Vaches sacrées et contorsions sociales
Bonne nouvelle : les partenaires sociaux pourraient trouver un terrain d'accord sur une baisse sensible des dépenses de l'assurance-chômage. Mauvaise nouvelle : cette convergence risque de créer davantage de problèmes qu'elle n'en résoudra.
Aujourd'hui, un salarié qui perd son emploi en touchant une forte indemnité de licenciement ou de rupture doit attendre deux mois et demi avant de percevoir des indemnités chômage. Les deux gestionnaires clefs de l'Unédic, le Medef côté patronal et la CFDT côté syndical, proposent l'un et l'autre de supprimer ce plafond de 75 jours. Les cadres au chômage seraient les principales victimes de cette suppression qui ferait économiser 250 millions d'euros par an à l'Unédic.
Mais le déplafonnement aurait trois inconvénients majeurs. D'abord, il détruirait l'un des rares leviers de souplesse pour gérer les effectifs, dans l'un des pays champions du monde des entraves au licenciement. Qu'on s'en félicite ou qu'on le regrette, la grosse prime de licenciement est devenue un outil permettant aux entreprises de se séparer en douceur de certains salariés. Si cette prime devient moins intéressante pour ceux qui la touchent, elle deviendra aussi moins efficace.
Ensuite, les partenaires sociaux choisissent ce moyen compliqué pour éviter d'aborder une question bien plus centrale : le montant des allocations chômage, qui peut atteindre 6.100 euros par mois - une générosité sans équivalent ailleurs dans le monde. Un cadre allemand au chômage touche par exemple 2.200 euros par mois ! Plutôt que s'attaquer à cette vache sacrée, les partenaires sociaux préfèrent complexifier encore le système, dans un paysage social français déjà encombré d'autres vaches sacrées - SMIC, 35 heures ou même le tout jeune Cice.
Enfin, ce déplafonnement accroîtra encore la solidarité dans un mécanisme qui relève en principe de l'assurance. Les cadres versent actuellement le tiers des cotisations chômage en ne touchant que le sixième des allocations. Avec le nouveau dispositif, ce déséquilibre ne ferait que croître. Une assurance est bien sûr toujours un mécanisme de solidarité, mais entre les individus touchés par un sinistre (maladie, chômage, accident) et les autres, non entre catégories sociales. Cette dernière forme de solidarité, souhaitable en bien des cas, doit passer par l'impôt et non par l'assurance. La pénalisante médaille d'or mondiale de la France en matière de cotisations sociales (19 % du PIB) vient largement de cette confusion. Evidemment, on peut continuer à replâtrer, et on va sans doute le faire. Mais cet épisode confirme qu'il faudra rebâtir la maison tout entière.