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Dans la maison de l'horreur, le calvaire des enfants-objets

La malnutrition se lit sur leur visage, et le rachitisme dont ils souffrent rend plus cruelle encore l’obligation de sourire.
La malnutrition se lit sur leur visage, et le rachitisme dont ils souffrent rend plus cruelle encore l’obligation de sourire. © Facebook via Bestimage
De notre correspondant à New York Olivier O'Mahony , Mis à jour le

Dans leur pavillon de banlieue, David et Louise Turpin collectionnaient les enfants et les traitaient comme des cloportes. Parents « tout-puissants », ils élevaient leur progéniture en réclusion perpétuelle dans une dépendance totale.

Jusqu’à présent, David et Louise Turpin n’avaient jamais dérangé personne. Et leur maison de quatre chambres, couleur ocre, ressemblait à toutes les autres dans cette banlieue proprette de Perris, 70 000 habitants, capitale californienne du parachutisme. Certes, leur pelouse était envahie de mauvaises herbes quand celle des voisins est impeccablement tondue, mais « ils n’avaient rien commis d’illégal, ni quoi que ce fût qui ait pu nous pousser à appeler les flics », observe Chris, qui habite à côté. Doit-on alerter la police parce que les gens sont « un peu bizarres » ? On est en Amérique. Dans un pays libre !

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On ne les voyait jamais à l’église. La maison semblait étrangement silencieuse pour une famille aussi nombreuse. Wendy Martinez, une voisine, raconte avoir vu les enfants « extrêmement maigres et pâles, presque albinos », se mettre à genoux dans le jardin devant leur mère « menaçante ». C’était en octobre. Il y a trois mois.

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Ça leur avait même valu un surnom, « la famille vampire », qui faisait rigoler tout le monde. Mais avec leurs trois Volkswagen alignées devant le garage, ils étaient forcément respectables… Une marque d’importation, aux Etats-Unis, est un signe extérieur d’aisance financière. Sur l’une des plaques d’immatriculation, on peut encore lire « DLand », comme Disneyland. La preuve que David Turpin était un bon chef de famille qui s’occupait de ses enfants. D’ailleurs, il postait régulièrement sur Facebook des photos de leurs virées dans des parcs emblématiques de l’esprit américain. Voilà comment on trompe la curiosité des uns et la négligence des autres. C’est pourquoi, aujourd’hui, Elizabeth Flores, la tante des enfants, petite sœur de leur mère, s’en veut. Elle est la première à avoir compris que quelque chose clochait chez les « vampires ».

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Elizabeth a 19 ans, en 1995, quand elle décide de passer l’été chez sa sœur, qui vient d’avoir son quatrième enfant. A l’occasion d’un stage, elle s’installe dans la grande maison que David, ingénieur chez Lockheed Martin, a achetée grâce à son confortable salaire de 11 000 euros par mois. Très vite, elle ne reconnaît plus Louise. « Elle était devenue dictatoriale, c’est elle qui commandait pendant que David approuvait en silence. » Elizabeth constate aussi que sa sœur, qui lui avait dit un jour que « Dieu avait voulu qu’elle ait une famille nombreuse », a pris ses distances par rapport à la religion pentecôtiste de leur enfance. Désormais, elle laisse traîner chez elle des manuels de sorcellerie qui prédisent l’Armageddon, la fin du monde. Ce qui choque Elizabeth, c’est le règlement de fer qui règne à la maison, et qu’elle doit aussi respecter.

Les époux n’hésitaient pas à poster sur les réseaux sociaux des photos de famille édifiantes.
Les époux n’hésitaient pas à poster sur les réseaux sociaux des photos de famille édifiantes. © Facebook

« Je n’avais pas le droit de sortir, sauf pour aller au boulot, ni de dire aux gens où j’habitais. Mais Louise était surtout dure avec les enfants. Particulièrement avec l’aînée, enfermée pendant des heures dans sa chambre. Quand elle descendait pour dîner, elle devait demander la permission de s’asseoir ou de prendre la parole. Ça me faisait de la peine. » Elizabeth se sent de plus en plus mal à l’aise, d’autant que David lui lance des regards insistants, sans que sa sœur paraisse s’en offusquer. « Je me suis mise à fermer à clé la porte de la salle de bains chaque fois que je prenais ma douche. Mais un jour, Louise l’a ouverte avec un cintre. Elle m’a obligée à sortir, nue. David était là. Ils me regardaient. Il ne s’est rien passé. Mais à la fin de l’été je suis partie en courant et j’ai décidé de rompre avec ma sœur. » Aujourd’hui, Elizabeth regrette : « J’aurais dû tirer la sonnette d’alarme. »

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J’ai cru qu’ils appartenaient à un culte, explique-t-il aujourd’hui. “On dirait des robots”, m’a dit ma femme

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Mais elle n’est pas la seule à avoir fermé les yeux. En 1999, les Turpin, qui ne paient plus leurs traites, sont expulsés par les banques de leur maison de Fort Worth, au Texas. Quand le nouveau propriétaire découvre les lieux, il est horrifié, prend des photos mais se garde d’alerter les autorités. Il y a des éraflures sur les murs, qu’il attribue à des griffes d’animaux, des restes de déjections sur le sol et, surtout, des sortes de bouches d’aération ont été percées dans les placards, comme s’ils avaient été transformés en cachots. « Des cages », conclut-il alors.

Le pavillon de quatre chambres que les Turpin occupaient depuis 2014 à Perris, en Californie.
Le pavillon de quatre chambres que les Turpin occupaient depuis 2014 à Perris, en Californie. © Reuters

Les Turpin ont déménagé à Rio Vista, un hameau de quelques centaines d’habitants. Ashley Vinyard se souvient être allée frapper à leur porte, comme le font les enfants à la campagne pour trouver de nouveaux copains de jeu. Mais elle a aussitôt été éconduite par Louise, qui lui a ordonné de « ne plus jamais revenir ». Rapidement, les Turpin passent pour les fous du village. Ils abandonnent leur maison pour s’installer à côté, dans un mobile home trop petit pour la tribu ; puis, du jour au lendemain, ils disparaissent, laissant tout derrière eux. C’était en 2010. « Je suis passée voir chez eux, c’était un foutoir répugnant », se remémore Ashley. Elle non plus n’a pas bougé le petit doigt.

Michael Clifford aurait également pu intervenir. Il travaille dans un hôpital et a l’œil pour détecter les malades. Un soir, en rentrant à son domicile, vers minuit, il assiste à un inquiétant spectacle. David et Louise occupent maintenant la maison en face de chez lui, à Murrieta, un bled du sud de la Californie. Les lumières sont allumées et Michael voit ce qui se passe à l’intérieur : une curieuse procession, des enfants qui marchent de façon quasi militaire. Ils passent d’une pièce à l’autre, puis reviennent sur leurs pas, et ainsi de suite, jusqu’à 3 heures du matin. « J’ai cru qu’ils appartenaient à un culte, explique-t-il aujourd’hui. “On dirait des robots”, m’a dit ma femme. »

Des joujoux et des témoignages de sympathie sont déposés en face de la « maison de l’horreur ».
Des joujoux et des témoignages de sympathie sont déposés en face de la « maison de l’horreur ». © Damian Dovarganes/AP/SIPA

Les « robots » déménagent à nouveau en 2014, pour se retrouver à Perris où, là encore, ils mènent une vie à l’abri des regards. La Californie est très peu regardante à l’égard des parents qui élèvent leurs enfants loin de l’école. Cette pratique concerne 2 millions de petits Américains. Certains Etats établissent un contrôle, pas la Californie. David s’est donc enregistré sans difficulté auprès des autorités locales comme gérant de la Sandcastle Day School (l’Ecole du château de sable), sise chez lui, 160 Muir Woods Road.

Les flics en ont enfin franchi le seuil, dimanche 14 janvier, vers 7 heures du matin. Personne n’était venu à la rescousse des enfants, qui complotaient leur évasion depuis deux ans. Il a fallu le courage d’une des filles, âgée de 17 ans, si maigre que les policiers ont d’abord pensé qu’elle n’en avait que 10, pour qu’ils attentent à ce que l’Amérique protège tant, la liberté. En ouvrant la porte, alertés par l’adolescente, ils ont reculé devant l’odeur pestilentielle qui s’échappait du sous-sol. Certains des gamins étaient enchaînés à des meubles, entourés de leurs excréments. Les parents, apparemment, ne voyaient pas où était le problème. Louise, surtout, qui a trouvé le moyen de sourire sur la photo d’identification prise au centre de détention.

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Dans la maison, les flics ont découvert des centaines de journaux intimes. Seul mode d’expression des enfants

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Il y a quelques semaines, elle confiait encore à Billy Lambert, son demi-frère, qu’elle souhaitait avoir un quatorzième enfant pour avoir une chance de participer, avec toute la tribu, à une émission de télé-réalité. Et de gagner ainsi un peu d’argent.
Selon sa sœur Elizabeth, Louise a des excuses… Elle n’a pas eu une enfance heureuse et aurait été abusée par un proche. « Elle m’a dit un jour, quand je la sentais s’éloigner, qu’elle ne voulait pas revenir chez les parents, car ça la replongeait dans un passé qu’elle voulait fuir. » Louise a grandi dans une maison modeste de Princeton, petit village de l’Etat ultra-conservateur de Virginie-Occidentale. Papa, Wayne Robinette, était employé au tribunal. Elle passait pour « l’enfant terrible, qui n’en fait qu’à sa tête », se souvient Elizabeth. Ado, elle tombe amoureuse de David Turpin, de huit ans son aîné, un ami de la famille qu’elle a rencontré à l’église. Il porte déjà cette coupe au bol qui lui donne un air lunaire et inoffensif de professeur.

Et, surtout, il est, comme Louise, chrétien évangélique, tendance pentecôtiste, qui prône l’abstinence avant le mariage et la renaissance par le Saint-Esprit. A 16 ans, Louise décide de s’enfuir avec lui. Ils partent en secret vers l’Ouest. La mère de Louise veut porter plainte pour « enlèvement de mineure ». Le père est plus conciliant. David est un bon parti, ses parents ont de l’argent, il a un diplôme d’ingénieur. Finalement, les tourtereaux accepteront de revenir au bercail pour se marier religieusement, puis ils repartiront à Fort Worth, au Texas, pour réaliser leur rêve… qui deviendra un cauchemar.
Quand ce dimanche la police a frappé à leur porte, ils venaient de se coucher, car ils vivaient la nuit et dormaient le jour. Un mode d’existence qui, a commenté Michael Hestrin, le procureur du coin, était un « moyen d’exercer un contrôle total ». On dit qu’une mère donne le jour à ses enfants. Louise et David Turpin le leur avaient confisqué.

Dans le capharnaüm de leur maison, les flics ont découvert des centaines de journaux intimes. Seul mode d’expression des enfants, qui n’avaient droit ni à la télé ni à la musique. Ils y apprennent que la peur régnait et que les coups pleuvaient. Les sévices allaient jusqu’à l’étranglement. Les deux chiens étaient mieux nourris que les enfants qui pouvaient apercevoir des tartelettes sur les étagères, trop hautes pour les attraper. Et quand on leur offrait des cadeaux, ils n’avaient pas le droit de les sortir de leurs emballages. Aujourd’hui, les habitants de Perris multiplient les dons. Les peluches s’accumulent devant la porte du garage. Après le silence, l’émotion. Un réveil un peu tardif, comme si la société tout entière se sentait coupable d’avoir abandonné les 13 enfants aux ogres Turpin. 

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