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Emmanuel Macron : l'impossible "en même temps" sur la question des migrants

Emmanuel Macron à Calais le 16 janvier 2018.
Emmanuel Macron à Calais le 16 janvier 2018. © REUTERS/Benoit Tessier
La Rédaction

Avec le projet de loi sur l’asile et l’immigration, Emmanuel Macron est confrontée aux contradictions de son électorat. La consultante en analyse et stratégie d’opinion Chloé Morin et Marie Gariazzo, de l’Ifop, ont étudié les réponses des Français.

Depuis la publication de la « circulaire Collomb » en décembre dernier, qui a ébranlé jusqu’à certaines figures de la majorité présidentielle, la politique migratoire du gouvernement a fait l’objet de nombreuses polémiques médiatiques et politiques. Les études quantitatives indiquent, a priori, qu’une nette majorité de Français penche pourtant pour une politique migratoire plus restrictive. Nous avons souhaité aller au-delà des chiffres, et interroger les Français sur leur perception de la politique migratoire du gouvernement. 

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Tout d’abord, il existe un contraste frappant entre, d’une part, l’importance que semblent attacher beaucoup de personnes interrogées à ce sujet, et d’autre part, la difficulté qu’ils ont à rendre compte de la situation présente. Si l’immense majorité apparaît partager l’idée que la politique migratoire actuelle n’est pas satisfaisante, et nécessite donc d’être réformée, il existe une forte polarité des opinions quant aux objectifs à poursuivre et aux solutions concrètes à adopter.

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D’abord, il convient de remarquer que beaucoup de personnes, bien que témoignant d’une conscience de la gravité de la question (on parle de « gravité », de « misère », de « complexité »…), s’avouent sans opinion quant aux solutions qu’elle appelle. La difficulté à exprimer et construire une pensée sur le sujet est une constante des enquêtes réalisées sur le sujet depuis la crise de l’été 2015. L’axe prédominant de l’énoncé des réflexions sur le sujet indique que le seul récit bien ancré dans les têtes est celui imposé par le FN depuis des années - ceux qui n’y souscrivent pas se trouvant démunis, incapables de réconcilier leur empathie naturelle avec un principe de réalité qui semble indiquer que notre pays n’a pas les moyens de l’accueil. 

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Merkel, le contre-exemple

Tout se passe comme si une bonne partie de l’opinion déléguait donc à l’Etat le soin de résoudre ce problème insoluble : réconcilier les valeurs personnelles et principes fondateurs de l’accueil avec une réalité complexe, et soulager ainsi leur conscience. La complexité permet ainsi de mettre à distance un sujet qui met mal à l’aise. De nombreux interviewés semblent dès lors se cacher derrière des formules du type « c’est une question difficile à trancher », « je ne connais pas assez le sujet », « c’est quelque chose qui ne se règlera jamais »… pour finalement suivre tout cela de façon assez lointaine. 

Pour ceux qui se prononcent clairement, on constate que les représentations s’appuient sur la compréhension qu’ils ont de la question économique et sociale, et leur conception de la question « identitaire ». Les questions sociales peuvent ainsi prendre le pas sur une approche humanitaire au titre du conflit de l’accueil avec ce qui est perçu comme l’intérêt personnel de chaque sondé (qui assimile très souvent la peur d’une concurrence des étrangers sur nos emplois ou l’attribution des aides publiques, par exemple). Quant à la question identitaire, elle est sous-jacente dans les propos, en particulier à droite: on souligne l’importance de « faire des efforts pour s’intégrer », d’ « apprendre la langue », et certains vont jusqu’à confondre politique migratoire et question du rapatriement des Français partis combattre en Syrie.

La question de Calais - qui fut au coeur de l’actualité lorsque nous avons interrogé les Français, avec le déplacement présidentiel sur place - et de la répartition des responsabilités avec l’Angleterre est fréquemment évoquée. Beaucoup ont le sentiment de « faire le sale boulot » des Anglais, qui plus est alors qu’on sait que bien souvent, ces migrants ne souhaitent nullement rester en France.

D’ailleurs, il faut remarquer l’absence de lecture géopolitique dans l’appréhension du sujet. Les sondés ne font pas de lien avec les conflits à l’origine de certaines migrations et ne développent pas de réelle lecture européenne sur la question - en dehors du souhait de voir l’Angleterre accueillir plus largement les migrants qui « attendent » de traverser la frontière -. Peu de références sont faîtes à la situation en Allemagne et à la politique menée par Angela Merkel, par exemple. De même, les naufragés et les morts par milliers en Méditerranée sont ignorés, comme si l’émotion avait cédé le pas à l’habitude et que la dimension humaine du sujet était désormais écartée pour ne laisser place qu’à une lecture économique, franco-centrée, purement gestionnaire…

Dans l’expression des peurs affirmées par les sondés, il est à remarquer que la peur sociale ou économique (« la Franc n’a pas les moyens », « il faut déjà s’occuper des gens qui sont en difficulté dans notre pays », « pensez d’abord à toutes les personnes dans nos rues, qui n’ont ni logement, ni travail »….) sont extrêmement majoritaires alors que la question sécuritaire (peur de la délinquance des migrants, ou de voir des terroristes s’infiltrer de cette façon), qui avait surgi notamment au moment des attentats du 13 novembre, est aujourd’hui exprimée de manière bien plus marginale. Cela ramène le sujet à une dimension sociale première, l’idée qu’il « faut commencer par s’occuper de ceux qui sont en difficulté ici » ayant le mérite, à défaut de résoudre tous les problèmes, d’apparaître comme un principe simple et logique. Autre argument fréquemment évoqué, l’idée « d’aider à leur rendre la vie correcte dans leur pays » permet aux interviewés de concilier leurs principes avec leur perception de la situation économique de notre pays. 

Conséquence de la prédominance de la question sociale, la logique la plus communément utilisée (et ce de manière écrasante) est celle d’un accueil « en fonction des besoins », et non pas « au nom de principes » ou de règles établies : « une politique doit être clairement définie, contrôlée et contingentée en nombre maximal de personnes qui seront accueillies », nous dit ainsi un sympathisant LREM. Avec ses mots, c’est bien « d’immigration choisie » qu’une grande majorité des Français parle en creux. Cette logique est au coeur de la communication gouvernementale, qui prend soin d’exposer l’intangibilité du droit d’asile tout en contestant la capacité du pays à « accueillir toute la misère », selon la formule désormais consacrée.

Cependant, il est possible de s’interroger sur les conséquences de long terme d’un tel discours: dès lors que les autorités paraissent valider la logique selon laquelle la France « n’a pas les moyens » d’accueillir plus qu’un certain nombre défini de personnes, elles peuvent conforter ceux qui, ne faisant guère de distinction entre réfugiés et migrants économiques, raisonnent en « nombre de personnes que l’on peut accepter » indépendamment des principes et des règles régissant l’accueil. Le risque d’un discours centré sur la capacité d’accueil plus que sur les principes pourrait être d’affaiblir, dans une opinion désorientée, l’acceptabilité même de l’accueil des réfugiés au delà d’un certain quota. Et ainsi d’affaiblir les principes affichés par Emmanuel Macron lui-même, qui avait salué le courage d’Angela Merkel et défendu les idées d’humanisme et d’ouverture au niveau européen.

Le gouvernement tente de trouver une voie de compromis 

Nous nous heurtons ici à un problème fondamental de la communication politique de ces dernières années, en particulier sur les sujets sécuritaires et migratoires. Dès lors que le narratif qui a prédominé dans l’opinion depuis plusieurs années pour rendre compte du réel, sans réelle alternative, a été celui du Front national - liant immigration et question sociale et identitaire, assimilant les réfugiés tantôt à des assistés, tantôt à une « invasion » diluant notre identité et remettant délibérément en cause nos valeurs - tout discours alternatif présente le risque d’être perçu « déconnecté du réel ». C’est un reproche qui a d’ailleurs été fréquemment fait à la gauche. Ainsi, les gouvernements « progressistes » (et celui d’Emmanuel Macron n’échappe pas à ce défi) semblent être condamnés soit à ramer à contre-courant des représentations dominantes, en risquant de se voir reprocher une « déconnexion » du réel et un laxisme coupables, soit de faire des concessions à la perception dominante de la réalité (en ramenant le sujet à la question sociale, par exemple), et par là même de conforter les représentations établies.

Comme il a su le faire avec succès sur d’autres dossiers clivants, le gouvernement tente de trouver une voie de compromis en insistant sur la méthode - dialogue avec les associations, association de la majorité à la co-construction de la loi - et en dépolitisant au maximum le dossier. Il s’agirait d’améliorer les procédures, de mieux « gérer » (la circulaire Collomb est d’ailleurs directement issue des recommandations formulées par le Premier président de la Cour des comptes dans un avis rendu au Premier ministre à l’été 2015 - c’est donc bien là une approche « gestionnaire »).

Mais il n’est pas certain que le pari macronien, en la matière - soulignons qu’en termes de discours équilibrant fermeté et humanité, il s’inscrit plutôt dans la continuité de celui porté sous le quinquennat précédent-, soit gagnant à long terme. Emmanuel Macron apparaît en effet, à ce stade, soutenu par son coeur d’électorat. Mais on retrouve parmi eux tant une attente de fermeté (« il ne faut pas se laisser déborder », « le laxisme aurait des conséquences néfastes pour notre pays ») que d’humanité (« il faut aider ceux qui fuient les guerres et les persécutions », « il est moralement indiscutable d’accueillir des étrangers en situation d’urgence, de détresse »).

Ce discours se trouve donc systématiquement pris en tenaille entre d’un côté, ceux qui - souvent à droite, mais parfois même au coeur du socle macronien - jugent sa politique trop « laxiste », et de l’autre, ceux qui s’indignent (« cette politique « migratoire » me fait honte, la distinction entre demandeurs d’asile et réfugiés économiques me semble spécieuse, on ne peut vraiment pas dire que la France soit généreuse! »). Tant d’émotions, de récits personnels, et de douleurs s’entremêlent aux jugements exprimés, qu’il est permis de s’interroger sur la capacité du pouvoir à réellement dépassionner le débat et à « réconcilier » ceux qui nous disent « nous ne voulons plus d’immigrés » et ceux qui jugent la politique menée « indigne ».

En outre, dès lors qu’une bonne part des personnes se situant au coeur de l’échiquier politique, en particulier au centre gauche, semble peiner à rendre compte de la situation, il est fort probable qu’ils acceptent le récit gouvernemental et souscrivent peu à peu à la logique « d’immigration choisie ». Ainsi, le discours officiel pourrait contribuer à long terme à un glissement de la population « modérée » sur le sujet migratoire vers une discours de fermeté.

Un test pour la méthode Macron

Il est frappant de constater que le ministre de l’Intérieur, souvent pointé dans les médias, est très rarement évoqué par les personnes interrogées. De ce point de vue, les tiraillements internes à la majorité, entre sensibilité « ouverte » et plus « ferme », semblent échapper à la plupart des sondés, et ne pourront donc pas être mis à profit pour élargir la base du soutien gouvernemental. Il n’y a bien ici, comme sur les autres sujets, qu’une seule ligne perçue, même si c’est celle du « en même temps ».

Cela pourrait représenter un autre risque pour le président de la République, qui se trouve alors - comme sur beaucoup de sujets - seul à incarner son discours de synthèse entre fermeté et humanité, et sera sans doute jugé seul comptable des résultats de la politique menée. Le partage des rôles entre président et ministre de l’Intérieur peut donc s’avérer dangereux, posant le président en première ligne d’un dossier complexe qui ne se résoudra pas dans les mois et années qui viennent.

Nicolas Sarkozy avait semblé vouloir faire de sa politique migratoire un symbole de son volontarisme, en particulier lorsqu’il a entreprit de reconquérir les couches populaires qui l’avaient déserté face à l’échec du « travailler plus pour gagner plus ». Son ex-conseiller Patrick Buisson fait même de l’échec de la politique migratoire menée à se conformer aux discours tenus par Nicolas Sarkozy la principale cause de son échec en 2012. Que l’on partage ou non ce constat, il est intéressant de noter que la comparaison faite par certains commentateurs entre le volontarisme sarkozyste et son successeur macroniste ne s’impose pas à l’opinion en matière de politique migratoire. Tout se passe comme si, pour l’immense majorité, tous les prédécesseurs d’Emmanuel Macron étaient placés dans le même sac: celui de l’échec et de l’impuissance.

Si le laxisme perçu de sa politique était venu invalider la fermeté des discours sarkozystes, la problématique est très différente dans le cas présent: le risque est - pour les plus ouverts - celui d’un hiatus perçu entre l’ouverture européenne et des actes fermes, mais aussi celui - pour les sympathisants de droite - d’une disjonction entre paroles fermes et actions. Etre en même temps humain et gestionnaire efficace apparaît difficile. Comment assouvir les souhaits d’intransigeance à l’égard des migrants - qui existent de manière importante dans l’opinion- en restant équilibré ? Sans préjuger de l’issue des polémiques actuelles et des résultats de la politique menée, il est possible d’affirmer que c’est sans doute là la première fois qu’un sujet teste à ce point la résistance de la « méthode Macron ». 

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