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Les signe religieux « ostensibles » interdits dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale

Le texte adopté recommande aux députés une tenue vestimentaire « neutre » et une « expression exclusivement orale ». Une mesure qui va contre la liberté d’expression pour certains élus.

Par  et

Publié le 25 janvier 2018 à 06h40, modifié le 25 janvier 2018 à 11h36

Temps de Lecture 3 min.

Le président de l’Assemblée nationale, François de Rugy, à Paris, le 26 septembre 2017.

De 1945 à 1951, l’abbé Pierre, député (apparenté MRP, c’est-à-dire démocrate-chrétien) de Meurthe-et-Moselle, siégeait en soutane dans l’hémicycle. Une telle situation ne pourra plus se reproduire. Le bureau de l’Assemblée nationale a adopté, mercredi 24 janvier, une mesure interdisant le port de signes religieux « ostensibles » et contraignant les députés à avoir une tenue vestimentaire « neutre ».

François de Rugy, le président (La République en marche, LRM) de l’institution, fait d’une pierre deux coups avec cette décision. Il règle d’abord une querelle qui est allée crescendo depuis le début de la session parlementaire avec les députés de La France insoumise (LFI). Ceux-ci avaient plusieurs fois brandi des objets en séance, notamment un paquet de pâtes.

Dernier incident en date : François Ruffin, député de la Somme, était monté à la tribune portant un maillot de football pour évoquer la situation des clubs amateurs. Le bureau de l’Assemblée a modifié l’article 9 de l’instruction générale pour prévoir que, « dans l’hémicycle, l’expression est exclusivement orale », ce qui interdit de brandir des objets.

Par cette décision, le titulaire du « perchoir » s’invite aussi dans la querelle des laïcités et se place du côté des partisans d’une moindre tolérance à l’égard de la place du religieux dans la société. La tenue vestimentaire, précise le texte, « ne saurait être le prétexte à la manifestation de l’expression de quelconque opinion : est ainsi notamment prohibé le port de tout signe religieux ostensible, d’un uniforme, de logos ou de messages commerciaux ou de slogans de nature politique ».

De Rugy : « La foi est une affaire privée »

Lors du 90e anniversaire de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), le 14 novembre 2017, François de Rugy avait déjà eu l’occasion de dire qu’à ses yeux « la foi est une affaire privée qui n’a de valeur que si elle le demeure ». « Il aura l’occasion de s’exprimer sur cette question dans les mois qui viennent », indique son entourage, précisant qu’il juge notamment que « l’islam doit aussi faire sa transition laïque ».

Mercredi, à l’Assemblée nationale, rares ont été les voix à critiquer la mesure sur le port de signes religieux ostensibles. Cet arrêté du bureau est « contraire à la liberté d’expression », ont affirmé des députés communistes dans un communiqué.

« Dans une République laïque, nul ne peut être discriminé en fonction de son appartenance religieuse. C’est un bouleversement de la conception que nous avons de la laïcité depuis deux cents ans », a lancé pour sa part le député socialiste François Pupponi (Val-d’Oise), « catastrophé ». Le président de son groupe, Olivier Faure (Seine-et-Marne), n’a au contraire « aucun problème » avec cette décision.

« Cela me paraît correct dans une enceinte qui représente la République », a estimé pour sa part la députée Clémentine Autain (LFI, Seine-Saint-Denis), pourtant vent debout contre le reste des propositions sur la tenue vestimentaire.

« Le peuple n’est pas laïque »

Bien que policée, la réaction de l’Observatoire de la laïcité à cette décision met en lumière un certain nombre de questions. L’organisme public présidé par Jean-Louis Bianco indique que la mesure du bureau de l’Assemblée ne « porte pas sur la laïcité » et rappelle que « les élus ne sont, par définition, pas neutres ». Ils ne peuvent donc être astreints, à l’extérieur de l’hémicycle, à un principe de neutralité « qui s’impose aux seuls fonctionnaires et assimilés », ni au « principe d’encadrement des signes religieux qui s’impose aux élèves des écoles, collèges et lycées publics » depuis la loi de 2004 « en raison de leur jeune âge ».

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L’Observatoire soulève un autre aspect du problème qui pourrait déboucher sur un débat juridique embarrassant pour le bureau de l’Assemblée nationale. L’article 61 de la Constitution prévoit en effet une vérification automatique de la constitutionnalité du règlement de l’Assemblée en cas de modification. Le bureau a pris soin d’insérer sa réforme non dans le règlement, mais dans l’instruction générale, qui, elle, n’est pas soumise à un tel contrôle. Or, selon l’organisme, si cette nouvelle instruction est en réalité « une modification du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, elle pourrait être contrôlée par le Conseil constitutionnel, notamment au regard de la liberté d’expression des parlementaires ». Une manière polie de dire qu’à ses yeux la réforme pourrait écorner ce principe de libre expression.

La mesure ne passe pas bien non plus du côté de l’Eglise catholique. « Si, pour répondre à la tenue jugée inadaptée d’un député, il faut décréter des mesures qui touchent à la possibilité pour des élus d’exprimer des convictions – qu’ils ont par définition –, c’est exagéré, ironise le secrétaire général de la Conférence des évêques de France, Olivier Ribadeau-Dumas. S’il y a bien un lieu où l’on doit pouvoir discuter de tout, c’est bien l’Assemblée nationale. Les députés représentent le peuple, et le peuple n’est pas laïque. »

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