Thelonious Monk (1917–1982), la nique au silence

Le pianiste et compositeur de jazz Thelonious Monk (1917–1982), le 19 mars 1966 ©Getty - Photo by Jacques Haillot/Sygma via Getty Images
Le pianiste et compositeur de jazz Thelonious Monk (1917–1982), le 19 mars 1966 ©Getty - Photo by Jacques Haillot/Sygma via Getty Images
Le pianiste et compositeur de jazz Thelonious Monk (1917–1982), le 19 mars 1966 ©Getty - Photo by Jacques Haillot/Sygma via Getty Images
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"Ermite, apôtre, prophète, moine, prêtre, dieu : rien n’est assez poncivement religieux pour exprimer le magnétisme dont Monk est la bête." Avec, ô comble, pour un pianiste et compositeur de jazz, le silence comme point d’orgue…

Avec

1947, le 15 octobre, Thelonious Sphere Monk a trente ans depuis cinq jours et c’est la première fois qu’il entre en studio pour son propre compte. Trente ans, c’est déjà un peu tard pour une première. Mais tout est déjà là, mûri, pensé, fignolé, dont Well you needn’t, In walked Bud, Ruby my dear ou ‘Round midnight, autant de chefs d’œuvre.

Portrait de Thelonious Monk au Mintons Playhouse à New York (USA, septembre 1947)
Portrait de Thelonious Monk au Mintons Playhouse à New York (USA, septembre 1947)
© Getty - Photo by: Universal History Archive/Universal Images Group via Getty Images

Personne ne l’avait vu venir, Monk, avec ses airs d’ours bourru, gourmand et solitaire, qui assène ses certitudes d’autodidacte à coups de griffes, autant de mélodies insolites et d’accords bizarres. Personne ne l’avait entendu venir à cause de son incapacité à dire les choses. Ainsi lorsqu’on lui demanda le titre du tout premier morceau qu’il venait de graver, il répondit d’un dubitatif grognement sourd, sa façon à lui de s’exprimer, qu’un assistant polyglotte décryptera comme "Humph", tel est resté le titre mystérieux du morceau. Autant dire que cet homme-là ne parlait déjà pas tout à fait le langage admis.

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Pour singulier qu’il est, Monk ne se situe pas en marge. Au contraire, il est au cœur du jazz moderne, fût-il souvent pris pour un excentrique. On l’ordonna même grand prêtre du be-bop, voire prophète, bien qu’il ne fût jamais que moine, comme son nom l’indique.

Il joue à jeu égal aux côtés de Charlie Parker et Dizzy Gillespie à la pointe de l’avant-garde. Seulement, il ne possède ni la "jazzogénie" tumultueuse de l’un ni l’exubérance sympathique de l’autre. La virtuosité volubile ni de l’un, ni de l’autre.

Quant à son association avec Miles Davis, le soir de Noël 1954, elle vira à la foire d’empoigne. Et Monk aurait le dernier mot. Au beau milieu de son solo, il s’était simplement tu pendant une dizaine de mesures. Le silence monkien, tel le plus beau contrepied à l’éloquence.

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Parallèlement, le comportement étrange du musicien s’accentue, proportionnellement au caractère farfelu des chapeaux dont il se couvre le chef. Il entre sur scène avec retard, ne salue pas le public, déambule dans le vide. Plus tard, en plein morceau, pendant que la rythmique tourne et que le saxo s’emballe, il quitte le piano et entame une étrange danse hiératique de chamane possédé, bras à l’horizontal. Il tournoie sur lui-même, avec lenteur, pesanteur et déraison. L’impression prend une dimension menaçante. On le dit demi-fou.

En coulisse, la toute menue Nellie, son épouse, veille. Thelonious s’occupait de la musique, elle du reste.

Il y a aussi Pannonica de Koenigswarter, née Rothschild, pour le protéger. La baronne possède une maison majestueuse, de l’autre côté de l’Hudson. Monk s’y retire à 59 ans et s’y cloître, seul avec un grand Steinway dont il ne joue pas, au milieu de dizaine de chats, à attendre que la mort vienne. Un long fondu au noir de six années. En silence.

Thelonious Monk lors d'un concert au Basin Street club à New York (11 avril 1956, USA)
Thelonious Monk lors d'un concert au Basin Street club à New York (11 avril 1956, USA)
© Getty - Photo by PoPsie Randolph/Michael Ochs Archives/Getty Images

Musique

Extraits diffusés : Light blue (Monk) B.O. Les liaisons dangereuses (1959) - Round about midnight (Hanighen, Monk, Williams) Genius of Modern Music (vol. 1, 1947) - Jackie-Ing (Monk) Live in Stockholm (1961) - Monk’s mood (Monk) Himself (1957) - Chordially (Monk) London collection (vol. 3, 1971) - Blue Monk (Monk) TV Broadcast The Sound of jazz (1957) - Misterioso (Monk) London collection (vol. 2, 1971) - Trinkle tinkly (Monk) Monk Trio (1954) - Ask me now (Monk) Five by Five (1959) - By and by (trad., arr. Monk) B.O. Les liaisons dangereuses (1959) - Well, you needn’t (Monk) Live at The It Club (1963) - Little Tootie Rootie (Monk) Monk Trio (1954) - Monk’s point (Monk) Solo (1962) - In Walked Bud (Monk) Genius of Modern Music (vol. 1, 1947) - Ruby, my dear (Monk) Monk’s music (1957) - Miles Davis : The man I love (Gershwin, Gershwin) [take 2], Bag’s Groove (1954) - Misterioso (Monk) Live at the Workshop (1964) - Epistrophy (Clarke, Monk) Live in Paris (18 avril 1961) - Crepuscule with Nellie (Monk) Monk’s music (1957) - Pannonica (Monk) B.O. Straight, no Chaser - I mean you (Monk) from London collection (vol. 2, 1971) - Monk’s mood (Monk) Monk’s dream (1957) - Ugly beauty (Monk) Underground (1967) - Abide with me (trad. arr. Monk) Monk’s music (1957) - Epistrophy (Kenny Clarke, Monk) Live in Schwitzerland (1966).

Photo de Thelonious Monk (janvier 1960)
Photo de Thelonious Monk (janvier 1960)
© Getty - Photo by Gai Terrell/Redferns

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Une documentaire de et réalisé par Yvon Croizier. Coordination, Irène Omélianenko et Christine Bernard. Attachée de production, Claire Poinsignon. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. Nouvelle page web, Sylvia Favre-Steyaert.

Thelonious Monk (1917–1982) et la mécène britannique la baronne Nica de Koenigswarter (1913-1988) avant un concert au Five Spot jazz club à New York (1964)
Thelonious Monk (1917–1982) et la mécène britannique la baronne Nica de Koenigswarter (1913-1988) avant un concert au Five Spot jazz club à New York (1964)
© Getty - Photo by Ben Martin/Getty Images

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