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Malade, il est expulsé de chez lui pour avoir fumé du pot légal

La nuisance de la fumée de cannabis est un motif suffisant pour forcer son éviction

La fumée qui importune les voisins a incité la Régie du logement à ordonner l’expulsion de Ronald Chartier et de son chat.
La fumée qui importune les voisins a incité la Régie du logement à ordonner l’expulsion de Ronald Chartier et de son chat. Photo collaboration spéciale, Geneviève Thibeault


Un homme de Matane qui consomme en toute légalité du cannabis médical pour apaiser sa douleur sera expulsé de chez lui parce que sa fumée importune ses propriétaires, ordonne la Régie du logement.

« Je ne sais pas si je suis rendu au point où je vais me ramasser dans la rue. Jamais je ne croirai que le tribunal va me mettre dehors en plein hiver », dit Ronald Chartier.

L’homme de 54 ans entend continuer à se battre devant les tribunaux pour conserver son logement du centre-ville de Matane. Il doit normalement quitter le 9 février, tel qu’ordonné par la Régie du logement le 8 janvier, parce que sa fumée pose des inconvénients sérieux aux propriétaires.

Il serait le premier cas de consommateur légal visé par une telle expulsion au Québec, de l’avis des experts consultés (voir autre texte).

Survivant du cancer, M. Chartier a reçu une prescription de cannabis médical pour apaiser sa douleur, en septembre 2016. Il souffre aussi d’arthrose et a dû être opéré à de nombreuses reprises au cœur et au foie dans les dernières années.

« Le cannabis m’aide pour la douleur, et ça me permet de m’endurer », résume-t-il, précisant qu’il grille jusqu’à cinq joints par jour.

Sans le sou

Incapable de travailler et sur l’aide sociale, M. Chartier dit aussi ne pas avoir les moyens de déménager.

Après que son propriétaire se soit plaint de l’odeur de cannabis, au printemps dernier, il assure dorénavant ne plus fumer dans son salon, mais dans un portique collé au logement. Son propriétaire affirme le contraire.

Pour son voisin d’en dessous et propriétaire du duplex, Gilles Chassé, la consommation des joints de son locataire est synonyme de nuisance nuit et jour.

« Ce qui nous dérange, c’est la senteur de la fumée. C’est nauséabond. Les yeux commencent à me piquer, et elle colle à mes lèvres. Je peux la goûter », raconte M. Chassé, 75 ans.

Lui-même malade du cœur et des poumons, il craint que la fumée aggrave son état de santé et celui de sa conjointe handicapée. Il estime aussi que les habitudes de son locataire posent des risques d’incendie pour l’édifice.

L’été, il ne peut ouvrir la fenêtre par crainte que la fumée entre chez lui. L’hiver, c’est la ventilation qui apporte l’odeur.

La consommation de cannabis n’a pas été discutée lorsque M. Chassé a loué son logement, avoue-t-il, mais il a inscrit l’interdiction de fumer dans les règlements du logement plus tard.

Expulsion

Le juge administratif Serge Adam, de la Régie du logement, a tranché en sa faveur en ordonnant la résiliation du bail et l’expulsion de son locataire dérangeant.

Son jugement cite la Cour suprême du Canada indiquant que fumer la marijuana à l’intérieur du logement est une préférence de mode de vie, et non un droit protégé.

Même si les joints sont fumés de manière légale, note le juge, cela ne confère pas le droit d’importuner ses voisins avec la fumée.

 

Plus d’expulsions à venir à cause du cannabis

 

La décision d’expulser un homme de Matane de son logement pour avoir incommodé ses voisins avec sa fumée de cannabis autorisé est un précédent qui pourrait inciter d’autres cas semblables, même après la légalisation.

« Les propriétaires vont utiliser ce jugement-là, ça va créer jurisprudence. Il faut craindre le pire, dans le sens où c’est surtout les personnes les plus vulnérables qui consomment du cannabis médical », avance Maxime Roy-Allard, porte-parole du Regroupement des comités de logements et associations de locataires du Québec.

Il perçoit un « climat de paranoïa » dans le discours ambiant selon lequel les propriétaires devraient interdire complètement à leurs locataires de fumer le cannabis, à quelques mois de la légalisation prévue pour juillet 2018.

Première

La Régie ne compile pas de données sur les raisons évoquées pour demander l’expulsion d’un locataire.

Toutefois, selon les associations de locataires et de propriétaires, Ronald Chartier est le premier consommateur de cannabis aux fins médicales expulsé de chez lui pour cette raison.

« Cette décision en matière de cannabis médicinal ne traite que de l’aspect du trouble du voisinage. Le propriétaire doit faire la preuve qu’il y a de la nuisance », précise l’avocat en droit civil Frédéric-Antoine Lemieux.

Il attend toujours que les tribunaux se penchent sur le droit des propriétaires de modifier les baux existants, pour y ajouter l’interdiction de fumer du pot à l’intérieur.

Jusqu’ici, la cour avait reconnu les droits aux fumeurs de tabac de s’opposer à la modification de leur bail.

Santé publique

Pour la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), cette décision montre que le tribunal se préoccupe de plus en plus de la santé publique.

« Ce sont d’excellentes nouvelles, non seulement pour les propriétaires, mais pour les locataires eux-mêmes qui veulent vivre dans un environnement sans fumée », explique son porte-parole, Hans Brouillette.

En décembre, l’Association des propriétaires du Québec a demandé au gouvernement la possibilité de rouvrir des baux pour interdire aux locataires de fumer du cannabis.

Cette question n’a pas encore passé le test des tribunaux, et sera suivie de près tant par les propriétaires que par les locataires dans les prochains mois.

 

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