EXCLUSIF - "C’est moi qu’on a pris pour Xavier Dupont de Ligonnès" : le moine raconte l'opération de police

par Aurélie SARROT Aurélie Sarrot
Publié le 15 janvier 2018 à 7h00, mis à jour le 15 janvier 2018 à 9h16
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Source : Sujet JT LCI

EXCLUSIF – Le 9 janvier dernier, une opération de police était menée dans le monastère Notre-Dame-de-Pitié de Roquebrune-sur-Argens (Var), après que des fidèles ont indiqué y avoir vu, fin 2017, un homme ressemblant à Xavier Dupont de Ligonnès. Cinq jours après les faits, le frère Jean-Marie Joseph, prieur, que l’on a pris pour le quinquagénaire soupçonné d'avoir tué sa femme et ses quatre enfants en avril 2011 à Nantes (Loire-Atlantique), revient pour LCI sur cette folle journée chez les religieux.

Au monastère de Notre-Dame-de-Pitié de Roquebrune-sur-Argens, dans le Var, les jours se suivent et se ressemblent. A l’exception de ce 9 janvier 2018, qui, pour les ermites qui vivent dans la solitude et le silence, a pris une toute autre tournure...

Mardi dernier, en effet, une vaste opération de police a été menée pendant plusieurs heures dans le bâtiment habité par des moines, après que deux fidèles ont signalé y avoir vu, fin 2017, un individu ressemblant à Xavier Dupont de Ligonnès. Le frère Jean-Marie Joseph, prieur, revient pour LCI sur cette journée peu ordinaire pour les cinq ermites venus ici  chercher... le calme. 

"Deux hommes au fond de la chapelle"

C’est à l’occasion de l’eucharistie matinale que les policiers se sont introduits dans la chapelle du monastère, ouverte tous les jours de 6 heures à 20 h 30 au public. "Nous avons un premier office à 6 heures, nous prenons notre petit-déjeuner, puis nous avons une messe à 8 h 30. Nous étions alors quatre frères dans la chapelle et quatre fidèles. Puis il y avait ces deux hommes assis sur un banc au fond de la salle, que nous n’avions pas vu au départ et pour lesquels j’ai demandé deux hosties supplémentaires. Au final, ils n’ont pas communié, c’était des policiers", nous raconte le moine . 

Affaire Dupont de Ligonnès : un signalement relance les recherchesSource : JT 20h Semaine

Le frère Jean-Marie Joseph.

 A la sortie de la messe, une dizaine de fonctionnaires en civil, dont les deux hommes présents un peu plus tôt dans la chapelle, sonnent à la porte de la sacristie. "Une des personnes présentes m’a montré sa plaque. Puis s’est présentée comme étant de la police judiciaire, mandatée pour visiter le monastère dans le cadre de l’affaire Dupont de Ligonnès. J’ai très vite compris qu’il fallait que je les laisse rentrer", commente encore le religieux.

Ce dernier n’en est d’ailleurs pas à sa première visite des forces de l’ordre. Prieur depuis juin 2017 au monastère de Notre-Dame-de-Pitié de Roquebrune-sur-Argens, le frère Jean-Marie Joseph était déjà présent dans en ces lieux de mai 2008 à juin 2011. "J’étais là au moment où l’affaire Dupont de Ligonnès a éclaté, il y a sept ans. Les gendarmes étaient déjà venus nous faire un signalement, puis la police judiciaire était passée pour voir si on ne l’avait pas vu, se souvient-il. A l’époque, c’était normal… C’est à Roquebrune-sur-Argens qu’a été repéré pour la dernière fois Xavier Dupont de Ligonnès, à la mi-avril 2011. Et ce monsieur a des origines catholiques. Mais là, nous n'avons pas compris". 

Le monastère fouillé de fond en comble

Le frère Jean-Marie Joseph conduit alors les fonctionnaires dans toutes les pièces et recoins du monastère. "Tout était bien quadrillé, précise-t-il. Ils étaient une vingtaine de fonctionnaires de police au total (de la police judiciaire de Nantes et de Toulon, ndlr). Je n’en ai vu que dix. Les autres étaient bien répartis dans le domaine, pour vérifier qu’il n’y ait pas d’intrus qui sorte brusquement, je suppose". 

Les policiers vérifient alors le rez-de-chaussée, puis les étages, pénètrent dans toutes les chambres et les lieux de vie, du réfectoire à la cuisine. "J’ai ensuite été cherché les clés des ermitages. Certains frères étaient présents, un était en retraite, l’autre était malade, je les ai dérangés. Après avoir visité tous ces lieux, je les ai conduits à un autre ermitage, à 400 mètres, utilisé généralement l’été, car un peu isolé. Je voulais que tout soit clair pour les forces de l'ordre, qu'il n'y ait aucun doute.  Et il n’y avait ni Dupont de Ligonnès, ni sosie chez nous",  insiste le religieux. Et pour cause...

"Je ne lui ressemble pas du tout"

Le frère Jean-Marie Joseph ignore alors que celui que l’on a pris pour l’auteur présumé du quadruple assassinat de Nantes en 2011 n’est autre que lui-même. "J’ai appris par la suite que les fidèles qui avaient alerté les forces de l’ordre avaient cru reconnaître Xavier Dupont de Ligonnès dans un moine… Et c’est moi, d’après les policiers, que l’on a pris pour ce monsieur, s’étonne encore le religieux. Je suis tombé des nues, confie-t-il. Certaines choses peuvent correspondre, certes, comme la taille – je mesure 1,82 mètre - ou l’âge - j’ai 53 ans - (Xavier Dupont De Ligonnès est né le 9 janvier 1961). Pour le reste, je ne lui ressemble pas du tout. J’ai des lunettes, certes. J’ai les cheveux coupés à ras et plutôt blancs disons que bruns… J’ai un frère de communauté, dans un autre couvent, qui lui ressemblerait davantage". 

Après plusieurs heures dans le monastère, les policiers sont donc repartis... sans avoir trouvé celui qu’ils recherchaient. Et à Notre-Dame-de-Pitié, la vie a repris son cours, presque comme si de rien n’était. 

Le frère Jean-Marie Joseph.
Le frère Jean-Marie Joseph. - DR

Une autre photo du frère Jean-Marie Joseph.

Premiers échanges sur le sujet ce dimanche

Cinq jours après cette visite, le frère nous raconte encore : "Je trouve que c’est beaucoup d’argent dépensé pour rien. Vingt policiers, c’est quand même beaucoup. Cette opération n’avait pas besoin d’être aussi spectaculaire ".  Les ermites regrettent également les fuites dans la presse, et la forte présence de journalistes le jour de cette vérification, devant ce lieu où les moines mènent une vie érémitique et qui est dédié au "repos et au ressourcement spirituel". 

" Les policiers ont été très polis, très courtois. Mais ce jour-là, tout était disproportionné. Venir déranger un monastère comme ça… On ne se cache pas, tout le monde peut venir à tout moment nous voir. Pas la peine de nous faire une telle publicité", regrette-t-il. 

Ce dimanche 14 janvier, les ermites ont échangé pour la première fois sur cet événement extraordinaire. "En semaine, nous prenons les repas du midi ensemble mais en écoutant généralement des conférences. Le soir, le dîner se fait sans parole. Pour la première fois aujourd'hui, pendant la récréation hebdomadaire, de 13 heures à 14 heures, nous avons parlé de la visite des policiers. Je ne vous dirai pas ce que nous nous sommes dits, c'est une conversation personnelle. Mais on en a souri plus qu’autre chose de cet événement qui nous a semblé disproportionné..."

Et si Dupont de Ligonnès frappait à la porte ?

Le frère Jean-Marie Joseph est prieur au monastère Notre-Dame-de-Pitié de Roquebrune-sur-Argens pendant trois ans, soit jusqu’en 2020. Quand on lui demande quelle serait sa réaction si le "vrai" Xavier Dupont de Ligonnès venait frapper à sa porte, il répond : "Je ne peux pas concevoir que l’on puisse cacher une personne recherchée par la police. Je ne peux pas être complice.  S’il se présentait ici, je l’inviterais à se dénoncer". 

Et s’il ne voulait pas se dénoncer ? "S’il vient pour regretter sa faute, comprenez bien, nous sommes quand même un ordre religieux, je pourrais le confesser et l'absoudre à la seule condition qu’il se dénonce. S’il est le coupable de ces assassinats, et s’il a des regrets, il devrait de fait nécessairement se rendre", conclut le frère. 


Aurélie SARROT Aurélie Sarrot

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