Bretagne. Ehpad : des soignants en détresse

Par Anne-Cécile Juillet

Ce mardi, à l'appel de tous leurs syndicats, les personnels des Ehpad (*) seront invités à participer à une journée nationale de mobilisation. À bout, en sous-effectifs, devenus «maltraitants» malgré eux, ils réclament plus de moyens humains pour accomplir leur mission. Nous avons donné la parole à plusieurs d'entre eux, pour la plupart professionnels bretons.

Au 31 décembre 2016, près de 728.000 personnes âgées étaient prises en charge dans un des 6.900 Ehpad publics, privés non lucratifs et privés commerciaux, selon la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
Au 31 décembre 2016, près de 728.000 personnes âgées étaient prises en charge dans un des 6.900 Ehpad publics, privés non lucratifs et privés commerciaux, selon la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). (Depositphotos)

Un manque de temps...
« Vite, il faut aller vite. Sauf qu'un vieux (oui je dis vieux mais ce n'est pas péjoratif), c'est tout, sauf vite. Ben nous, on le fait voler. Quand c'est dépendant, ça vole plus vite que quand ça marche encore. Vous êtes choqués ? Nous aussi. Mais on n'a pas le temps. »
« Nous avions cinq à dix minutes par personne pour les accompagner dans leur toilette, ranger et faire le lit. » « Courir dans les couloirs sans arrêt, distribuer le petit-déjeuner à grande vitesse... »
« Ils mangent en des temps records, à la limite du gavage car pas le temps pour accompagner un repas correctement. »

... qui entraîne un manque d'hygiène
« Le ménage dans les chambres est fait toutes les trois semaines. Les toilettes se font à l'ancienne, au gant de toilette : on commence par le visage, puis, vers le bas du corps, on retourne le gant, et le lendemain on utilise le même gant. »
« La toilette n'est pas faite sur les jambes et les pieds car pas le temps, chez nous, ils ont une douche toutes les deux semaines. »
« On leur donne une douche par mois, voire moins ! »
« Souvent, je dois choisir entre laver les dents ou les jambes, les deux, c'est compliqué car je n'ai pas le temps. »
« Si la personne veut retourner aux toilettes, elle attendra, on lui met une couche, parfois elle la garde sale toute la journée. »

Des sous-effectifs constants
« Deux aides-soignantes pour 15 personnes très dépendantes. »
« On est tout le temps en sous-effectif, les arrêts ne sont pas remplacés, on a une infirmière pour 80 résidents, et, la nuit, une pour 188. »
« Nous ne sommes que trois pour vingt résidents qui sont très dépendants. »
« Le dimanche, c'était tout simplement horrible. Effectif au minimum, charge de travail énorme, et on doit être disponible pour les familles en visite... »

Maltraitance contrainte
« Ce n'est pas faute d'alerter sur leur sentiment de maltraiter, de déshumaniser de plus en plus nos actes et nos soins, jusqu'à devoir traiter les résidents comme des "sacs à patates" : ce n'est plus des couchers, mais des "jeters de lit" (douche, brossage de dents et relationnel sont, depuis de longs mois, des idéaux). »
« Je suis malheureusement moi aussi maltraitante. »
« Les résidents n'ont pas leur mot à dire et subissent. »

Le business contre le soin
« Les directions parlent budget, alors que le personnel parle humain. »
« La seule boussole, c'est l'argent et l'économie de bouts de ficelle. »
« C'est de l'usine à vieux, du vivant malade, fragile, ralenti. »
« Tout est fait pour faire du chiffre, on fait même des économies sur la nourriture. »

Culpabilité et burn-out
« On rentre chez soi avec la culpabilité de ne pas avoir accompli son travail, de ne même plus trouver quel est le sens de ce travail. »
« J'ai honte, oui, honte de ne pas avoir le temps de mettre une résidente aux toilettes, de ne pas avoir de matériel pour travailler, de laisser des résidents Alzheimer déambuler pendant des heures sans pouvoir les surveiller. »
« Des fois, j'en viens à me détester. »
« La fatigue physique et psychologique s'accumule, les arrêts maladie aussi. »

Des familles compréhensives, mais pas dupes
« Il y a quelques semaines, j'ai trouvé ma mère au lit sans chemise de nuit, et cela ne semblait choquer personne ».
« Je sentais qu'ils faisaient le maximum, mais que rien n'était simple. Un jour, ma mère a eu un accident. Je me demande si cet accident n'a pas pour origine un manque de personnel, un manque de moyens, des cadences infernales. J'ai le sentiment qu'une certaine opacité a entouré cet accident. Ma mère est morte quinze jours après. »

Un métier aimé, pourtant
« J'adorais mon travail, mais maintenant j'y vais à reculons. Mais voir le sourire d'une dame ou d'un monsieur me fait ma journée, c'est tellement beau, une caresse sur la main en me disant merci, je me souviens pourquoi je fais ce métier si magnifique à l'origine. »
« J'aime les vieux. Je veux qu'ils soient encore heureux. Donnez-nous les moyens de le faire. »

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* Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes.

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