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justice

Réaffirmer l’abolition de la peine de mort même pour les terroristes

Le 18 septembre 1981, après plus de deux siècles de débats, l’Assemblée nationale française a voté l’abolition de la peine de mort et l’a inscrite dans ses droits fondamentaux, rejoignant la liste, de plus en plus importante, des pays abolitionnistes. Aujourd’hui, plus des deux tiers des pays du monde ont aboli la peine de mort en droit ou en pratique et beaucoup d’entre eux, comme la France, œuvrent pour l’universalité de l’abolition. Pourtant, au sein du gouvernement, des voix font entendre leur manque « d’état d’âme » concernant le sort de terroristes français condamnés à la peine capitale à l’étranger.

Exécutions en Iran.
Exécutions en Iran. REUTERS/Morteza Nikoubazl
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Pendant très longtemps, la peine de mort a été considérée comme une évidence. Le recours à ce châtiment ultime et terrifiant était perçu comme une garantie de sécurité pour les sociétés. Châtiment auquel on attribuait des vertus dissuasives pour se prémunir de toutes sortes de crimes.

Mais cette perception a évolué. Le caractère dissuasif de la peine capitale n’a jamais été prouvé et de moins en moins de pays y ont recours. Pourtant, il reste encore de grandes nations qui ne respectent pas la Déclaration universelle des droits de l’homme et en particulier son article 3 qui affirme le droit à la vie de tout individu et qui proclame que nul ne peut être soumis à des peines ou châtiments cruels.

Encore plusieurs milliers d’exécutions par an

Cette tendance mondiale pour l’abolition s’est consolidée durant ces 40 dernières années. Aujourd’hui, la majorité des pays n’exécutent plus et la tendance est plutôt à la diminution du recours à la peine de mort. Il y a 40 ans, seulement un quart des pays avait aboli la peine capitale. Actuellement, c’est l’inverse : les deux tiers sont abolitionnistes, mais des sujets de préoccupation demeurent.

Pour Florence Bellivier, secrétaire générale adjointe de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme), « si les deux-tiers des pays ont aboli la peine de mort en droit ou en fait, c'est-à-dire ont supprimé la peine de mort de leur arsenal ou ne la pratiquent plus depuis plus de 10 ans, cela reste toujours un peu dangereux car rien empêche un pays abolitionniste de fait, de reprendre les exécutions. »

Mais ce qui inquiète le plus la communauté des abolitionnistes, c’est que les pays qui exécutent continuent à exécuter beaucoup. « Il y a une sorte de noyau dur de pays, qui sont très différent les uns des autres, mais qui exécutent, on pourrait presque dire, à la chaîne , s’inquiète Florence Bellivier. On peut penser à la Chine bien sûr, dont le nombre des exécutions est un chiffre noir. Le gouvernement chinois ne publie pas de chiffres officiels, on ne dispose que d’estimations, mais les ONG de type Amnesty International pensent que ce sont plusieurs milliers d’exécutions par an. Pas de condamnations mais d’exécutions. On peut penser aussi à l’Iran, pays pour lequel on dispose de statistiques et qui en est depuis quelques années à 400 exécutions par an. L’autre source de préoccupation, c’est qu’alors que l’on avait ce mouvement tendanciel lent vers l’abolition, se manifestent ici où là des tendances régressives. On songe à Erdogan en Turquie, qui l’année dernière a brandi l’idée d’un référendum sur le rétablissement de la peine de mort, ou de manière plus urgente les Philippines, qui l’avaient abolie en 2004-2006 et qui menacent de la rétablir pour les crimes liés à la drogue ».

Parade de la police en compagnie d'un groupe de criminels condamnés à mort à Nanning, dans la province du Guangxi, fin 2011.
Parade de la police en compagnie d'un groupe de criminels condamnés à mort à Nanning, dans la province du Guangxi, fin 2011. STR / AFP

Pour l’ONG Amnesty International, à ce jour, 106 États ont aboli la peine capitale pour tous les crimes, 7 l’ont abolie pour les crimes de droit commun, et 29 respectent un moratoire sur les exécutions, soit 142 États au total. En revanche, la peine de mort est toujours appliquée dans 57 États et territoires. En dehors des milliers d’exécutions annuelles en Chine toujours classées « secret d’État », 87 % des exécutions comptabilisés se concentrent dans quatre pays : l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Irak et le Pakistan, sans oublier les Etats-Unis.

Les délits passibles de la peine de mort varient d’un pays à l’autre. Les méthodes d’exécution vont de la pendaison, à l’injection létale, du peloton d’exécution à la décapitation. Certains États exécutent des personnes qui étaient mineures au moment des faits ou des malades mentaux sans aucune considération.

La peine de mort en France

Plusieurs pays, presque à la même période, revendiquent le fait d’avoir été les premiers à abolir la peine de mort. On cite souvent le grand-duc Léopold Ier de Toscane (futur empereur romain germanique sous le nom de Léopold II) pour l’avoir décrétée en 1786, ou le Venezuela, premier Etat moderne à avoir aboli la peine capitale pour tous les crimes en 1863.

Moins connue, l’abolition par les Tahitiens en 1824 que raconte Alexandre Juster dans ses cours de civilisation polynésienne à la Délégation de la Polynésie française à Paris. « En 1824, la Polynésie était indépendante, il n’y avait pas encore de statut de protectorat. C’est le code missionnaire qui avait mis cela en place mais les Tahitiens étaient choqués ; on ne tue pas gratuitement, on tue au combat certes, mais on ne tue pas parce qu’une personne a volé un cochon parce qu’elle avait faim. Le Chef Tati déclarait alors, "Est-ce bien au nom de la Justice de faire que l’homme devienne meurtrier de son frère ? Je ne le pense pas. Je crois donc que nous devons nous en tenir au bannissement du meurtrier" ». La décision, adoptée par l’Assemblée des chefs à l’unanimité, a alors aboli la peine de mort qui fut commuée au bannissement.

En France, l’abolition a été l’aboutissement d’un long combat mené pendant deux siècles dans les enceintes parlementaires, dans les prétoires ou dans des espaces de débats pour défendre la cause de l’abolition devant une opinion réticente et parfois résolument hostile. Victor Hugo le 15 septembre 1848 à l’Assemblée constituante déclarait : « Voyez, examinez, réfléchissez. Vous tenez à l’exemple. Pourquoi ? Pour ce qu’il enseigne. Que voulez-vous enseigner avec votre exemple ? Qu’il ne faut pas tuer ? En tuant. »

Déjà, Robespierre devant cette même assemblée le 30 mai 1791 déclarait que « les jugements humains ne sont jamais assez certains pour que la société puisse donner la mort à un homme condamné par d’autres hommes sujets à l’erreur ».

Depuis le XVIIIe siècle, le débat pour remettre en question la légitimité de la peine de mort a animé de nombreuses discussions. Pourtant, la disposition célèbre au style lapidaire « tout condamné à mort aura la tête tranchée » demeurera dans le code pénal français jusqu’en 1981. Des essais d’intellectuels comme Arthur Koestler, dont l’un sera cosigné par Albert Camus en 1957, marqueront leur époque et auront un fort retentissement dans toute l’Europe et notamment en Grande-Bretagne qui adoptera une abolition définitive en 1969. Mais il faudra attendre les 17 et 18 septembre 1981 pour que les députés français se déterminent et que soit adoptée l’abolition de la peine de mort en France.

Robert Badinter, alors garde des Sceaux en charge de la préparation du projet de loi, déclarera à l’Assemblée nationale le 17 septembre 1981 : « Il s’agit bien, en définitive, dans l’abolition, d’un choix fondamental, d’une certaine conception de l’homme et de la justice. Ceux qui veulent une justice qui tue, ceux-là sont animés par une double conviction : qu’il existe des hommes totalement coupables, c’est-à-dire des hommes totalement responsables de leurs actes, et qu’il peut y avoir une justice sûre de son infaillibilité au point de dire que celui-là peut vivre et que celui-là doit mourir.

A cet âge de ma vie, l’une et l’autre affirmation me paraissent également erronées. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n’est point d’hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Aussi prudente que soit la justice, aussi mesurés et angoissés que soient les femmes et les hommes qui jugent, la justice demeure humaine, donc faillible… »

Robert Badinter, le 24 février 2010 à l'ouverture du 4e Congrès mondial pour l'abolition de la peine de mort à Genève le 24 février 2010.
Robert Badinter, le 24 février 2010 à l'ouverture du 4e Congrès mondial pour l'abolition de la peine de mort à Genève le 24 février 2010. Reuters / D. Balibouse

Cette loi, inscrite dans le marbre de la Constitution en 2007 pour être irréversible – « art.66-1. – nul ne peut être condamné à la peine de mort. » –, consolidée par de nombreux traités ou accords européens et internationaux, font de la France un acteur de l’abolition, porteur de ses valeurs universelles.

La tentation du rétablissement de la peine capitale pour les terroristes

Pourtant, la tentation de rétablir la peine de mort est toujours d’actualité. Face à des crimes particulièrement odieux, à des attentats par exemple de type terroriste, l’opinion peut faire ressurgir, sous le coup de l’émotion, le discours sur le rétablissement de la peine de mort. Discours de la douleur et de la vengeance qui se fonde sur l’exemplarité de la peine alors qu’elle est la pire des réponses. Pierre-Henri Imbert, directeur général des Droits de l’homme au Conseil de l’Europe écrivait à ce propos : « La revanche découle de notre caractère et de nos instincts, mais pas de la loi. Celle-ci ne peut obéir aux mêmes règles que la nature humaine. Si le meurtre semble naturel au genre humain, la loi, elle, n’est pas faite pour imiter ni reproduire cette nature. Elle est faite pour corriger la nature. »

Depuis l’attentat du World Trade Center en 2001 aux Etats-Unis, et de nombreux autres attentats terroristes à travers le monde, des pays ont pris prétexte du maintien de la sécurité pour procéder à une restriction des libertés, des droits de l’Homme et au nom de la sécurité ou de la lutte contre le terrorisme ont engagé parfois des actions en dehors du droit international. Le président américain Barack Obama, par exemple, a fait tuer Ben Laden de façon extra judiciaire (sans jugement) et a fait disparaître son corps, justifiant cette action par son combat contre le terrorisme, en déclarant : « justice a été rendue ». Or, si la « guerre contre le terrorisme » permet tous les coups, la tentation est grande de recourir, dans ce cas ou dans d’autre, à la peine de mort.

C’est aussi dans ce contexte qu’en France, Florence Parly, ministre des Armées, a suscité la polémique en octobre dernier, en avalisant implicitement l’élimination de jihadistes français ayant rejoint le groupe Etat islamique en Syrie et en Irak, précisant au moment de la chute de la ville de Raqqa, fief du groupe Etat islamique en Syrie, « si des jihadistes périssent dans ces combats, je dirai que c’est tant mieux, et s’ils tombent entre les mains des forces syriennes , ils dépendront de la juridiction syrienne », rajoutant en janvier dernier ne pas avoir « d’état d’âme » à leur sujet.

Des propos nuancés par la garde des Sceaux Nicole Belloubet fin janvier, dans le grand jury de RTL, pour dégonfler la polémique montante. « En tant que ministre de la Justice je suis évidemment extrêmement attachée à un procès équitable. Avec la Turquie nous avons des accords qui sont clairs et qui permettent de faire revenir des personnes, avec l’Irak, c’est un Etat qui est reconnu comme tel et donc bien entendu les Français qui sont là-bas peuvent être jugés par l’Etat irakien, la Syrie c’est un peu plus compliqué, puisque l’Etat n’est pas reconnu en tant que tel, et bien entendu c’est un traitement au cas par cas qui doit être effectué, je redis ici mon attachement aux règles du procès équitable, bien entendu s’il y avait une question de peine de mort l’Etat français interviendrait »et s’il s’agissait d’une des jihadistes françaises actuellement condamnées à la peine de mort, « il me semble que dans cette situation-là la France interviendrait en négociant avec l’Etat en question et encore une fois ce serait un traitement au cas par cas. »

Des Françaises condamnées à mort en Syrie et en Irak

Pourtant, les journalistes du quotidien Le Monde Fabrice Lhomme et Gérard Davet, auteurs d’Un Président ne devrait pas dire ça, écrivaient que François Hollande avait autorisé plusieurs assassinats ciblés contre des jihadistes. Plus tard en mai 2017, le Wall Street Journal soupçonnait également la France de sous-traiter l'élimination des jihadistes français de Mossoul auprès des forces irakiennes.

De plus, plusieurs Françaises, qui ont rejoint l’organisation Etat islamique et qui ont été faite prisonnières, sont actuellement condamnées à la peine de mort en Syrie et en Irak. Leurs avocats accusent les autorités françaises de ne pas déployer d’efforts diplomatiques pour éviter leur exécution, comme ils le font actuellement dans l’affaire de Serge Atlaoui, condamné à mort en Indonésie pour trafic de drogue, et d’une manière systématique pour tous les ressortissants français condamnés à l’étranger, quel que soit leur crime.

Le statut de « terroriste » marque-t-il pour certains un seuil limite de nos valeurs abolitionnistes ? On pourrait s’interroger. Pour Raphaël Chenuil-Hazan, directeur d’Ensemble contre la peine de mort (ECPM), « la question principale, c’est que normalement la France ne tergiverse pas sur ses valeurs et sur les valeurs européennes, et donc se poser la question 'pour quelle raison est accusé le Français à l’étranger', c’est commencer par poser la question dans le mauvais sens. L’idée ne sera jamais d’excuser le terrorisme sous aucune forme que ce soit, mais plutôt de se concentrer sur des principes qui fondent notre démocratie ».

Dmitri Konovalov (G) et Vladislav Kovalev (D) dans leur cage d'accusés lors d'une comparution devant le tribunal de Minsk, le 15 septembre 2011.
Dmitri Konovalov (G) et Vladislav Kovalev (D) dans leur cage d'accusés lors d'une comparution devant le tribunal de Minsk, le 15 septembre 2011. EUTERS/Vasily Fedosenko

La guerre pose-t-elle la question de la peine de mort autrement ? « Oui, et là est toute l’ambiguïté », affirme Florence Bellivier de la FIDH. « Quand Robert Badinter a prononcé son très fameux discours sur l’abolition devant le parlement, il réservé, justement, l’hypothèse de la guerre. Il disait : en France, on est maintenant dans une période de paix et donc on n’aura jamais plus besoin de la peine de mort et donc cette raison ajoutée à toutes les autres, juridiques, morales, faisaient qu’il estimait que le temps était largement venu. Maintenant on est dans cette ambigüité : en France même, on n’est pas en guerre, mais à l’extérieur on est en guerre, on se bat contre des ressortissants français et on sait bien que les temps de guerre effritent les grands principes. Malgré tout, c’est l’occasion pour nous les abolitionnistes de dire, y compris en temps de guerre, qu’on doit abolir la peine de mort, qui ne fait que rajouter à cette culture complétement terrifiante de morts, de cycle de violence, de morts légalement ou illégalement prononcées. Ill faut interrompre ce cycle ».

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