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Procès Jawad Bendaoud : bienvenue au spectacle de "guignol"

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Philippe Cohen-Grillet , Mis à jour le

Surréalistes, les audiences où s'exprime le « logeur de Daech » sont ponctuées par ses dérapages et délires verbaux. Récit d'un sidérant spectacle judiciaire qui tourne au cirque, sous le regard médusé des victimes des attentats.

Tout procès revêt une part théâtrale. Celui de Jawad Bendaoud et de ses deux co-accusés, qui s'est ouvert mercredi 24 janvier devant la 16ème chambre du tribunal correctionnel de Paris relève, lui, du surréaliste et indigne Guignol.

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Lors de la première audience, le « logeur de Daech », cheveux en catogan, bouc soigneusement entretenu et surpoids acquis en prison, boudiné dans un polo blanc, faisait bonne figure. Trop calme, comme réprimant son caractère éruptif. Dès la lecture de l'acte d'accusation, le cinéma a débuté : le prévenu essuie une larme, puis deux et le voilà presque sanglotant lorsque la présidente égrène les faits qui lui sont reprochés, recel de malfaiteurs criminels, ce qui peut lui valoir 3 ans ferme, portés à 6 car il se trouve en état de récidive légale.

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Un véritable cirque

Le véritable cirque, jamais vu dans une enceinte judiciaire, a suivi le lendemain avec son interrogatoire. Nerveux, agité, parlant avec le débit d'une mitraillette, Jawad Bendaoud s'est livré à un festival de répliques stupéfiantes ou consternantes. Il maintient ainsi qu'il ignorait que ceux qu'il hébergeait étaient des terroristes qui venaient d'ensanglanter Paris et l'exprime ainsi : « personne m'a mis au courant. On m'a vendu un bœuf bourguignon, j'ai fini avec un couscous. Voilà ce qui s'est passé ». La gastronomie devient un sujet récurent. Ainsi, le soir du 13 novembre, « j'étais avec mon père, il mangeait des lentilles au bœuf. A la télé, il y avait juste une carte avec des explosions à Paris et Saint-Denis. Mon père, il me dit que les terroristes de Paris, ils sont tous morts. Pour moi, y'en avait aucun en fuite ». Et encore une preuve qu'il n'était au courant de rien : « Sinon je serais pas rentré "tranquillou" chez moi pour manger un sandwich escalope-Boursin. J'en ai même donné un morceau à mon chien et j'ai regardé un film sur Netflix ». Pas de détails, en revanche, sur le programme télévisé.

Le voyou multi-récidiviste, souvent condamné, notamment à 8 ans pour avoir tué, sans intention homicide, un de ses amis à coup de feuille de boucher, sait aussi parler aux femmes. « Les femmes, faut les traiter comme des princesses », explique-t-il. Mais lorsqu'il est interrogé sur une conversation téléphonique avec la complice des terroristes, elle-aussi tuée à Saint-Denis, les choses se corsent : « D'habitude je raccroche jamais. Ben là, un jour j'ai dû raccrocher. Parce que j'étais avec une fille qui était enceinte de moi et quand je lui parlais, ma femme a compris qu'elle me demandait où était son string ». « Mon style de filles, c'est pas les maghrébines, je vous le dis tout de suite ». Et il n'a jamais levé les sur une femme, d'ailleurs, « Si je mettais un coup de poing à ma femme, là, je la tue ». La poésie continue lorsqu'il explique au tribunal, incrédule, « Nous on a toujours sous les testicules un petit peu de drogue, vous voyez ? ».

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« Ça fait 27 mois que je suis à l'isolement, mon cerveau, il me joue des tours », avance Bendaoud. Voilà possiblement une explication à ses propos baroques lorsqu'il est question des terroristes : « Mohamed Soumah [le co-accusé] qui m'amène des terroristes, c'est comme Joey Starr qui va rentrer chez Daech. Snoop Dogg il fait des soirées avec Ben Laden, c’est possible ça ! Eh ben Snoop Dogg il est là ! Des kamikazes, Madame ! Comment je pouvais me dire que mon pote, avec qui je fais du trafic de drogue, avec une Maghrébine qui fume des Marlboro light, ils vont me ramener des terroristes ? ». Il n'avait aucune raison de se douter que ceux qu'il hébergeait avaient commis des attentats car « dans ma tête, les terroristes de Paris [du 13 novembre 2015] ce sont des Pakistanais, des hindous, comme les mecs du 11-Septembre. Je pensais pas que c'était des mecs de mon âge, avec une casquette du PSG ». L'accusé exprime également un soulagement : « Je suis content d'être jugé en France. Si j'étais aux États-Unis, je serais déjà en tenue orange en train de m'accoupler avec des chiens ».

Soudain, Jawad sort de ses gonds

Vendredi 26 janvier, les questions de bouche se sont de nouveau invitées lorsqu'il évoque ses enfants : « Je leur achète à manger, y a pas un jour où ils ont pas leurs Granola, leurs Pépito, leurs gâteaux préférés. Mon fils, il m'adore. Je les amène au McDo, je leur achète des glaces ». L'échange avec Me Georges Holleaux, avocat de nombreuses victimes du 13 novembre, semble donc bien débuter. Mais soudain, le ton monte et Jawad sort de ses gonds, menace : « Vous me traitez comme un chien devant les médias. Je vais venir vous voir dans votre cabinet ! ». Scandale, les avocats se lèvent, la présidente suspend les débats. Une heure se passe, le temps de calmer l'esprit échauffé, mais toujours bouillonnant. A la reprise de l'audience, Bendaoud fait amende honorable : « Je voudrais m'excuser. Je tiens à m'excuser pour l'altercation. Mais je peux pas parler avec des gens qui me lynchent à la télé. Je me réserve le droit au silence. Finish, terminé ! ».

Le naturel revient au galop et les questions de Me Holleaux agacent : « Il prend les gens pour des cons ou quoi ? ». « Taisez-vous ! », « On dirait que vous êtes perché sur un arbre et on va avoir du mal à vous faire descendre ». « Y a des mecs à ma place, ils se seraient coupé les testicules, ils les auraient mis dans une barquette et ils auraient dit : tiens voilà mes couilles ». L'avocat tente de reprendre le fil malgré les invectives, les menaces et les propos outranciers. Le ton monte encore lorsque Me Holleaux l'interroge sur son empreinte ADN retrouvé mélangée à celle du terroriste Abaaoud sur un rouleau d'adhésif ainsi que sur un autre qui menait les fils au bouton pressoir d'une ceinture d'explosifs activée lors de l'assaut à Saint-Denis. Ainsi que Paris Match l'a révélé lundi 22 janvier sur son site Internet , il s'agit d'un des éléments sur lesquels l'avocat s'appuie, soutenu par tous ses collègues, pour demander la requalification des faits en « acte terroriste ».

Une question majeure qui sera tranchée par le tribunal dans son délibéré. Si cette nouvelle qualification était retenue, Bendaoud risquerait, cette fois, jusqu'à 12 ans de prison ferme. Le point n'est donc pas anodin, la réponse est plus confuse : « Le scotch était chez moi, c'est tout. Vu les dégâts, il est possible que j'ai même pris le scotch pour scotcher quelque chose dans l'appartement. Faut demander à mon père. Il utilise des scotchs jaunes comme ça. Peut-être que c'est l'ADN de mon père qu'on a retrouvé ». Le paternel de Jawad Bendaoud n'est en rien mis en cause et le tribunal n'en saura pas plus pour ce qui est de l'ADN, potentiellement bien plus compromettant, retrouvé sur le détonateur.

Xavier Nogueras et son confrère, défenseurs du logeur, ont beau taper sur la vitre blindée, dire à leur client d'arrêter, de se calmer, rien n'y fait. Bendaoud continue dans l'outrage, le confusion, l'ineptie et le délire. Il sait pourtant se montrer clair et limpide lorsqu'il le veut, par exemple lorsqu'il déclare avec aplomb : « J'ai aucun problème de conscience. Quand je me regarde dans la glace le matin, je ne vois pas un menteur ».

Le regard atterré des victimes 

Cette odieuse comédie a de quoi faire sourire. Mais elle se déroule sous le regard, tantôt atterré, tantôt révulsé, des victimes des attentats, des blessés, qui se déplacent pour certains en fauteuil roulant, des parents et des proches qui ont perdu dans le bain de sang un enfant, un conjoint, une sœur, un frère. Ce climat putride entretenu par le principal accusé vient s'ajouter à une organisation indigente du procès, voire « indigne », comme l'expriment plusieurs participants. Au sous-sol de palais de justice, la 16ème chambre correctionnelle est exiguë. Les avocats y sont serrés comme des sardines. Il règne un chaleur étouffante. Seules quelques rares victimes peuvent être physiquement présentes. Les autres, quelque 260 parties civiles se sont constituées, sont renvoyées à une salle installée dans le tribunal où les débats sont retransmis sur une écran. De même, de nombreux avocats ne peuvent assister aux audiences, a fortiori poser la moindre question. Eux-aussi sont réduit à assister au procès comme dans un mauvais cinéma de quartier.

Ce spectacle consternant, qui n'est ni l'honneur de la justice, ni aux enjeux d'un tel procès et sans considération pour les victimes, est pourtant loin d'être terminé. Il doit durer jusqu'au 14 février.

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