LES PLUS LUS
Publicité
Publicité

Jean-Louis Borloo: "Il est inconcevable qu'au XXIe siècle, 75% de l'Afrique ne soit pas électrifiée"

Dans les bureaux de son association, à Paris.
Dans les bureaux de son association, à Paris. © Pascal Rostain / Paris Match
Interview François de Labarre

Retiré de la scène politique française depuis trois ans, l’ancien ministre de l’Ecologie se consacre désormais à l’association qu’il préside, Energies pour l’Afrique. Le nouveau combat de Jean-Louis Borloo...

Son bureau lui ressemble. Le décor n’est pas soigné. Partout, sur les meubles en plastique, les bureaux et la cheminée, des dossiers s’entassent, les feuilles volantes débordent, comme lui déborde d’idées. Désormais barbu, Jean-Louis Borloo débarque en donnant l’impression de négliger cet aspect extérieur, dont il se moque. A notre demande, l’interview aura lieu au bistrot du coin, dont le tôlier, comme Borloo, aime passer du temps au Maroc. Dans la rue, une femme le croise et l’interpelle pour lui parler de l’Afrique. « Vous voyez, dit-il, cette personne vient d’associer mon image à l’Afrique. » C’est le signe qu’il ne se bat pas pour rien. Même si son défi de créer une agence pour électrifier le continent tient de l’utopie, Borloo est parvenu à incarner ce combat qu’il mène depuis presque trois ans et à le mettre sur la table partout où il le pouvait, sur les plateaux télévisés et dans les couloirs de la République, où il est encore écouté. La preuve, notre interview a dû être décalée pour cause de rendez-vous avec le président Macron, lequel s’est entretenu avec Borloo pour parler rénovation urbaine… et Afrique.

Publicité

Lire aussi : Accès à l'électricité - Jean-Louis Borloo l'Africain

La suite après cette publicité

Paris Match. Comment vous est venue l’idée de vous consacrer à l’Afrique ?
Jean-Louis Borloo. Je me souviens d’une rencontre en 2009 avec Li Keqiang, alors vice-Premier ministre de la Chine. Il me disait qu’il ne comprenait pas notre aveuglement. “La Méditerranée est trop petite pour que vous n’ayez pas un destin commun”, disait-il. Ce qui semblait évident pour les Chinois, comme pour les Africains, ne l’était pas pour nous Européens. J’ai avancé avec cette conviction que l’Europe et l’Afrique ont un destin commun. Il faut être idiot – ou malhonnête – pour ne pas le voir.

La suite après cette publicité

Lire aussi : Il a quitté ses mandats - Le courage de Jean-Louis Borloo 

Les Français ont-ils conscience aujourd’hui de cette “communauté de destin” ?
Bien sûr ! Vous savez, quand je me suis lancé dans cette aventure, je me suis dit : “Est-ce que t’es pas un peu dingue ?” Plutôt que d’aller voir un psy, j’ai commandé des sondages à l’institut OpionWay. Les questions suivantes ont été posées : “Pensez-vous que l’Afrique va impacter l’Europe ?”, “Pensez-vous qu’il faille un plan Marshall pour l’Afrique ?”, “Pensez-vous qu’on devrait contribuer au développement ? A l’électrification ?” Les personnes sondées ont massivement répondu “Oui”. Selon ces sondages, 92 % des Français veulent un plan Marshall pour l’Afrique.

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité

Lire aussi : Le cap sur les énergies renouvelables - L'Afrique, bientôt le continent vert

Donc, nos destins sont liés…
… Et tout le monde s’en rend compte ! D’abord les liens avec l’Afrique, même inconscients, restent forts. Ensuite, on ne peut plus éviter le sujet. Pas besoin d’avoir fait des années d’études pour comprendre que, si l’Afrique ne se développe pas, les mouvements migratoires vont évidemment se poursuivre et s’intensifier. Ce n’est pas des centaines de milliers, mais des dizaines de millions de personnes qui voudront aller vers la lumière. Et si l’Afrique se développe, le marché au bout de la rue, avec ses 2 milliards de personnes, pourrait bien remplir les carnets de commandes de nos entreprises. Les grands dirigeants économiques français, ceux dont le métier consiste à définir des visions stratégiques, ont identifié un nid de croissance en Afrique. L’avenir de la France se joue en l’Afrique.

Qui sont les personnes qui n’arrivent pas encore à entendre ce discours ?
Une certaine élite “mondialisée” qui préfère regarder ailleurs et traiter cela avec indifférence. Une partie de la presse qui vit en vase clos et puis ceux qui ont fait de l’aide au développement leur chasse gardée. Tous ceux qui ne veulent pas que les choses changent. C’est pourtant une évidence. La Méditerranée est un lac avec trois continents de cultures et trois civilisations différentes qui se touchent ! La population européenne baisse et la population africaine ne cesse de croître. Quoi qu’on dise des chefs d’Etat africains – qu’on aime bien accuser de tous les maux –, ils doivent gérer un choc démographique d’une importance sans précédent dans l’histoire de l’humanité ! Ces pays sont passés de 400 millions à 1,2 milliard d’habitants en quatre décennies. Bientôt, ils seront plus de 2 milliards. Il est évident que des moyens colossaux doivent être déployés.

C’est avec cette ambition que vous lancez Energies pour l’Afrique. Quelle est l’idée au départ ?
Nous avons identifié l’énergie comme la priorité des priorités. Cela paraît évident. Imaginez la France sans énergie ! On n’aurait pas pu construire toutes ces routes. Au XXIe siècle, cela paraît inconcevable et pourtant 75 % du continent africain n’est pas électrifié. Comment une population aujourd’hui très informée grâce au téléphone portable peut-elle vivre privée de l’accès à l’énergie ? A la demande d’un groupe de chefs d’Etat africains, nous avons ensuite travaillé sur la question de l’aide au développement. A quoi sert-il vraiment ? Beaucoup de gens se posent la question. Partout où il y a eu des plans d’énergie massifs, que ce soit en France ou en Russie, il y a toujours eu une aide publique. L’électrification de l’Auvergne était financée par les profits de l’électricité de Montmartre, à Paris ! Nous avons donc créé une agence dont l’objet est de devenir un réceptacle d’aides publiques. Notre objectif était de fournir les fonds propres pour financer les projets d’énergie. Cette agence existe aujourd’hui et elle est présidée par Alpha Condé avec une équipe dédiée depuis janvier dernier.

"

Les Allemands investissent 25 milliards par an pour sortir du nucléaire. Etalés sur dix ans, 40 milliards ce n’est pas grand-chose

"

Où en êtes-vous concrètement ?
Ils ont financé 140 projets. Mais il y a toujours des choses qui ne fonctionnent pas : ce sont les ajustements du démarrage.

Espérez-vous des avancées du sommet Afrique-Union européenne ?
Il est vital de signer ce traité de prospérité, de développement et de sécurité. Les Africains seront en charge de l’aspect migratoire. Aux Européens de donner le coup de main, comme les Américains l’ont fait pour nous en 1947. Je suis heureux d’entendre le président du Parlement européen, Antonio Tajani, déclarer à Tunis qu’il faut un plan Marshall pour l’Afrique et citer les 40 milliards nécessaires, montant que nous avions proposé.

Est-ce un gros montant au niveau européen ?
Mais bien sûr que non ! Les Allemands investissent 25 milliards par an pour sortir du nucléaire. Etalés sur dix ans, 40 milliards ce n’est pas grand-chose. Il faut juste comprendre que l’avenir heureux ou le drame de l’Europe se joue en Afrique. Il faut qu’il y ait une organisation Afrique-Europe politique avec des agences spécialisées et transparentes.

Avec le “plan Merkel” et la volonté du président Macron de mettre le sujet sur la table, n’y a-t-il pas l’espoir de voir émerger un tel projet ?
Les choses avancent, mais pas assez vite. Je pense qu’à échéance de trois ans il aura fallu monter cette grande organisation entre l’Europe et l’Afrique. Ce serait une grave erreur, pour ne pas dire funeste, de ne pas le faire d’ici là. C’est quitte ou double. Si on parvient à accompagner le développement, cela peut booster notre croissance pour les vingt années à venir. Il faut savoir que les Africains sont aujourd’hui demandeurs. Ils ont envie que ça avance. Ils sont confrontés toute la journée aux problèmes de l’explosion démographique que nous nous contentons de commenter ! D’où l’urgence de mettre en place des plans efficaces en accord avec eux et de manière respectueuse. Si on ne s’en occupe pas rapidement, alors nous subirons tous les conséquences néfastes d’un choc démographique incontrôlé et d’une ressource humaine mal gérée. Le continent africain pourrait endurer des déstabilisations, des chaos urbains, une radicalisation, qui par ricochet nous atteindra nous aussi puisque, comme je vous l’ai dit, nos destins sont liés. 

Contenus sponsorisés

Publicité