TRIBUNE

Méthode électrique : pêches barbares

La commission «pêche» du Parlement européen s’est prononcée pour la pêche électrique, qui ne laisse aucune chance aux poissons. Une méthode interdite partout ailleurs dans le monde. Vote définitif le 16 janvier.
par Dominique Lestel, Maître de conférences en philosophie à l’ENS et «JSPS Visiting Professor» à Tokyo University of Agriculture and Technology.
publié le 8 janvier 2018 à 18h26

Le 21 novembre, la Commission «pêche» du Parlement européen a voté pour que la pêche électrique soit autorisée en mer du Nord. La pêche électrique assomme les poissons et crustacés qui remontent alors à la surface et se font attraper dans les filets.

«Assommer» doit être pris dans son sens le plus violent. De nombreux poissons sont brisés et écorchés. Mais ce n'est pas encore le plus grave. Cette pêche nettoie parfaitement les fonds marins. Dans toute technique prédatrice traditionnelle, la proie a toujours sa chance, même si elle est faible. Avec la pêche électrique, l'organisme marin n'en a plus aucune. On est sorti de la prédation pour passer à l'extermination.

Cette façon de pêcher est tellement destructrice qu’elle est interdite partout dans le monde (même en Chine, depuis 2000), au même titre que la pêche par explosif ou par empoisonnement. L’Europe fait cavalier à part.

C'est quand même un comble. La pêche électrique y était pourtant interdite jusqu'en 2006. Cette année-là, les Pays-Bas ont obtenu une dérogation pour équiper 5 % de leur flotte avec cette technologie. Ils ont rapidement montré leur mauvaise foi en excédant largement leur quota, ce qui les conduit maintenant à faire face à des procès. L'armateur néerlandais qui arme ses navires se rapproche du chasseur du dimanche par la façon obscène de se justifier. Le chasseur du dimanche dit qu'il tue l'animal parce qu'il l'aime. L'armateur néerlandais veut stériliser les fonds de la mer du Nord pour des raisons écologiques. Vous avez bien lu. La pêche électrique, beaucoup plus efficace que la pêche industrielle habituelle, permet d'économiser du gazole - ce qui aide à tenir les engagements des accords de Paris et… à augmenter considérablement les profits.

Un tel cynisme est renversant. Quant aux artisans pêcheurs qui se retrouvent au chômage faute de poissons, ils n’avaient évidemment qu’à être dans le sens de l’histoire, c’est-à-dire du capital.

Les résultats de ce vote laissent bouche bée : 23 voix pour, 3 contre. Trois députés seulement ont été réfractaires. C’est consternant. Que des hypercapitalistes prédateurs soient prêts à détruire le monde pour s’enrichir est une chose. Que des Etats démocratiques avalisent les ambitions apocalyptiques de ces derniers est pathétique.

Comment expliquer une telle gifle à la raison et à l’équité ? Par des calculs intéressés qui négligent à la fois l’intérêt collectif et le respect de l’animal, mais aussi par une bêtise phénoménale à court terme et les stratégies iniques qui en découlent. Tout n’est pourtant pas perdu. Le vote du Parlement européen est seulement indicatif. Ce dernier a donc l’occasion de se racheter - car une démocratie qui tolère la barbarie n’est plus une démocratie, et cette forme de pêche est barbare et immonde. La date du vote définitif vient d’être fixée : le 16 janvier. Parler de précipitation avant que les opposants puissent se mobiliser de façon efficace n’est évidemment que pure spéculation.

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