Pourquoi le féminisme n'est pas un puritanisme?

Un policier mesurant dans les années 1920, la longueur des jambes dénudées, afin de vérifier si la tenue de bain est bien réglementaire.  ©Getty -  Gamma-Keystone
Un policier mesurant dans les années 1920, la longueur des jambes dénudées, afin de vérifier si la tenue de bain est bien réglementaire. ©Getty - Gamma-Keystone
Un policier mesurant dans les années 1920, la longueur des jambes dénudées, afin de vérifier si la tenue de bain est bien réglementaire. ©Getty - Gamma-Keystone
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Le traité sur l'éducation des femmes du libertin Choderlos de Laclos vient de reparaître, il indique un chemin entre égalité et désir. Il ne s'agit pas de "mouvement Me too" mais de moment.

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« Le féminisme n’est pas un puritanisme » : tel pourrait être le titre d’une tribune publiée dans Le Monde, une de plus, après celle qu’on a appelée la « tribune des 100 » pour la liberté d’importuner. Cette tribune-ci serait signée d’un homme du 18ème siècle, l’auteur des libertines Liaisons dangereuses, Choderlos de Laclos. Ouvrage taxé de licencieux, condamné à être détruit pour outrage aux bonnes mœurs, et mise ensuite à l’index par la police. Deux siècle plus tard il n’avait rien perdu de son souffre dans l’adaptation de Stephen Frears avec John Malkovitch (Valmont) agrippant Michèle Pfeiffer (Mme de Tourvel) par les cheveux… 

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Il se trouve que dans un geste double d’écriture, Choderlos de Laclos a publié dans la foulée des Liaisons Dangereuses un petit traité intitulé « De l’éducation des femmes ». Il reparaît aujourd’hui aux Editions des Équateurs préfacé par la philosophe et historienne de la pensée féministe Geneviève Fraisse. Une reparution à point nommé pour nous éclairer, ça tombe bien pour un homme des Lumières, dans un débat quelque peu caverneux… Et à choisir je préfère mobiliser cet héritage lumineux du passé, que de voir ici et là des comparaisons-points Godwin ravivant des spectres de « délation », « d’épuration » ou de « totalitarisme ».  Voici ce que Choderlos de Laclos écrit : « Venez apprendre comment, nées compagnes de l’homme, vous êtes devenues son esclave; comment, tombées dans cet état abject, vous êtes parvenues à vous y plaire, à le regarder comme votre état naturel ». Un esclavage dont il convient selon l’auteur, de sortir par la révolution. Mais il prévient, défigurées par les institutions, le chemin qu’ont les femmes à parcourir pour se retrouver, libres et égales en somme, sera long et pénible.

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Le défi à venir est celui de croiser désir et égalité

Comme le rappelle Geneviève Fraisse, Laclos prouve que la contradiction entre libertinage et droit des femmes, devenue un marronnier idéologique après la révolution française et encore aujourd’hui, surtout aujourd’hui, ne tient pas. Il concilie le libertinage du roman avec la critique de l’avilissement des femmes dans ce double geste d’écriture. Ce n’est pas un combat de puritain ni une machine égalitaire à briser le désir, que de souhaiter que les femmes mettent fin à un contrat qui les dessert. Non, c’est un horizon démocratique qui se dessine. Geneviève Fraisse le résume ainsi, Choderlos de Laclos, dans ce geste, « indique que le défi à venir est celui de croiser désir et égalité. » Un monde où les uns et les autres se désirent au fond jamais comme des objets mais toujours comme des sujets. Sans hiérarchie des sexes. Et en effet ce monde où érotisme et égalité se tiennent ensemble reste à réinventer.  

Oui mais me direz-vous Laclos n’a pas voulu réécrire les Liaisons Dangereuses… Or cet élan de libération de la parole sur les violences sexistes, « mouvement me too » comme on l’appelle ou « mouvement balance ton porc » est aujourd’hui accusé de décrocher des Balthus, de s’en prendre à Egon Schiele, Bizet, Fragonard, Blow up, La Belle au Bois Dormant. Il fait peur. Oui, si vous me permettez de passer de Laclos à Laetitia Casta et sa tribune dans le Monde, elle dit « je suis inquiète des demandes de retrait de tableaux de musée ou de la réécriture d’opéras ou d’œuvres littéraires et je suis inquiète de la violence des mots utilisés. Ai-je le droit de dire cela sans avoir peur ? ». Mais de quoi parle-t-on ? Il ne s’agit pas d’un « mouvement » mais d’un « moment ». Oprah Winfrey aux Etats-Unis l’affirme « nous avons tous vécu dans un monde brisé par des hommes puissants et brutaux […] Mais leur temps est révolu ». Elle parle bien de temps. Un moment où se tiennent ensemble des excès, des débats sur l’art et la morale, des mobilisation spectaculaires, des récits littéralement inouïs parce qu’on osait pas les formuler, des affirmations d’un droit égal à vivre sans être une proie, un droit égal à vivre sa sexualité sans souffrir du puritanisme justement... Tout ensemble, parce que le chemin pour croiser égalité et désir est long. Et que pour l’instant nous nous tenons dans un temps du paradoxe d’où peut sortir une vérité. Il est un peu tôt pour avoir peur.

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