Près de dix ans après sa création, le Mouvement 5 étoiles (M5S) vit un tournant majeur. Les sondages le donnent en tête des intentions de vote pour les élections générales du 4 mars. Et c’est à quelques semaines de cette échéance cruciale que Beppe Grillo, cofondateur et figure emblématique du mouvement, a décidé de sortir de scène. La rumeur courait depuis quelque temps déjà, elle est aujourd’hui confirmée.

En septembre déjà, le M5S – qui refuse l’appellation de “parti” et ne se dit ni de gauche ni de droite – avait franchi une étape en se choisissant un candidat au poste de Premier ministre en vue des élections : le jeune Luigi Di Maio (31 ans), désormais présenté comme le “chef de file politique” du M5S. Qu’adviendrait-il de la figure emblématique de Beppe Grillo ? “Je serai là quand même, avait précisé l’intéressé, je suis le père et le fondateur.”

Le 15 janvier pourtant, L’Espresso annonçait le départ imminent de Grillo. Le magazine tenait de source sûre que le comique génois s’apprêtait à reprendre sa liberté et la propriété de son blog, qui servait jusqu’alors de plateforme au M5S – non sans alimenter la critique de la part de ceux qui s’étonnaient qu’un mouvement promouvant la démocratie directe et la transparence se structure autour d’un blog nominatif géré par l’entreprise de l’associé de Grillo.

Le M5S a bien changé

Le 23 janvier, ces prévisions sont devenues réalité, souligne L’Espresso. Le blog a fait peau neuve, “et il est tout ce que le précédent n’était plus : son graphisme est épuré, sans pub, sans références à l’actualité politique et judiciaire, sans titres vociférants, sans polémiques et sans manifestes électoraux.” Une vidéo de Beppe Grillo, en page d’accueil, achève de “disperser tout doute sur les sentiments du comique. En dix minutes, il ne cite pas une seule fois le Mouvement 5 étoiles, note le magazine. Difficile d’y voir autre chose qu’un divorce.”

C’est que, des origines à aujourd’hui, le mouvement a bien changé. Structuré autour des idéaux de transparence, d’horizontalité, de probité et d’honnêteté, le M5S est entre-temps arrivé au pouvoir (notamment aux mairies de Rome et Turin), il a accumulé ses propres scandales et mises en cause judiciaires ; il a connu ses propres dissensions internes et, en fait d’horizontalité, s’est doté de règlements sévères (et verticaux) et a procédé à des exclusions.

À ses débuts, Beppe Grillo promettait, à coups de harangues très vocales, de renverser la table et invoquait notamment la défense de l’environnement et un Internet libre. Aujourd’hui, le discours de ses figures de proue, nettement plus policé, porte davantage sur la défense des PME et une ligne dure sur l’immigration. Jusqu’à récemment, le M5S faisait trembler l’Europe avec la perspective d’un référendum sur la sortie de l’euro ; désormais, Di Maio ne juge plus ce projet opportun. Autrefois, les grillini rejetaient toute la classe politique dans un même “tous pourris”, à présent, Di Maio se dit disposé à “créer des convergences” autour de certains points programmatiques au lendemain des élections.

“Le sorcier a pris peur du monstre qu’il a créé”

Si Grillo s’en va, estime Il Giornale, très critique au sujet du M5S, c’est parce que “le sorcier a pris peur du monstre qu’il a créé. Il a dégoupillé la bombe atomique, et le voilà qui recule.” De son côté, La Repubblica observe que, voyant son mouvement en voie de “normalisation”, “le patriarche revient à l’utopie”.

Il n’est pas facile de concilier vision et pragmatisme dans un parti. Au début, ce sont les grandes idées qui prévalent, puis, peu à peu, les contingences prennent de la place et vous obligent à revoir vos perspectives utopistes à la baisse. L’élan révolutionnaire et visionnaire est en train de s’essouffler. Il était naturel que cela advienne et que les jeunes figures du mouvement […] en prennent les rennes.”