Il faut imaginer une rue en apesanteur. Une immense mezzanine de verre jalonnée de commerces et d’un restaurant gastronomique, perchés à 18 mètres au-dessus du sol. Pour coiffer la future gare de Nantes, dont la première pierre a été posée le 6 décembre, c’est un véritable belvédère qu’a dessiné l’architecte Rudy Ricciotti.
Au printemps 2020, cette passerelle enjambera les rails, désengorgeant l’accès aux quais de la gare, aujourd’hui saturée de voyageurs (12 millions en 2016 ; deux fois plus sont attendus en 2030). A terme, tout le quartier sera restructuré : au sud, 180 000 m2 de bureaux et 1 900 logements remplaceront la friche ferroviaire ; côté nord, les voies de circulation qui gênent l’accès des piétons seront détournées.
Les chantiers à venir
Nantes, mais aussi Saint-Etienne, Rennes, Lyon… Amorcé à la fin des années 1990, le plan national de transformation des gares prend enfin son essor. Les flux de circulation sont repensés, les espaces de vie agrandis, les commerces démultipliés, des espaces de co-working ouverts…
Pour appuyer ces grands travaux, les sociétés gestionnaires font appel à des designers, des artistes (Stromae interviendra avec l’architecte Kengo Kuma sur la station Saint-Denis-Pleyel du futur métro Grand Paris Express) et des cuisiniers de renom pour améliorer l’offre de restauration. L’ancien chef du Ritz, Michel Roth, vient d’ouvrir un établissement à Metz. Fin 2018, Alain Ducasse posera ses casseroles à Montparnasse et Jacques Maximin investira la gare de Nice. Christian Le Squer, originaire de Bretagne, supervisera quant à lui la carte du futur restaurant de celle de Rennes.
« La gare doit être un lieu de brassage social, utilisé par les usagers du train comme par les habitants de la ville », estime Patrick Ropert, directeur général de SNCF Gares & Connexions. Il cite en guise d’exemple le projet de rénovation de la gare du Nord, à Paris, entamé en 2015. « Nous y avons ouvert une table étoilée, mais aussi une crèche, un laboratoire d’analyses, des boutiques de déco à petits prix, un Starbucks… »
« Les stations-service ont remplacé les gares comme symboles de modernité. Mais la tendance s’est inversée avec la prise de conscience écologique. » Clive Lamming, historien
Un réaménagement bienvenu, mais loin d’être révolutionnaire, rappelle l’historien Clive Lamming, auteur de Paris au temps des gares (Parigramme). « La SNCF fait du Napoléon III, s’amuse-t-il. Au XIXe siècle, les gares ont pris la suite des relais de poste fondés par Louis XI, qui devaient rester ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Elles sont devenues l’un des seuls lieux à rassembler toutes les classes sociales. Les compagnies de chemin de fer faisaient payer un ticket de quai aux badauds qui voulaient profiter du spectacle, pendant que les bourgeois allaient dîner au Train bleu. »
La crise de 1929 marque le déclin de cette époque fastueuse, qui s’achève dans les années 1950 avec la montée en puissance de la voiture et de l’avion. « Les stations-service ont remplacé les gares comme symboles de modernité. Mais la tendance s’est inversée avec la prise de conscience écologique », détaille Clive Lamming.
Aujourd’hui, les gares se réinventent en se reconnectant à la ville. Gare du Nord, l’architecte Jean-Michel Wilmotte a proposé de relier deux rues au-dessus des voies et libérer le parvis du trafic routier – des terrasses y seront installées. Un changement qui serait radical pour cet ancien no man’s land, longtemps envahi par les voitures et hanté par les toxicomanes. A Bordeaux, le nouveau hall de Saint-Jean s’ouvre sur le quartier Belcier à travers d’immenses baies vitrées et 1 800 m2 de boutiques.
En mai, la gare de Lorient a été « retournée » pour faire face à l’agglomération. « Nous souhaitons faire des gares des lieux qui modifient en profondeur le quartier alentour », explique Patrick Ropert, également auteur de City Booster : les gares à l’aube d’une révolution (éditions Débats Publics). A Angers, le designer Alexis Tricoire a tissé un lien végétal entre la gare et la ville. « J’ai imaginé une gare remplie d’arbres, confie-t-il. Au sol, des bancs intègrent les bacs dans leur structure. En hauteur, des arbres sont suspendus le long de la façade vitrée. » Le créateur réfléchit désormais à un programme de développement du végétal dans l’ensemble des gares françaises. Une mise au vert pour se débarrasser définitivement de leur mauvaise réputation.
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