible de connaître le nombre de fois qu’un message à été partagé, grâce aux données de la plate-forme. Au moment de notre relevé, début décembre, 39 % de ces messages (1 128 précisément) n’étaient pas accessibles, principalement parce qu’ils ont été supprimés par Facebook ou par leur auteur depuis le moment où nous les avions repérés.

Les 1 737 publications encore en ligne ont, quant à elles, été partagées plus de 1,6 million de fois, ce qui représente près de 1 000 partages par publication. Un chiffre significatif puisque chaque partage peut exposer au moins des dizaines d’internautes à une publication. Les quatre fausses informations les plus populaires de cet échantillon ont été relayées plus de 100 000 fois à partir de ces seules publications sur Facebook, un niveau d’audience que peu d’articles de médias traditionnels en ligne arrivent à atteindre.

Les 10 fausses informations les plus partagées par des grosses pages Facebook

Au sein d'un échantillon de 2 865 liens faisant circuler de fausses informations sur Facebook identifiés par Les Décodeurs.

Situations très variées

Autre signe de l’ampleur du phénomène : les 1 198 pages présentes dans notre base de données totalisent environ 493 millions de « likes » sur Facebook (une même personne pouvant être abonnée à plusieurs pages) ; environ 7 % d’entre elles comptent plus d’un million de « fans » et 60 % en ont plus de 100 000 ; 18 % d’entre elles étaient par ailleurs inaccessibles début décembre, parce qu’elles ont été suspendues ou clôturée (du fait de Facebook ou de leur administrateur).

La grande majorité de ces pages Facebook ont plus de 100 000 fans

Au sein d'un échantillon de 1 198 pages faisant circuler de fausses informations identifiées par Les Décodeurs.

Derrière ce portrait général, on trouve des situations très variées. Ainsi, l’écrasante majorité des pages n’ont fait circuler qu’une (76 %) ou deux (13 %) des 166 fausses informations différentes que nous avons identifiées. Notre analyse s’est concentrée sur les plus trompeuses, celles qui ont fait circuler trois (4 %), quatre (2 %), voire cinq intox et plus (4 %) ; bien qu’elles représentent 10 % de l’ensemble, elles sont responsables de près de la moitié (43 %) des messages recensés.

Une minorité de pages Facebook partage plusieurs intox

Au sein d'un échantillon de 1 198 pages faisant circuler de fausses informations identifiées par Les Décodeurs.

Malgré leur caractère trompeur, ces pages n’ont en général pas moins d’abonnés que les autres : les 122 pages (sur 134) encore accessibles totalisent ainsi 47,5 millions de fans, un chiffre conforme à la place qu’elles occupent dans notre base de données. La plus suivie d’entre elles, intitulée « Sais-tu que ? », totalise ainsi 10,8 millions d’abonnés, alors qu’elle publie parfois de fausses informations grossières.

Parmi les dix pages qui ont fait circuler le plus de fausses informations, seulement une dispose d’une audience confidentielle : la page d’extrême droite Résistance et Unité PACA (1 500 abonnés seulement).

Les 10 pages Facebook qui publient le plus de fausses informations différentes

Au sein d'un échantillon de 1 198 pages faisant circuler de fausses informations identifiées par Les Décodeurs.

« Info alternative » et « pièges à clics »

L’analyse de ces données fait par ailleurs apparaître deux grands types de relais de fausses informations, avec des motivations souvent bien différentes. D’un côté, on trouve des pages Facebook liées à des sites qui revendiquent faire de « l’information alternative » comme Lagauchematuer.fr, Sante-nutrition.org ou Wikistrike.com.

Ces sources ont principalement fait circuler des fausses informations sur des éléments liés à l’actualité (l’existence d’un prétendu « don du sang halal », la fiscalité, la vaccination ou encore des théories conspirationnistes sur des attentats). Leurs principales motivations sont d’ordre idéologique.

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De l’autre, on trouve des pages Facebook adossées à des sites sensationnalistes, comme Momentbuzz.com, Astucerie.net ou encore Buzz4net.com. Elles diffusent des fausses informations de manière industrielle : la page Meilleures plats et astuces (sic) a ainsi, à elle seule, diffusé soixante messages reprenant neuf fausses informations différentes. Le même article mensonger du site Topastuces.net, par exemple, y a été publié neuf fois, entre septembre et mars 2016.

Ici, aucune prétention à faire de l’actualité : ces pages Facebook peu scrupuleuses visent majoritairement à générer le maximum de clics, qui permettent d’obtenir des revenus publicitaires. Peu importe que l’info soit vraie ou fausse, l’utilisation d’un réseau de pages Facebook qui comptent chacune des centaines de milliers d’abonnés garantit sa diffusion.

Il ressort clairement de nos données que les articles les plus grossiers sont souvent ceux qui ont généré le plus de publications sur Facebook. Nous avons ainsi retrouvé pas moins de 232 occurrences d’une rumeur partie d’un canular selon laquelle une femme aurait développé son quotient intellectuel en « buvant du sperme tous les jours pendant un an », reprise sur des dizaines de pages différentes et présentée au premier degré au milieu de vraies informations. A lui seul, un article du site Topibuzz.com reprenant la rumeur a ainsi généré plus de 160 000 clics grâce à ses partages sur Facebook.

Comme dans ce cas, la majorité des rumeurs les plus diffusées sont les moins élaborées, ce qui illustre bien le caractère industriel du phénomène :

Les rumeurs les plus diffusées sont souvent les plus grossières

Au sein d'un échantillon de 2 865 liens faisant circuler de fausses informations identifiées par Les Décodeurs.
Source : Les Décodeurs

Une « mal-information » plus vaste que les fausses infos

A première vue, ces exemples pourraient prêter à sourire. Sauf qu’ils dessinent en creux un portrait peu flatteur de la circulation de l’information sur un réseau social comme Facebook. Si des affirmations grossières peuvent circuler aussi massivement, c’est en grande partie car elles ne sont pas questionnées.

Dans bien des cas listés dans notre base de données, il est possible pour tout internaute de démentir lui-même l’information en remontant à sa source ou en faisant quelques rapides recherches en ligne. Par exemple pour les histoires tirées de sites parodiques, puis reprises au premier degré par des sites peu fiables – à ce titre, la prétendue histoire d’une femme qui aurait donner naissance à « un bébé de 20 kilos » est un cas d’école. Pendant la présidentielle américaine, l’histoire purement fictive du « soutien du pape François à Donald Trump » avait suivi le même circuit, piégeant au passage des millions d’internautes.

En pratique, les articles qui circulent sur Facebook sont souvent partagés sans être lus, ou alors brièvement, et les centaines de pages sensationnalistes se sont fait une spécialité d’exploiter cet angle mort. Dès lors, le problème dépasse le cadre des intox stricto sensu. Les quelques contenus mensongers que nous avons recensés cachent en effet des dizaines d’autres publications problématiques sur toutes ces pages trompeuses (informations déformées, titres chocs, vieilles informations présentées comme des actualités, etc.).

Si des messages très peu élaborés peuvent rencontrer un large public de manière mécanique, cela signifie que la porte est ouverte pour des initiatives de propagande beaucoup plus structurées.

NB : Le Monde fait partie des médias partenaires de Facebook pour vérifier des informations considérées comme fausses par ses utilisateurs.

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