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Mauritanie : l'association Sherpa impliquée dans une étrange affaire

L'association de défense des droits de l'homme Sherpa est mise en cause pour son rôle auprès de l'homme d'affaires Mohammed Bouamatou, un opposant au régime en Mauritanie.

Pascal Ceaux , Mis à jour le
Me William Bourdon, président de l'association Sherpa, au tribunal de grande instance de Paris, le 27 octobre 2017.
Me William Bourdon, président de l'association Sherpa, au tribunal de grande instance de Paris, le 27 octobre 2017. © A.Morissard/IP3

C'est un pays dont on ne parle presque jamais. La Mauritanie, son immense désert au nord-ouest de l'Afrique, ses quelque 4,3 millions d'habitants, presque oubliés dans les turbulences du monde. Et voici que l'affrontement entre le pouvoir en place à Nouakchott et l'un des hommes les plus riches du pays trouve un écho jusqu'à Paris, dans les murs de l'association Sherpa, fer de lance de la lutte contre la corruption et les atteintes aux droits de l'homme sur tous les continents. Quel rôle exact ont pu jouer Sherpa et son président, l'avocat William Bourdon, dans cette sourde lutte à moitié souterraine? Les interrogations se sont multipliées, après que la justice mauritanienne a mis la main sur une masse de documents dans des circonstances rocambolesques et ouvert plusieurs enquêtes.

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En juillet, Sherpa publie une note au contenu sans équivoque. Sous le titre "La Corruption en Mauritanie, un gigantesque système d'évaporation", le document met en cause le régime du président Mohammed Ould Abdel Aziz. Il déplore même une dégradation par rapport à la situation constatée lors d'une première étude en 2013. "Les spoliations se sont accentuées, est-il écrit, alors même que le pays traverse une période difficile depuis la chute des prix des minerais de fer. Les ressources publiques continuent à être détournées par le clan au pouvoir." Sont cités des exemples de grands travaux : la construction du nouvel aéroport ou celle de la centrale électrique de Nouakchott.

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Un donateur qui contrôle la banque et le commerce de cigarettes

Au rang des bénéficiaires désignés par le rapport, des parents et des proches d'Abdel Aziz. Mais le nom de Mohammed Ould Bouamatou n'apparaît pas dans les 15 pages du texte. Cet homme d'affaires multimillionnaire est pourtant lui-même mis en cause par la justice mauritanienne pour des faits de corruption. Il est soupçonné d'avoir acheté au printemps 2017 le vote de 32 sénateurs (sur 56) pour qu'ils rejettent une réforme de leur institution décidée par le chef de l'État. Il est aujourd'hui visé par un mandat d'arrêt international dont il conteste la légitimité.

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L'homme combat depuis plusieurs années le régime de Nouakchott, dont il dénonce des atteintes répétées à la démocratie. Il finance l'opposition. Est-ce la raison pour laquelle il est devenu une cible? En 2009, il avait pourtant contribué de sa poche à la première campagne présidentielle du général Abdel Aziz, arrivé au pouvoir un an plus tôt à la faveur d'un coup d'État. Une note des services de renseignement français adressée en octobre 2008 à l'Elysée indique qu'il "est étroitement lié à l'actuelle junte mauritanienne […] Il est notamment l'un des envoyés spéciaux de la junte à l'étranger, à la fois du fait de contacts privilégiés au Sénégal au Maroc ou en France". Puis, les relations entre les deux hommes, originaires de la même tribu, ont tourné à l'hostilité. Bouamatou a quitté le pays pour le Maroc, tout en y conservant une place prépondérante dans l'économie. Il possède la principale banque privée, a la haute main sur le commerce des cigarettes américaines, source de sa fortune.

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Il fait partie d'un certain nombre de mécènes qui nous aident mais nous ne l'avons pas attendu pour nous intéresser à la Mauritanie

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Il figure aussi parmi les généreux donateurs de Sherpa, dont la liste reste confidentielle, même si le nom du financier international George Soros, a déjà été cité. "Il fait partie d'un certain nombre de mécènes qui nous aident, admet le président de l'association, William Bourdon, mais nous ne l'avons pas attendu pour nous intéresser à la Mauritanie." En fait, l'homme d'affaires s'est rapproché de l'avocat en 2013. Il l'a désigné pour défendre ses intérêts dans un litige autour de la compagnie aérienne Mauritania Airways. À l'époque, son profil interroge certains membres de l'association.

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Mais Me Bourdon ne voit rien à lui reprocher. Puis Bouamatou se met à financer des enquêtes de Sherpa sur son pays, comme en témoigne cet e-mail daté du 23 janvier 2014, dont Me Bourdon est l'auteur : "Cher Mohammed, je reviens vers toi sur la question des frais […] ils ne sont plus liés à l'affaire Mauritania Airways mais aux investigations menées pour l'enquête Sherpa sur Kinross [compagnie minière canadienne spécialisée dans la recherche de l'or et opérant en Mauritanie] et d'autre part, pour l'enquête de la commission d'enquête citoyenne de Mauritanie. Il faut donc que tu fasses deux virements différents : le premier de 50.000 euros à Sherpa (dont tu as déjà les coordonnées bancaires)." Au total, 100.000 euros sont versés à cette occasion à l'ONG.

Un film au scénario "abracadabrantesque"

C'est peu dire que cette familiarité agace à Nouakchott. L'entourage présidentiel accuse Bouamatou d'avoir instrumentalisé Sherpa à son avantage, et l'association de n'être pas très regardante sur ce curieux mélange des genres. Le portrait que l'on dresse du multimillionnaire est bien différent. C'est celui d'un homme qui a profité de sa proximité avec les régimes précédents tout en dirigeant le patronat local, et qui n'admet pas de ne plus être en cour auprès d'Abdel Aziz.

Un épisode digne d'un film au scénario "abracadabrantesque" est venu conforter cette impression. Au printemps dernier, un proche collaborateur de Bouamatou est interpellé par les douaniers à la frontière avec le Sénégal, alors qu'il tente de quitter le pays. L'homme parvient à s'enfuir à pied. Mais il a abandonné sa voiture. À l'intérieur, les gendarmes mauritaniens découvrent deux ordinateurs, quatre téléphones portables et de nombreux autres documents. Ainsi, 11.308 e-mails sont saisis, des ordres de virement bancaire à destination de Me Bourdon et de l'un de ses confrères correspondant au versement d'honoraires, et d'autres mouvements de fonds plus occultes à destination du Maroc, via une société enregistrée en Mauritanie, la Soframa.

"Le dossier contre Bouamatou est entièrement trafiqué", accuse William Bourdon, qui suspecte l'action d'officines pilotées par l'État mauritanien et défend celle de Sherpa. "Aller enquêter sur la Mauritanie est une cause juste", insiste-t-il. À Nouakchott, c'est enquêter sur Mohammed Bouamatou qui paraît légitime.

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