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Découvertes

Quand les robots sexuels auront envahi le monde

Avec les progrès de la robotique molle et de l'IA, les robots sexuels pourraient bientôt parvenir à un réalisme saisissant. Quelles en seront les conséquences ? Dans la lutte pour l'égalité hommes-femmes, elles pourraient être désastreuses.

Gremlin/Getty Images
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Nous sommes à Barcelone, près des fameuses Ramblas, au mois de février 2017. Une maison close vient de remplacer une partie de ses employées. Plusieurs femmes en situation de prostitution ont dû prendre la porte, substituées par des robots sexuels.  

Il y a Lili, avec un physique asiatique. Leiza, à la peau en silicone couleur ébène. Ou même Aki, qu’on essaie de faire ressembler à un personnage de hentai avec ses cheveux bleus fluo. Il faut payer 80 euros en ligne pour passer 30 minutes avec l’une de ces demoiselles humanoïdes.

VOIR AUSSI : Poupées sexuelles d'enfants : outil de lutte ou d'incitation à la pédophilie ?

L’établissement s’appelle Lumidolls et c’est la première maison close employant des robots dans le monde. Il a dû fermer peu après son ouverture, à cause de la pression engrangée par la trop forte médiatisation. Puis a finalement réouvert, selon le tabloïd britannique The Sun qui s’est rendu sur place en octobre. Désormais, les patrons de Lumidolls entendent même ouvrir un nouvel établissement au Royaume-Uni. La rançon du succès.

La course au robot sexuel, la lutte contre la poupée juvénile

Mais pourquoi des clients habitués de services de prostituées viennent-ils faire l’amour avec des robots ? Quel intérêt, un prix moins cher ? Non.

Les clients viennent à Lumidolls car ils peuvent faire à des robots sexuels ce qu’ils ne peuvent pas faire à des femmes. Des pratiques sexuelles diverses qui vont jusqu’aux désirs violents ou illégaux, comme le viol ou la pédophilie. Jusqu’au point où Sergio Prieto, co-fondateur de la maison close, a dû bannir ce type de clients et ces fantasmes. "Il existe des poupées qui sont petites et ressemblent à des enfants. C’est un choix éthique de notre part de ne pas fournir ce type de service", expliquait-il dans une interview au Daily Star.

Beaucoup d’autres entreprises se lancent dans le business de la sex tech, un marché déjà estimé à 30 milliards de dollars

Car le business des poupées sexuelles d’enfants existe déjà. Au Japon, la société Trottla, fondée par un certain Shin Takagi, s’adresse explicitement aux pédophiles et connaît un succès croissant. Lorsque les services des douanes ont découvert son achat, un Américain a été arrêté pour avoir importé l’une des poupées Trottla sur le territoire national.

Du côté des robots sexuels féminins adultes, la course pour la première qui réussira à s’imposer comme leader du marché a déjà commencé. Harmony, le plus cher des robots sexuels, conçu par la société RealDolls en Californie, coûte pas moins de 15 000 dollars et se présente comme "le premier robot sexuel avec une intelligence artificielle". Beaucoup d’autres entreprises se lancent dans le business de la sex tech, un marché déjà estimé à 30 milliards de dollars, comme l'affirme le Guardian. Des affaires qui rapportent gros, pour des poupées qui ne disent jamais non.

Et si demain, les robots sexuels devenaient mainstream ?

Pourtant, les robots sexuels n’en sont encore qu’à l’état de prototype. RealDolls est une filiale d’Abyss Creation, créé par un artiste nommé Matt McMullen. En 1994, alors qu’il avait du mal à gagner sa vie, celui-ci a réalisé une exposition avec des mannequins très réalistes. Il a mis en ligne des images de ses créations pour obtenir un retour de la communauté artistique américaine. Non seulement les premiers internautes ont aimé, mais ils lui ont demandé s’il pouvait leur donner un aspect encore plus érotique. En prenant sa femme comme modèle, Matt McMullen a réalisé dix poupées sexuelles qu’il a pré-vendu à 5 000 dollars l’unité.

L’idée était lancée. En 1996, l’ex-artiste crée Abyss Creation, comme le rapporte Anthony Ferguson dans "The Sex Doll : A History" (2010). Dix ans plus tard, les entreprises similaires ont commencé à fleurir à travers le globe. Elles s’appellent désormais Mimicon, SuperBabe, 1st-PC, First Androids, Loveable Dolls, Mechadolls ou Doll No Mori. Elles sont américaines, allemandes, japonaises, créent des robots et proposent même des services d’escorting.

Ces "poupées" se transforment peu à peu en "robots". Avec l’évolution de l’informatique et des capteurs, on a commencé à leur intégrer les caractéristiques nécessaires au réalisme le plus poussé. Yeux équipés de caméras capables de traquer le mouvement, intelligence artificielle faible leur permettant d’avoir un semblant de conversation, peau en silicone et non plus en plastique, etc, etc.

Maintenant, posons une interrogation. Et si, demain, les robots sexuels atteignaient un niveau de réalisme véritablement saisissant ? Si les progrès de la neurologie, de la robotique molle ou l’intelligence artificielle venaient à faire de ces prototypes de véritables androïdes sexuels ? S’ils étaient véritablement capables d’imiter l’être l’humain, de le dépasser dans la transmission du plaisir physique ?

La fin de la prostitution et de l’exploitation des femmes ?

Dans ce cas, la seule interrogation qui vaille – en admettant que le marché des robots sexuels va continuer à prendre de l’ampleur – c’est celle des conséquences. Qu’est-ce que les robots sexuels vont changer dans les rapports humains ? Face à la curiosité et à l’engouement technologique que ces robots sexuels inspirent, une réponse s’impose, à contre-courant : les robots sexuels vont perpétuer et contribuer aux inégalités de genre dans notre société.

En 2015, Kathleen Richardson, chercheuse en éthique et culture robotique et professeure à la Montfort University, a fondé le groupe de militants, "Campaign Against Sex Robots", qui lutte contre la multiplication des robots sexuels. "Vous devez penser à ce qui façonne l’idée de robots sexuels et de poupées sexuelles. Reconnaissons qu’il y a une culture de déshumanisation de la femme qui existe dans notre société, un processus d’objectification qui passe soit par la pornographie ou la prostitution", explique-t-elle à Mashable FR. "Tous ces types de poupées qui sont créées et achetées à travers le monde le sont par des hommes. Je ne dis pas que beaucoup d’hommes achètent des poupées aujourd’hui, mais que celles vendues représentent des femmes ou des jeunes filles. Cela nous dit quelque chose sur notre société."

On pourrait lui rétorquer plusieurs choses. Et s’il y avait des robots sexuels masculins, cela changerait-il la donne ? Les premiers pourraient être mis sur le marché cette année par RealDolls. Kathleen Richardson balaie ces arguments et elle n’est pas la seule. "Par exemple, à Stuttgart, en Allemagne, vous pouvez vous rendre dans des immenses bordels qui sont remplis de jeunes filles de 18 ans venant d’Europe de l’Est. Vous ne pouvez pas aller à Stuttgart et trouver un bordel rempli de jeunes hommes de 18 ans. Les femmes n’achètent pas le corps des hommes", nous affirme encore Kathleen Richardson.

Ian Yeoman et Michelle Mars de l'université Victoria de Wellington ont publié un rapport intitulé "Robots, men and sex tourism" (2012). Ils prédisent que d’ici l’année 2050, le fameux Red Light District d’Amsterdam possèdera autant de robots féminins que de femmes. Pas d'hommes. "Le choix de la représentation sera très largement déterminé par le choix de la demande sur le marché", écrit la Foundation for Responsible Robotics (FRR), un observatoire fondé par deux professeurs américains, qui a publié un rapport à la fois accessible et complet sur les robots sexuels ("Our sexual future with robot", 2017, en PDF complet et gratuit).

"L'existence de centaines de milliers de prostituées autour du monde et une industrie pornographique à plusieurs milliards n’a jamais mis un terme aux viols"

Les défenseurs des robots et poupées sexuelles affirment également que, lorsqu’ils seront de meilleures factures, ces objets pourraient signer la fin de la prostitution et aider les délinquants sexuels à se rediriger leurs pulsions. Un mal pour un bien, en somme. En 2007, c’était aussi l’opinion de David Levy, maître international du jeu d’échecs, auteur et chercheur en intelligence artificielle qui fut le premier à publier un essai complet sur le sujet. Dans "Love and Sex with Robots", où il écrit que "l’amour avec les robots sera aussi normal que l’amour avec les humains", il souligne également que "beaucoup de personnes socialement inadaptées, à la marge ou pire, pourraient [grâce aux robots] trouver un meilleur équilibre".

La FRR a analysé l’ensemble de ces arguments – pour et contre – et assure "qu’il n’y a pas d’études empiriques prouvant" que les robots aideraient à tempérer les ardeurs des délinquants sexuels. Concernant le proxénétisme, ils concluent en déclarant n’avoir trouvé "aucune indication prouvant que les robots vont mettre un terme à la prostitution ou au trafic d’êtres humains durant notre investigation ou nos sondages".

Meghan Murphy, journaliste et militante féministe canadienne, rédactrice en chef du site Feminist Current, écrivait également ces mots très justes : "Il est irrationnel de croire qu’offrir à des hommes quelque chose qui ressemble physiquement à une femme (…) pour les battre et les violer va décourager les hommes de considérer les femmes comme des objets (…). Comme nous le savons, l’existence de centaines de milliers de femmes prostituées autour du monde et une industrie pornographique à plusieurs milliards n’a jamais mis un terme aux viols ou à la maltraitance."

Le corps et l’esprit

Les histoires d’hommes nous disent quelque chose sur les rapports de domination qui ont cours dans notre monde. Celles d'hommes remplaçant leur femme par des robots nous disent quelque chose sur notre société. Le robot Frigid Farah, issu de la gamme Roxxxy commercialisée par la société américaine TrueCompanion depuis cette année est programmé pour être "timide et réservée". Sur le site de l’entreprise, il est écrit que si on la touche "dans des zones privées, il est fort probable qu’elle n’apprécie pas vos avances". Dans le New York Times, l’auteure féministe britannique Laura Bates affirme qu’il s’agit d’un robot programmé pour être réticent, et ainsi pouvoir être violé. Nous n’en sommes pas loin.

Considérée comme un sujet "à la marge", la robotique sexuelle est purement liée à l’intimité des rapports humains. L'utilisation de ces objets, si l'on admet que le marché va continuer à prendre de l'ampleur avec l'évolution de la technologie, érotise et démocratise, normatise le viol, la violence sexuelle, la domination des uns et la soumission des autres. Les robots sexuels ne sont alors que des objets perpétuant l'idée que l'homme peut abuser sexuellement de la femme.

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