Fraude fiscale : la charge du parquet national financier contre le « verrou » de Bercy
La procureur du parquet national financier, Eliane Houlette, a estimé ce mardi que le « verrou » de Bercy « bloque toute la chaîne pénale ».
Faut-il ou non préserver le « verrou » de Bercy ? La réponse d'Eliane Houlette, auditionnée ce mardi à l'Assemblée dans le cadre d'une mission d'information, ne pouvait être plus claire. « Pour nous, le verrou bloque toute la chaîne pénale. Il constitue des obstacles d'ordre théorique, juridique, constitutionnel, républicain mais aussi pratique », a répondu face aux députés la procureur du parquet national financier.
Eliane Houlette avait déjà émis des réserves sur ce mécanisme, qui fait qu'un délit de fraude fiscale ne peut être poursuivi qu'à la suite d'une plainte de l'administration, validée par la Commission des infractions fiscales (CIF). Celle qui a pris dans ses mailles Jérôme Cahuzac, François Fillon aussi bien que des groupes comme HSBC ou Google, s'est montrée particulièrement virulente dans ses critiques. « Il y a une incohérence entre la gravité affichée du délit de fraude fiscale et le régime dérogatoire dont il fait l'objet », a-t-elle pointé.
Conséquences en chaîne
Si l'Assemblée nationale a lancé une mission d'information sur ce sujet, c'est que la suppression du « verrou » de Bercy pourrait avoir des conséquences en chaîne sur le système judiciaire et fiscal. La Commission des infractions fiscales (CIF), composée des magistrats des ordres judiciaire et administratif, valide près de 95 % des plaintes. Mais les 5 % restant font l'objet d'une suspicion qui alimente régulièrement les débats parlementaires.
Ses défenseurs considèrent que ce « verrou » représente une garantie supplémentaire pour le contribuable. L'administration fiscale craint de son côté que les recettes ne soient plus encaissées. Face à cet argument, Eliane Houlette a avancé le résultat du parquet national financier en 2017 : 786 millions d'euros. Elle reconnaît que ce chiffre a été gonflé par la transaction avec HSBC de 300 millions d'euros, première « convention judiciaire d'intérêt public » (CJIP) depuis sa création dans la loi Sapin 2 en 2016. « C'est plus du double par rapport à 2016 et sept fois plus qu'en 2015 », explique-t-elle.
Elargir la transaction pénale
La magistrate considère qu'il faudrait élargir le champ de cette convention à la fraude fiscale. Pour l'instant, ce mécanisme de transaction, nouveauté dans le droit français, peut s'appliquer au délit de blanchiment de fraude fiscale, mais pas à la fraude fiscale elle-même, ce qui peut aboutir à des incohérences. Eliane Houlette a cité l'exemple d'un groupe international ayant fait l'objet d'une plainte pour fraude fiscale de la part de l'administration. « Ce groupe voudrait obtenir une transaction, cela représente une somme importante pour le budget de l'Etat. Mais ce n'est pas possible parce que la fraude fiscale ne rentre pas dans le champ de la CJIP », a-t-elle déclaré, sans préciser le nom de l'entreprise.
Google pourrait être dans cette situation: le moteur de recherche fait l'objet en même temps d'une enquête pour fraude fiscale et pour blanchiment de fraude fiscale.
Ingrid Feuerstein