Affaire Théo à Aulnay, un an après : «J’essaie de me remettre d’aplomb»

Théo, 22 ans, victime d’un viol présumé lors d’un contrôle de police, le 2 février 2017 à Aulnay-sous-Bois.

 Aulnay-sous-Bois, mercredi 10 janvier. Théo chez lui dans le quartier Balagny, un an après avoir été grièvement blessé lors d’un contrôle policier.
Aulnay-sous-Bois, mercredi 10 janvier. Théo chez lui dans le quartier Balagny, un an après avoir été grièvement blessé lors d’un contrôle policier. LP/Arnaud Dumontier

    Propos recueillis

    Un an après avoir été grièvement blessé lors d'un contrôle de police à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Théodore Luhaka, dit «Théo», a toujours de graves séquelles qui l'empêchent de jouer au foot, dont il espérait faire son métier. Il nous a reçus chez lui le 10 janvier, dans le quartier Balagny, où il habite désormais avec sa famille, après avoir déménagé de la cité de la Rose-des-Vents, quelques mois après son viol présumé, pour «changer d'air». Maîtrisant sa communication, pesant chaque mot - par prudence, pour que sa parole ne se retourne pas contre lui lors du futur procès - Théo explique sa lente reconstruction. Et attend une justice «exemplaire».

    Comment vous sentez-vous aujourd'hui, psychologiquement et physiquement ?

    Théodore Luhaka. Vous dire que ça va bien serait mentir. Ce n'est pas facile, ni pour moi, ni pour ma famille. J'ai toujours une poche (NDLR : elle lui a été administrée par les médecins en raison de la déchirure anale et de la perforation du colon qu'il a subies), avec des séquelles bien présentes. Je ne m'y suis toujours pas habitué. Je n'ai pas l'impression que cela cicatrise plus que ça, c'est comme au début. L'hôpital n'est pas encore en mesure de me dire quand je pourrais enlever la poche. J'ai des rendez-vous prochainement, j'espère plus de réponses.

    Mentalement, on fait avec, il faut rester fort. Certains voudraient que je craque. Mais je ne craquerai pas.

    Depuis un an, que s'est-il passé ? Il y a eu les soutiens, puis les soupçons sur votre famille*…

    Ce qui m'arrive à moi, le viol du 2 février, cela a eu un impact sur toute ma famille ! Tous les soucis de ma famille sont passés après ce qui m'est arrivé. Cette année a été la pire pour moi et ma famille, mais aussi la plus belle. Parce qu'on a vécu beaucoup de choses très graves, mais on est restés soudés, on ne devait pas se laisser abattre.

    S'agissant du judiciaire, c'est l'avocat qui s'en occupe. Je n'ai pas d'informations là-dessus.

    Comment serait votre vie aujourd'hui si rien ne s'était passé le 2 février dernier ?

    Je serais à fond dans le football, comme je l'étais dans ma jeunesse, encadré par mes frères (NDLR : Théo est le dernier d'une fratrie de huit frères et sœurs) comme ils l'ont toujours fait. J'étais dans une bonne dynamique, ils m'avaient trouvé un club en Belgique, à Hamoir. J'espère rejouer au foot un jour, cela reste un objectif majeur pour moi.

    Au quotidien, est-ce que le regard des habitants de la Rose-des-Vents a changé ?

    Au quartier, c'est toujours pareil, même si je suis plus connu. Beaucoup de parents et de tout-petits me parlent. J'essaie de faire en sorte que quand les gens me voient, ils ne voient pas le Théo qui s'est fait violer par la police, mais le Théo «normal», alors je garde le sourire avec tout le monde. Si ça ne va pas, je vais dans mon coin, tout seul, mais je ne le montre pas aux gens.

    Est-ce que vos relations avec les policiers sont différentes depuis l'affaire ?

    Les choses ont carrément changé. C'est même devenu très bizarre. Par exemple, je suis dans la rue, les policiers passent en voiture, ils me voient et font demi-tour, comme s'ils avaient vu une bête curieuse. Je les vois bien : ils discutent entre eux, ils disent «Y a Théo»… Même les policiers qui viennent de Paris font ça ! Maintenant, personnellement, la police… (NDLR : l'air soudain grave, visiblement marqué) je n'ai pas les mots

    Quels sont vos projets personnels ?

    Ma famille et moi avons toujours été dans l'optique d'aider les jeunes. Ce qui m'est arrivé le 2 février, on ne veut pas que cela arrive aux autres. Il ne faut pas qu'ils restent en bas à zoner. On a des projets, qui prennent forme. Depuis 2011, mes frères et moi, on essaie de réaliser un projet autour du football, parce que c'est ce qui rassemble. Mais ce ne sera pas uniquement centré sur le foot, on veut aussi développer des formations et donner une chance aux jeunes qui veulent réussir ou se réinsérer. Après, personnellement, j'aimerais aussi bien faire de la musique.

    Mais pour l'instant, j'essaie de me remettre d'aplomb pour faire ce que je rêve de faire. Physiquement, je ne suis plus prêt à faire grand-chose. J'essaie, j'essaie, mais le corps ne suit plus comme avant.

    Qu'attendez-vous du procès ?

    Une justice ferme et exemplaire. Que les policiers prennent conscience qu'il faut un bon comportement lors des contrôles. Il y a toujours des contrôles qui se passent mal. Après c'est valable des deux côtés, je ne dis pas que c'est que la police, les jeunes ont aussi une responsabilité. J'espère que mon procès (NDLR : l'instruction est toujours en cours) servira d'exemple à tout le monde.

    *Une information judiciaire a été ouverte le 4 août par le parquet de Bobigny pour notamment « escroquerie en bande organisée » et « blanchiment ». Elle porte sur la gestion de plusieurs associations dirigées par le frère de Théo.