L'autre Levinas

Emmanuel Levinas ©Getty - Ulf Andersen
Emmanuel Levinas ©Getty - Ulf Andersen
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Comment découvrir et lire cette philosophie de l’altérité et profondément autre de Levinas ?

J’ai un problème : à chaque fois que je lis du Emmanuel Levinas, j’ai toujours l’impression de passer à côté de quelque chose et de quelqu’un, à côté d’une grande pensée qui a marqué très fort l’histoire de la philosophie et d’un sacré philosophe. 

Bien sûr, on ne saisit pas vraiment, jamais même, une pensée totalement, quelque chose résiste toujours. Mais, il faut le dire, certains philosophes nous parlent plus que d’autres, quand d’autres, justement, ne nous parlent pas du tout… et puis, il y a ceux, comme Levinas pour moi (sûrement d’autres pour vous) où vous sentez que ça vous parle, que ça pourrait prendre, mais la finalité de la thèse, l’assise conceptuelle, la voix même du philosophe vous échappent…

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Dans ces cas-là, tout n’est pas perdu, et le mieux est de rencontrer quelqu’un qui vous fait partager et entendre, dans tous les sens du terme, ce qui peut se jouer de génial avec une telle pensée. Plusieurs éditions font ainsi le pari de donner envie de lire un auteur en passant par le goût qu’en a un autre : ce sont le cas de certaines préfaces ou introductions qui se présentent comme des éloges subjectifs ou des souvenirs personnels, c’est le cas aussi de la collection, aux PUF, « Une histoire personnelle de la philosophie » (le dernier de Michaël Foessel se penche ainsi sur « l’avenir de la liberté de Rousseau à Hegel), et c’est le cas de la collection, chez Ellipses, « Aimer les philosophes ». 

Et voilà que j’en reviens, avec cette collection, à Levinas, puisque est paru, sous la plume de Robert Legros, un essai intitulé « Levinas, une philosophie de l’altérité »

Ce qu’il y a de paradoxal, ou de profondément cohérent, avec Levinas, c’est que c’est à la fois le grand philosophe de l’altérité et celui qui apparaît comme « le plus autre » dans le paysage philosophique : pour preuve, tout ce qui le distingue des autres philosophes (Husserl, Sartre, Arendt), mais aussi son approfondissement de l’altérité par des angles inattendus, ou du moins, peu travaillés (le visage, la caresse, la nudité), ou le fait de dire, comme on l’a entendu, qu’on est responsable pour autrui, idée peu intuitive… 

A cela, j’ajouterais un autre paradoxe, ou encore une grande cohérence : Levinas, c’est, également, à la fois le grand philosophe de l’altérité et celui qui ne tente pas pour autant de le rendre compréhensible. Je m’explique : si l’altérité est en effet son grand concept, si toute son œuvre tourne autour de son élucidation, pour autant, il ne l’explique pas en le ramenant à nous, à du semblable, à du même, à ce que l’on connaît. 

Non, comme Robert Legros le dit dans cet ouvrage, une « pensée de l’Autre » est une suspension de son attitude naturelle, penser l’autre, c’est se soustraire à soi et à tout contexte culturel ou historique. A cela, Levinas ajoute ceci : quand je rencontre autrui, c’est d’abord son visage qui m’apparaît, et ce visage est animé d’une signification qui échappe à toute conceptualisation. Allez comprendre comment comprendre l’autre sans concept, sans repères, ni intuition ? 

Si le mieux est de passer alors par quelqu’un qui aime un philosophe pour nous le faire comprendre, le mieux est aussi de passer par ces angles inattendus, mais si proches de nous : la caresse, l’amour, la nudité. Et ici, la pensée de Levinas est un cadeau, comme une chanson de Juliette Gréco qui demande à être déshabillée : il nous chante cette nudité qui échappe à toute forme, la caresse qui ne cherche jamais à posséder, il nous chante cet autre qui ne se réduit jamais à un sens prédéfini, et ne se ramène jamais à « moi », mais toujours et encore à cet « autre ». 

Faisons de même avec Levinas, chantons son altérité et accueillons-le comme un autre. 

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