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Le loup, « une réalité violente, cruelle et imprévisible »

« Au moment où j’écris, une meute hurle à moins de cent mètres de notre troupeau » : un couple d’éleveurs de brebis de la Drôme raconte dans cette tribune leur désarroi face aux attaques de loups. Ils s’estiment abandonnés par l’État.

Claire Lapie et son compagnon, Yann Rudant, trentenaires et parents d’un petit garçon, sont devenus bergers il y a six ans après un parcours professionnel en gestion des espaces naturels pour l’un et en gestion forestière pour l’autre. Ils se sont installés dans la vallée de la Méouge (à cheval sur la Drôme et les Hautes-Alpes), en 2015, où ils élèvent un petit troupeau de brebis de races rustiques et locales. Ils produisent de la laine et des agneaux certifiés en agriculture biologique et valorisés en vente directe.

Claire Lapie, son compagnon, Yann Rudant, leur fils, un de leurs patous et leurs brebis.

Au moment même où je vous écris ce courriel, le 10 novembre à minuit quatorze, une meute de loups est en train de hurler à moins de cent mètres de notre troupeau, sur la commune de Séderon (Drôme). Mon compagnon, Yann Rudant, est parti précipitamment ce soir auprès de nos animaux. Il a l’intention de passer la nuit dans la voiture, alors que la météo annonce des températures comprises entre 0 et - 2 °C.

À la suite de l’attaque que nous avons subie dimanche 5 novembre et à la mort de quinze brebis sur notre troupeau de 150 bêtes, nous ne pourrons pas supporter de perte supplémentaire. Les animaux se trouvent actuellement très stressés et nous craignons des avortements. Quelle profession peut accepter cette pression et ce désemparement ?

Nous sommes installés depuis trois ans. Nous avons investi toute notre énergie, nos convictions et nos finances dans notre élevage de brebis. Nous valorisons en vente directe des agneaux d’herbes et de la laine, certifiés en agriculture biologique. Nous bénéficions d’un réel accueil et soutien local pour la remise en pâturage des collines (entretien écologique, lutte contre l’embroussaillement, prévention des incendies) et la vente de nos produits.

Dès notre installation, nous avons mis en œuvre toutes les mesures de protection préconisées : parcs électrifiés, chiens de protection, surveillance pluriquotidienne. Nous avons d’ailleurs déjà été contrôlés (entre autres) à ce sujet.

Ce soir, je souhaite donc vous exprimer tout notre sentiment d’impuissance et de découragement face à la problématique du loup, qui depuis quelques mois s’est nettement intensifiée dans le sud des Baronnies. Ne sous-estimez pas l’urgence de la situation. Nous avons besoin de réponses concrètes. »

Ce courriel, envoyé aux services de l’État chargés de la prédation des troupeaux — Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et direction départementale des territoires (DDT) —, est resté sans réponse.

Pourtant, en 2017, vingt-trois attaques de loups sur des troupeaux et chiens domestiques ont été recensées sur le massif de Lure-Ventoux, regroupant les communes drômoises de la Roche-sur-le-Buis, Montfroc, Plaisians, Barret-de-Lioure, le Poët-en-Percip, Montbrun-les-Bains, Villefranche-le-Château, Laborel, Montauban-sur-l’Ouvèze et Séderon. Depuis septembre, les attaques se sont intensifiées sur ce secteur. Un troupeau se fait attaquer tous les quatre à cinq jours malgré les mesures de protection. La nuit du 13 au 14 novembre, un éleveur du secteur a encore subi une attaque de loups (malgré le renforcement des mesures de protection sur son troupeau).

Nous ne dormons plus, en état de stress permanent

Découvrir son troupeau massacré au petit matin est un véritable cauchemar. Cette réalité violente, cruelle (les brebis ne sont pas forcément tuées sur le coup mais agonisent à petit feu le temps que nous réussissions à les retrouver) et imprévisible n’est vécue au quotidien que par celles et ceux qui essaient tant bien que mal de cohabiter avec le loup.

Depuis, nous ne dormons plus, en état de stress permanent. Nous devons chaque nuit regrouper les brebis dans une enceinte, au sein même du parc électrifié. Un ami éleveur nous a prêté deux patous supplémentaires (nous en avions déjà deux). Nous avons acheté une nouvelle chiot patou, qui demande une organisation particulière : nous avons dû rentrer en bergerie un lot de brebis (alors que le reste du troupeau est en plein air) pour réaliser son intégration et son éducation. Il faudra attendre au moins six mois avant qu’elle soit suffisamment mature pour rejoindre les adultes.

La DDT nous demande de mettre en œuvre des « tirs de défense ». Mais, n’ayant pas le permis de chasse, nous ne pouvons réaliser ces tirs et nous défendre contre le loup. Et les services de l’État n’interviendront pas, par le biais de la brigade loup et des lieutenants de louveterie, tant que nous n’aurons pas subi trois attaques ! Enfin, le quota de prélèvement de quarante loups, autorisé par l’État sur l’ensemble du territoire français, est déjà presque atteint (on en est à trente-six à ma connaissance). Il ne sera revu qu’en juin 2018… La situation est critique pour l’élevage et le pastoralisme.

Nous venons d’obtenir le classement de notre commune en cercle 1 par rapport au risque avéré d’attaques de loup, ce qui reconnaît l’évolution de la situation. Cela nous permettra d’embaucher un berger quelques mois, pour nous soulager du surplus de travail quotidien que demandent les mesures de protection contre la prédation des loups (parcs électrifiés, parcs de regroupement nocturne, gardiennage, gestion des chiens de protection, etc.). Mais nous n’avons toujours pas reçu d’indemnités à la suite de l’attaque du 5 novembre. Et nous avons estimé à plus de 100 euros par brebis tuée nos pertes non couvertes par ces indemnités.

300 habitants, élus et éleveurs se sont réunis à Ballons (Drôme) le 19 novembre pour soutenir le pastoralisme, comme étant une richesse de nos territoires aussi bien sociale qu’économique et environnementale. La sénatrice de la Drôme Marie-Pierre Monier, présente lors de cette mobilisation, a posé une question orale au gouvernement le 21 novembre, demandant le reclassement du loup. Elle a aussi invité officiellement les ministres de la Transition écologique et de l’Agriculture à venir en Drôme afin que nous leur remettions les clés de nos élevages… Mais les réponses tardent à venir.

Invitation de Marie-Pierre Monier à Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire.

Nous sommes démunis face à l’intensité et à la violence de ces attaques. Les services de l’État ne réagissent pas, nous laissant seuls face à cette situation critique pour les éleveurs, les bergers et leurs familles. Les conséquences pour nos territoires ruraux vont être terribles si le pastoralisme n’y a plus sa place.

Estimation de la taille de l’empreinte.
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