L’invité - Pierre Rabhi, agro-écologiste, essayiste « L’écologie doit être une conscience, pas un parti »

Pierre Rabhi, défenseur de l’environnement, auteur du best-seller Vers la sobriété heureuse (Actes Sud, 2010), appelle à changer nos comportements pour être plus respectueux des autres et de la terre.
Propos recueillis par Élodie BÉCU - 24 déc. 2017 à 05:00 - Temps de lecture :
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Pierre Rabhi : « Nous sommes face à une immense défaillance de l’intelligence ».  Franck Bessiere
Pierre Rabhi : « Nous sommes face à une immense défaillance de l’intelligence ». Franck Bessiere

Vous portez le message du respect de la nature depuis des décennies. Êtes-vous lassé de prêcher dans le désert ou optimiste sur les progrès de l’écologie dans l’opinion ?

Nous sommes face à des problématiques d’une immense importance mais dont l’opinion n’a pas saisi toute la mesure. Mon objectif est d’éveiller les consciences sur des sujets comme la faim dans le monde, les semences ou la finance (*).

Nous sommes face à une immense défaillance de l’intelligence. L’écologie concerne tout le monde, qu’on soit tête couronnée ou balayeur. Nous n’avons pas compris qu’il s’agit d’un immense privilège de vivre sur notre planète. Il faut prendre soin de la terre alors que certains la voient comme une ressource à exploiter sans cesse.

Mais les choses ont aussi beaucoup changé. Avec le chômage, la crise, la société telle qu’elle avait été organisée, autour de la croissance et de la prospérité, est confrontée à ses limites. Beaucoup de jeunes se posent la question du sens de leur existence. Ils portent une exigence sur la valeur et le sens de la vie. Nous observons de nombreuses initiatives positives portées par des individus souhaitant avoir une activité qui amène un supplément d’âme.

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L’agriculture moderne est à l’origine de la famine

Comment faire pour que ce mouvement, qui reste marginal, puisse faire évoluer le reste de la société ?

L’écologie doit être une conscience et pas un parti. Pour cela, il faut éduquer les enfants dès leur plus jeune âge au respect de la planète. Alors ils auront conscience que l’écologie est incontournable si nous voulons survivre.

Mes projets cherchent à faire renaître le modèle paysan, disparu au détriment de l’exploitant agricole. Avec Michèle, ma compagne, quand nous avons fait notre retour à la terre en 1961, je suis passé par une phase initiatique. Comme je voulais faire de l’agriculture, il me fallait apprendre sur le terrain. Cette expérience a été pour moi la grande désillusion, le grand éveil. J’ai découvert l’agriculture qui utilisait des engrais chimiques, des désherbants, des pesticides et la mécanisation outrancière pour les superficies qui grandissaient, détruisant les haies et leur biotope. J’ai refusé ce modèle qui, au final, rend même la nourriture toxique.

Pourtant le modèle actuel permet de nourrir la planète.

L’agriculture moderne est à l’origine de la famine. Elle a désorganisé dans les pays en développement le travail des paysans traditionnels qui savaient cultiver leurs terres ! On les a connectés à la loi du marché, avec la culture de rente.

Nous ne faisons pas que du discours. Quand ma femme et moi nous sommes installés à Montchamp, où nous vivons depuis 50 ans et où nous avons élevé nos cinq enfants, nous étions dans un lieu dont personne ne pensait qu’il serait productif. Mais nous ne voulions pas devenir des exploitants agricoles cultivant des hectares et des hectares. Nous avons compris qu’il s’agissait d’un piège.

Les gens ne comprenaient pas cette démarche, notre installation dans un lieu où la terre était rocailleuse, isolé de tout. Je voulais vivre de ma production, dans un endroit où je serais en contact avec la beauté de la nature.

Pour subvenir aux besoins alimentaires de la planète en la respectant, faudrait-il qu’on soit tous producteurs ?

Non. Il y a des équilibres à trouver entre l’urbain et le rural. Nous avons apporté la preuve que l’agro-écologie fonctionne : nous l’avons prouvé chez nous mais aussi dans le tiers-monde, avec ce que nous avons fait à Gorom Gorom, au Burkina Faso, dans les années 1980.

Vous lancez un projet similaire en Mauritanie ?

Oui. Dans le tiers-monde, j’ai beaucoup utilisé l’agro-écologie comme moyen de lutter contre la faim. Il ne s’agit pas que d’agriculture, cela implique la gestion du milieu : le reboisement des espaces dénudés, la lutte contre l’érosion des sols…

À Gorom Gorom, nous avions créé un lieu dédié à la formation des paysans. Chaque village se cotisait pour envoyer un délégué, que nous formions, et qui allait développer l’agro-écologie dans sa communauté. C’est ainsi que nous avons essaimé de manière très large. En Mauritanie nous allons faire la même chose : mobiliser l’énergie humaine !

Les politiques, dites-vous, n’ont pas conscience des enjeux écologiques. Comment jugez-vous l’action de votre ami devenu ministre, Nicolas Hulot ?

La décision de rejoindre le gouvernement lui appartenait. Je ne sais pas ce qu’il peut faire. Il a au moins eu le mérite de s’engager là-dedans pour tenter de bouger les lignes. Mais il ne faut pas être dupe. Peu de choses peuvent avancer au niveau des grandes décisions politiques. Je ne crois pas à la COP21 ni aux autres négociations internationales. Les politiques sont confrontés à un système pétrifié. Les décisions qui devraient être prises remettent en question presque la moitié du fonctionnement de notre société polluante !

On ne va pas créer le paradis en mangeant bio

Si les grandes décisions ne peuvent pas changer les choses, quelles bonnes résolutions prendre à titre individuel ?

Rien ne changera si les individus ne changent pas. Vous pouvez manger bio, recycler votre eau, vous chauffer à l’énergie solaire et… exploiter votre voisin. L’être humain est capable de tout pervertir. Changer les comportements ne suffit pas, notre nature doit changer pour être davantage à l’écoute de l’autre.

On ne va pas créer le paradis parce qu’on va manger bio ! La nourriture bio est en train de devenir objet de rémunération. Quand on tombe dans la loi du marché, c’est foutu. Il faut abandonner nos jalousies, nos conflits, nos problèmes. Je reste fidèle au message du Christ – sans être affilié à aucune institution religieuse : il n’y a que l’amour qui peut changer le monde. Je crois en la bienveillance. Je prône la puissance de la modération, la sobriété heureuse, à l’inverse du système actuel qui produit un être humain insatiable. La simplicité m’a libéré. Aujourd’hui, quand je suis dans ma maison, je trouve que j’ai trop.

Cette simplicité vous a conduit à un statut de rock star : n’est-ce pas un peu paradoxal ?

Pierre Rabhi, c’est 51 kilos tout mouillé ! En revanche, mon engagement me donne l’énergie nécessaire car l’enjeu est tellement énorme. Quel avenir pour les enfants qui viennent au monde ? Je ne peux pas être insensible à la nature démolie, à la disparition annoncée des baleines et des éléphants. Mais je ne peux être seul à faire changer les choses. C’est ainsi qu’est né le mouvement Colibris, pour que chacun puisse faire sa part. Si on ne fait que déplorer, rien ne changera.

(*) Il vient de publier L’enfant du désert chez Plume de carotte et Les excès de la finance ou l’art de la prédation légalisée (co-écrit avec Juliette Duquesne) aux Presses du Châtelet.

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