Prison de Fleury-Mérogis : comment sont évalués les détenus radicalisés

Avant d'être acheminés vers des centres de détention où ils purgent leurs peines, les détenus condamnés pour terrorisme islamique transitent par un centre chargé de les évaluer pendant quatre mois.

Depuis un an, c’est dans le centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis 
(Essonne) que les détenus incarcérés pour terrorisme islamiste sont 
évalués.
Depuis un an, c’est dans le centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis
(Essonne) que les détenus incarcérés pour terrorisme islamiste sont
évalués. AFP/PHILIPPE LOPEZ

    Elle est la directrice du quartier d'évaluation de la radicalisation (QER) de Fleury-Mérogis. L'un des trois scanners avec ceux d'Osny (Val d'Oise) et Fresnes (Val-de-Marne) par lequel vont passer tous les détenus radicalisés ou condamnés pour terrorisme, avant d'être dirigés ensuite vers les centres pénitentiaires de France. Et, tout en préservant son anonymat, elle est le premier personnel pénitentiaire à travailler en lien avec les djihadistes à accepter de lever le voile sur cette délicate mission qui a débuté voici près d'un an.

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    «Nous terminons notre deuxième session, glisse la directrice qui compte plus de 20 ans d'ancienneté dans le métier, malgré son visage d'adolescente. Nous apprenons tous les jours et notre expérience s'améliore constamment. » Ces périodes d'observation-évaluation de la dangerosité des pensionnaires durent quatre mois. A Fleury, 20 places sont disponibles, dans des cellules individuelles et une aile spécifique. «Tout le travail est justement basé sur l'individualisation, raconte-t-elle. Quand ils parlent d'eux, les radicalisés disent «nous », ils parlent de groupe. On doit les ramener au «je », à l'humain. Et quand on y arrive, ils deviennent complètement différents. »

    Face à ce public dissimulateur, manipulateur ou séducteur, 15 agents, des éducateurs, des psychologues, des membres du service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip), un responsable religieux se succèdent au quotidien pour des ateliers, ou des entretiens individuels. «En comparaison, il y a seulement 150 agents pour 800 détenus sur le reste du bâtiment », précise la directrice du QER. Et quasi aucun psychologue disponible dans les autres tripales de Fleury.

    «Il y a très peu de barbus»

    «Tous les 15 jours, entre professionnels, on tient une réunion où on confronte nos avis sur chaque détenu, relate-t-elle. La plupart ont une vingtaine d'années, mais ce ne sont pas les plus dangereux, ce sont en revanche les plus vulnérables et certains ont vécu une désillusion en Syrie. Tandis que ceux qui ont entre 30 et 40 ans ont une idéologie plus enkystée. » Et le motif de la peine pour laquelle ils sont écroués ne représente absolument pas leur degré de dangerosité.

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    «Il y a très peu de barbus, certains ne sont jamais sortis de leur cité à part pour aller en prison, et la plupart ont été endoctrinés sur Internet, ils ont trouvé des gens qui les ont valorisé, décrypte la directrice du QER. Contrairement aux idées reçues, ce sont des gens très élaborés, qui parlent bien. Certains ont réalisé des études supérieures. » D'ailleurs, lors des cours, la philosophie est particulièrement prisée de ces détenus qui n'ont pas le droit de porter une djellaba ailleurs que dans leur cellule, sous peine de sanctions.

    « Ils ont besoin d'avoir des gens très pointus face à eux, confie-t-elle. On a un imam à disposition. » La directrice a aussi été surprise par leur comportement. «Ils parlent beaucoup, ont besoin de s'ouvrir, de se livrer, assure-t-elle. Certains sentent qu'ils sont des funambules qui peuvent basculer et être définitivement perdus, ils sont inquiets pour leur avenir. »

    «Ne jamais croire qu'on les connaît»

    En profitant de leur amour pour leur famille, le personnel pénitentiaire arrive parfois à les «rééquilibrer» un peu. «L'expérience est probante, je n'ai moi-même, plus du tout le même regard par rapport à ces détenus terroristes islamistes, reconnaît la directrice. Certains nous disent qu'ils se sentent enfin compris.» Lorsqu'à la fin des quatre mois, la directrice résume au détenu la synthèse de 25 pages qu'elle va transmettre au futur centre de détention, «il y en a qui pleurent, d'autres sont reconnaissants. »

    Mais la directrice sait rester prudente : «Le quotidien est plus apaisé qu'ailleurs, mais on sait que ce sont des personnes qui ont un rapport à la mort complètement différent, il ne faut jamais croire qu'on les connaît et je dis à mes équipes de ne jamais laisser s'installer la routine. »Et quelques pensionnaires ne collaborent pas. Deux ont été placés à l'isolement à l'issue de la première session. Sur la deuxième, un détenu terroriste qui possède la double nationalité a sollicité une déchéance nationalité.

    «Mais pour d'autres, ce sont des erreurs de parcours, estime la directrice. C'est en prison que la première pierre pour tenter de les désengager est posée. Nous n'allons pas trop loin non plus, car certains ont des traumatismes liés aux crimes de guerre ou à leur passé familial. Ce sera le travail des psychologues et de leurs éducateurs ensuite durant le reste de leur détention. »