"We can do it!" ("Nous pouvons le faire!). Affiche réalisée en 1943 et conservée aux Archives nationales américaines.

"We can do it!" ("Nous pouvons le faire!). Affiche réalisée en 1943 et conservée aux Archives nationales américaines.

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Avec son bandana rouge à pois, sa chemise retroussée et son poing levé, tout le monde la connaît. L'affiche "We can do it!" a fait plusieurs fois le tour du monde depuis sa création, en 1943, aux États-Unis. Symbole de l'émancipation féminine et féministe, elle est ressortie des cartons à l'aube des années 1980 pour porter les mouvements de lutte contre les inégalités de genre.

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Son objectif était pourtant bien différent à l'origine. Mise au point pour inciter les Américaines à soutenir l'effort de guerre pendant que les hommes étaient au front, cette affiche de propagande a été maintes fois réutilisée et détournée à des fins militantes, politiques, voire publicitaires.

Naomi Parker Fraley, la femme qui a inspiré ce poster, est décédée mardi, à l'âge de 96 ans. A l'occasion de sa disparition, L'Express revient sur l'histoire de cette icône devenue, plus qu'un emblème féministe, un produit marketing.

Participer à l'effort de guerre

Début des années 1940, aux États-Unis. Les ouvriers ont quitté en masse le pays pour rejoindre Pearl Harbor -bombardé par surprise en 1941 par les Japonais- et les navires vers l'Europe, où ils se battent aux côtés des Alliés. Mais pour faire la guerre, il faut des armes et des munitions. Et les hommes ne sont plus là pour manier les machines qui permettront de les produire.

Il ne reste que les femmes. Pour les motiver, les industriels font dessiner des affiches mettant en avant des slogans mi-ouvriers, mi-guerriers, qui représentent des travailleurs s'en prenant à Hitler.

Keep'em firing

"Let's go, everybody! Keep'em firing!" ("Allez tout le monde ! Pour qu'ils puissent continuer à tirer!"). Affiche imprimée en 1942 et conservée aux Archives nationales américaines.

© / Wikicommons

Comme l'explique l'auteure du blog Raconte-moi l'histoire, des tensions apparaissent cependant entre ouvriers et patrons. Pour que la production n'en pâtisse pas, les industriels dégainent alors de nouvelles affiches, mettant côte à côte le bras portant un bleu de travail de l'ouvrier et celui de la chemise blanche du manager.

Together we can do it

"Together we can do it!" ("Ensemble nous pouvons le faire"). Affiche réalisée en 1942 et conservée aux Archives nationales américaines.

© / Wikicommons

Mais le moral des troupes est vraiment atteint. Les hommes ne sont pas revenus de la guerre et les femmes s'absentent de plus en plus. La société Whestinghouse Electric décide donc, toujours avec des posters, de s'adresser aux premières concernées. J. Howard Miller est mandaté pour réaliser une série de 42 affiches, dont la fameuse "We can do it!" qui sera tirée à 1800 exemplaires pour être affichée dans les usines.

We can do it

"We can do it!" ("Nous pouvons le faire!). Affiche réalisée en 1943 et conservée aux Archives nationales américaines.

© / Flickr

Elle montre une jeune femme en bleu de travail, un foulard à pois noué sur la tête et la manche relevé, pour travailler. Le visage maquillé, cette "Rosie" (nom donné aux travailleuses de la Seconde guerre mondiale) et ses délicates mains aux ongles manucurés contraste avec la tâche à accomplir, mais aussi avec le sort réservé aux six millions de femmes tout juste entrées sur le marché du travail.

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Harcelées par les managers, deux fois moins payées que leurs collègues masculins, elles sont remerciées dès le retour des soldats, malgré la volonté pour 80% d'entre elles de garder leur emploi. Les femmes sont renvoyées au foyer pour faire des enfants et s'en occuper et l'affiche tombe dans l'oubli, jusqu'au début des années 1980.

Retour en grandes pompes

Redécouverte grâce à un article du Washington Post sur les affiches patriotiques, comme le fait remarquer l'association Osez le féminisme, l'affiche conservée par les Archives nationales américaines fait immédiatement l'objet d'une réappropriation par les mouvements féministes, alors en pleine expansion. Le "We" ("nous") qui englobait autrefois les ouvriers unis dans un effort patriotique est réinterprété en "We the women" ("nous, les femmes"). Les féministes y voient une personnification de l'émancipation des femmes.

Au même moment, une certaine Geraldine Doyle apprend dans la presse qu'une photo la représentant dans une usine du Michigan pouvait avoir servi de modèle à la désormais très célèbre affiche. Elle en récolte les fruits jusqu'à sa mort, en 2010, persuadée d'être la jeune femme sur la photographie. Ce n'est qu'en 2016 que la vérité éclate. Au terme d'une enquête menée pendant six ans, le professeur James J. Kimble révèle que cette photographie représentait en réalité Naomi Parker Fraley. Par ailleurs, la scène ne se déroule pas dans le Michigan mais à Alameda, en Californie.

Naomi Parker

Photo de Naomi Parker Fraley, qui aurait inspiré la célèbre affiche, en 1942 à Alameda en Californie.

© / Wikicommons

"Les femmes de ce pays ont besoin d'icônes de nos jours. Si elles pensent que j'en suis une, cela me rend heureuse", a témoigné après ces révélations la nonagénaire dans une interview au magazine People. Elle n'en fait pas un plat, parce qu'elle le sait, cette image a depuis longtemps dépassé sa personne.

Symbole féministe ou emblème capitaliste?

Consciente du potentiel de ce cliché internationalement connu, il ne faut pas non plus très longtemps à l'industrie de la pop culture pour s'en emparer. Ainsi, En 2011, le groupe Marvel Entertainment s'en sert pour la promotion de son film Captain America: First Avenger. Quatre ans plus tôt, Christina Aguilera en avait déjà repris les codes pour le clip de Candyman. Tout comme la chanteuse Pink dans le clip de Raise your Glass en 2010. En 2014, quelques mois après avoir signé une tribune pour l'égalité salariale, Beyonce fait de même dans le clip de Why don't you love me?. Elle poste également un pastiche similaire sur Instagram, qui lui vaut de nombreuses critiques.

Il faut dire que "We can do it" est surtout devenu un produit rentable, voire un emblème du capitalisme. L'image sert à vendre des bouteilles d'eau, est dérivée en aimant à frigo, en tasse à café ou en t-shirt. Une marque de produits nettoyants reprend également l'image pour faire la publicité de ses détergents et une entreprise de services à la personne l'utilise pour proposer des femmes de ménage -ce qui révolte bon nombre de militants. L'affiche devient un outil marketing, quitte à diffuser un message contraire à celui de l'émancipation féminine.

Logo Maid to clean

Logo de la société "Maid to clean", qui propose les services de femmes de ménage.

© / Maidtoclean.com

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