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Trois ans après les attentats, l’esprit "Charlie" s’érode
Le 11 janvier 2015, 4 millions de personnes se sont réunies en se disant "Charlie".

Trois ans après les attentats, l’esprit "Charlie" s’érode

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Trois ans après les terribles attentats de janvier 2015, être Charlie c’est avant tout défendre la liberté d’expression, selon un sondage Ifop qui révèle également une donnée inquiétante : les anti-Charlie, toujours minoritaires, sont de plus en plus nombreux. Et ils pensent majoritairement que l'hebdomadaire endeuillé "va trop loin".

Les Français sont encore et toujours Charlie. 61% des personnes interrogées, soit une très large majorité, se rangent toujours derrière cette bannière selon un sondage Ifop que nous avons pu consulter en avant-première. Ce dernier sera dévoilé samedi 6 janvier à l’occasion de l’événement Toujours Charlie, organisé aux Folies Bergères à Paris. Sauf qu’en janvier 2016, les Charlie représentaient … 71 % des Français interrogés lors d’une étude similaire, soit 10 points de plus.

« Mais nous étions encore sous le coup des attentats du Bataclan », modère Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’IFOP qui rappelle que depuis les événements dramatiques de début 2015, la sécurité et le terrorisme sont passés au premier rang des préoccupations des Français, devant le chômage et plus globalement la situation économique, « ce qui n’était jamais arrivé. »

Sans surprise, remarque-t-il, la France qui se sent toujours Charlie est la France qui va bien, la France du « oui » à l’Europe, celle des cadres, des habitants de l’agglomération parisienne ou des communes urbaines de province.

Les moins Charlie d’entre nous se recrutent chez les jeunes, dans les catégories populaires et parmi les habitants des communes rurales. « A titre d’exemple, entre janvier 2016 et décembre 2017, l’esprit Charlie a reculé de 15 points chez les moins de 35 ans et de 26 points chez les ouvriers », note encore le sondeur.

"Charlie" penche à gauche

La question a la particularité de ressusciter un clivage politique droite-gauche. Verdict ? L’esprit Charlie penche nettement à gauche. En 23 mois, il a perdu près de 9 points chez les sympathisants Les Républicains, et 13 points chez les sympathisants Front national, même s’il reste là aussi majoritaire. Les plus Charlie sont aujourd’hui, dans l’ordre; les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, Benoit Hamon et Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle. Les moins Charlie sont ceux qui ont choisi de voter Nicolas Dupont-Aignan, François Fillon ou Marine Le Pen.

Trois ans après l’attaque contre les locaux de l’hebdomadaire satirique et le froid assassinat de huit des collaborateurs du journal, ce n’est pas le traumatisme, ni la volonté commémorative qui forgent avant tout l’esprit Charlie même si 22% des pro-Charlie se disent encore marqués émotionnellement par le drame. En janvier 2018, être Charlie est plus que jamais un combat. Cela signifie avant tout (à 46%) défendre la liberté d’expression. 17% des pro-Charlie mettent, eux, en avant la liberté de critiquer les religions et leurs représentants. Tandis que la priorité, pour 15% des Charlie est de revendiquer le droit à la caricature à travers des dessins comme un aspect essentiel de la liberté de la presse.

"Charlie va trop loin"

La partie la plus préoccupante de ce sondage réside dans l’analyse des questionnaires des anti-Charlie. Seuls 39 % d’entre-eux ont opté pour ce que Frédéric Dabi appelle « la réponse refuge », c’est-à-dire plaider l’oubli ; reconnaître leur distance en expliquant tout simplement qu’ils ne sont plus marqués, trois ans plus tard, par les attentats de janvier 2015. 38 % d’entre-eux assument en revanche de répondre qu’à travers ses caricatures « Charlie va trop loin » et 19 % que « la liberté de caricaturer les religions doit s’arrêter au blasphème », quand 4 % estiment pour leur part que « Charlie Hebdo est un journal islamophobe. »

Aujourd’hui, plus de la moitié des anti-Charlie n’hésitent donc pas à remettre en cause le positionnement et le rôle dans le débat public de cet hebdomadaire qui survit sous lourde surveillance policière et dont les journalistes sont toujours menacés de mort. Glaçant.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne