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Et si le bitcoin remplaçait le franc CFA ?

La monnaie virtuelle peut apparaître comme une solution aux limites du système financier en vigueur dans l’ouest du continent. Pas si simple, décryptent le professeur d’économie Jérôme Mathis et le doctorant Daniel Ouedraogo.

Publié le 05 janvier 2018 à 16h05, modifié le 30 juillet 2019 à 12h30 Temps de Lecture 4 min.

Dans un contexte de faible bancarisation et de pénétration accrue de la téléphonie mobile en Afrique subsaharienne, le nombre d’utilisateurs de services bancaires mobiles gagne en importance. Cette tendance ouvre la voie aux cryptomonnaies, notamment de la plus populaire d’entre elles : le bitcoin. Certains observateurs suggèrent qu’il remplace la devise nationale, comme le naira au Nigeria. Un tel scénario est-il souhaitable pour la zone CFA dont la monnaie est sous le feu des critiques ?

Plusieurs raisons expliquent l’engouement actuel du continent africain pour le bitcoin. Les téléphones portables, avec leur lot d’applications mobiles, constituent en certains endroits d’Afrique subsaharienne une alternative à la carence d’infrastructures physiques de services bancaires de proximité (guichets et distributeurs automatiques). Grâce à cette dématérialisation, il n’a, par exemple, jamais été aussi simple pour un citadin de transférer de l’argent à des proches situés en zone rurale. Le service bancaire mobile rend effective la dématérialisation de la chaîne de transfert jusqu’à son dernier maillon : le retrait en espèces. Or c’est justement ce dernier maillon que les cryptomonnaies permettent à leur tour de dématérialiser.

Réduire l’économie informelle

Le recours à une monnaie virtuelle, comme le bitcoin, est ressenti par les utilisateurs comme un gage de sécurité contre le vol. Un risque auquel sont exposés de nombreux commerçants, dont les clients ne disposent pas de carte bancaire, et qui ont pour habitude de détenir de fortes sommes en liquide pour leurs transactions.

Par ailleurs, l’usage d’une monnaie autonome de toute Banque centrale, comme le bitcoin, est vécu en certains endroits comme une opportunité pour les populations de s’affranchir d’une politique monétaire qui serait conduite de manière irresponsable. Tout le monde a en mémoire les épisodes désastreux d’hyperinflation de la République démocratique du Congo en 1994, de ceux du Zimbabwe durant les années 2000 ainsi que ceux vécus par le Venezuela depuis près de trois ans maintenant.

Pour peu que les gouvernements mettent en place des outils de traçabilité, l’adoption d’une cryptomonnaie pourrait contribuer à réduire l’économie informelle. Car les barrières à l’entrée du système bancaire traditionnel, et en particulier l’importance des procédures administratives, découragent de nombreux citoyens d’y adhérer, notamment ceux qui sont faiblement scolarisés.

Nonobstant l’attrait populaire actuel pour la cryptomonnaie en zone CFA, deux précautions majeures nous paraissent indispensables pour accompagner sa diffusion. D’une part, si les utilisateurs accueillent à bras ouverts la sécurité physique offerte par une monnaie dématérialisée, ils s’exposent, bien souvent sans le savoir, à une insécurité d’ordre informatique. Car le monde du bitcoin est, depuis ses origines, peuplé de pirates informatiques détroussant les porteurs de bitcoins qu’ils croisent sur leurs routes de navigation.

De plus, et de manière plus préoccupante pour les victimes, un vol en bitcoin n’est jamais remboursé. L’avantage d’un compte bancaire est que l’établissement financier est chargé d’assurer ses clients, même ceux victimes de piratage informatique. On n’ose imaginer le drame d’un commerçant qui, voulant se prémunir du vol en espèces CFA de la recette d’une journée, opte pour un compte bitcoins en ligne et finit par se faire dérober l’épargne d’une vie. Pour résoudre ce problème, il faudrait que soient développés des produits d’assurance destinés aux comptes détenus en cryptomonnaies.

Volatilité

D’autre part, la valeur des monnaies virutelles en général, et celle du bitcoin en particulier, est très volatile. Certaines d’entre elles voient leur cours chuter jusqu’à les faire disparaître, tandis que d’autres, comme le bitcoin, s’apprécient au point de répandre un désir de spéculation chez le néophyte. La variation des cours fait alors le bonheur des uns et le malheur des autres. La redistribution de richesse s’exerce de manière aléatoire et chaotique, au gré de la valse des comportements spéculatifs. Cette volatilité expose donc tout détenteur de cryptomonnaie à un risque conséquent d’érosion de son pouvoir d’achat.

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C’est principalement pour répondre à cet aléa que les monnaies traditionnelles, comme l’euro, le dollar ou le franc CFA, sont pilotées par des Banques centrales. Celles-ci mettent en œuvre de puissants outils pour assurer notamment la stabilité monétaire, quitte à faire usage de leurs réserves de changes bien pourvus en devises et en or. Sur ce plan, la comparaison entre la sécurité offerte par le bitcoin et celle du franc CFA est sans appel. D’un côté, le cours de la cryptomonnaie en vogue n’est soutenu par aucune autorité ni agent économique. De l’autre, le franc CFA est ancré à l’euro, et bénéficie d’une garantie illimitée de convertibilité offerte par la Banque centrale européenne, qui constitue, quoi qu’en disent ses détracteurs, l’une des Banques centrales les plus puissantes du monde. La réduction de la volatilité du cours de la cryptomonnaie devrait donc passer par une gestion centralisée.

Si l’adoption d’une cryptomonnaie comme le bitcoin en zone CFA pourrait permettre de parachever le processus de dématérialisation engagé, sa sécurisation par un système d’assurance implique son intégration au système bancaire actuel. Ce qui s’oppose de front à l’idéologie d’affranchissement de ses créateurs. Mais l’usage en décidera peut-être autrement.

Jérôme Mathis est professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine, auteur du livre La Finance au cœur de nos vies (éd. Le Tremplin des idées) et Daniel Ouedraogo est doctorant en économie à l’Université Paris-Dauphine.

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