Affaire Haziza à LCP : «J’ai vécu une agression sexuelle»

Astrid de Villaines, journaliste pour la Chaîne parlementaire, s’exprime pour la première fois depuis sa plainte contre son confrère Frédéric Haziza. 

    Astrid de Villaines a porté plainte pour agression sexuelle contre Frédéric Haziza, éditorialiste et animateur de la Chaîne parlementaire (LCP). Une enquête est en cours mais la réintégration la semaine dernière de ce dernier l'a profondément choquée. Elle s'exprime pour la première fois sur cette épreuve.

    La direction de LCP s'appuie sur une enquête interne qui parle d'actes inappropriés dits «potaches» ou «lourdingues» pour expliquer la réintégration de Frédéric Haziza ?

    Astrid de Villaines. Je n'ai pas lu cette enquête car les journalistes n'y ont pas eu accès. J'entends depuis une semaine une petite musique disant que l'on peut être viré pour avoir touché les genoux d'une femme… Cela me choque. Je suis journaliste politique depuis plusieurs années : les blagues potaches, les plaisanteries lourdingues, je sais ce que c'est. Je n'aurais pas intenté une action en justice pour cela. Moi, j'ai vécu une agression sexuelle, il ne faut pas tout mélanger.

    Regrettez-vous aujourd'hui votre plainte ?

    Non, à aucun moment. Je suis soulagée, même si c'est dur. Mais ce n'est rien par rapport à l'angoisse que je ressentais de devoir garder tout ça au fond de moi. C'est la plus grande décision que j'ai prise depuis plusieurs années.

    Pourquoi avoir attendu presque trois ans ?

    C'est un long processus. En 2014, après les faits, j'étais extrêmement choquée. Certains m'avaient conseillé de porter plainte mais j'étais comme paralysée, j'avais honte, je voulais oublier cet épisode et j'avais peur des conséquences. Je me disais quand même qu'un jour j'aurais la force de porter plainte. J'avais en tête le délai de prescription. L'affaire Denis Baupin a été un premier déclic (NDLR : l'ex-député EELV a été soupçonné d'agressions sexuelles mais les faits étaient prescrits). Il y a eu une tribune d'anciennes ministres qui m'a portée, malheureusement tout est retombé assez vite. Cet été pour la première fois, j'en ai parlé à mes parents, je voulais leur avis, mais j'hésitais encore. Peu de temps après a éclaté l'affaire Weinstein, suivie du mouvement #balancetonporc. Cela m'a donné du courage. Je ne pouvais plus me taire, même si j'ai hésité une dernière fois à la porte du commissariat. J'y suis allée la veille de la prescription des faits.

    A l'époque des faits, vous aviez quand même parlé ?

    Cela s'est passé au sein de la rédaction, il y avait des témoins. J'ai réagi vivement sur le moment en lui disant que cela ne se faisait pas. Une confrontation a été organisée dans le bureau du directeur de la rédaction. Mon agresseur a nié les faits. Il disait sans me regarder dans les yeux qu'il m'avait «juste touché les genoux». J'ai maintenu ma version des faits. A la fin de la conversation, il a proposé d'aller m'acheter un pain au chocolat pour, disait-il, «oublier tout ça». J'ai vécu une deuxième humiliation. Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de Travail (CHSCT) s'est saisi de l'affaire.

    Que pensez-vous de la motion de défiance de votre rédaction votée contre la direction de LCP ?

    Je pense que mon affaire a été l'un des détonateurs d'un malaise plus profond. J'essaie de me tenir à l'écart de cela. Une plainte est une démarche personnelle. Une enquête préliminaire a d'ailleurs été ouverte, j'espère qu'elle aboutira.

    Comment vivez-vous la réintégration de Frédéric Haziza au sein de la rédaction de LCP où vous travaillez toujours ?

    Je ne vais pas vous mentir, c'est difficile. Mais c'est une décision de la direction que je ne veux pas commenter.

    Et cette tribune de 100 femmes dont l'actrice Catherine Deneuve qui parle d'une «liberté d'importuner pour préserver la liberté sexuelle» ?

    A titre personnel, cette tribune me fait de la peine. J'aurais préféré que des femmes aussi illustres soutiennent un mouvement important. Je regrette qu'on ne soit pas toutes ensemble pour mener ce combat. Je pense que ces femmes sont déconnectées socialement du monde dans lequel nous vivons. Néanmoins, tout le monde a le droit de s'exprimer, je suis pour la liberté d'expression et je partage certains de leurs combats, notamment sur la censure dans l'art. Elles devraient comprendre que beaucoup de femmes n'acceptent plus les frotteurs dans le métro et le harcèlement sexuel. Moi, j'ai la chance de pouvoir être entendue, mais combien de femmes vivent des drames dans l'ombre et dans l'anonymat le plus total ? Il faut les aider et chaque parole compte.

    VIDEO. Le témoignage d'Astrid de Villaines

    Frédéric Haziza conteste les faits