Sous les voies de la Gare de l'Est, un bunker figé dans le temps

Qui remarque une trappe discrète sur le quai Gare de L'Est, quand part un TGV pour Strasbourg? Elle cache un bunker aménagé juste avant la Seconde Guerre mondiale, et miraculeusement préservé depuis près de quatre-vingts ans.

La trappe ouverte, un escalier mène à un sas de béton brut, et à une admirable porte blindée signée des coffres-forts Bauche.

Sous les voies de la Gare de l'Est, un bunker figé dans le temps

"Le souci, c'était les gaz", explique Clive Lamming, historien des chemins de fer, en présentant cet endroit singulier à l'AFP. "On se souvenait de la Première Guerre mondiale! Il fallait donc un lieu parfaitement étanche."

Cet abri, "un lieu de repli en cas d'attaque aérienne", a été aménagé en 1939 dans des souterrains construits quelques années plus tôt pour acheminer les bagages. Le but du jeu était d'y abriter le personnel nécessaire pour continuer à faire rouler les trains -- ceux de la Gare de l'Est partaient vers l'Allemagne.

Le bunker pouvait abriter environ 70 personnes dans une dizaine de petites pièces sous trois mètres de plafond, 120 m2 en tout avec une température de 15°C en toute saison. "On pouvait y tenir une heure ou deux", estime l'historien.

Construit par les autorités françaises, il a été investi par les Allemands après la défaite de 1940. Quelques inscriptions témoignent encore de leur passage, comme un "Notausgang" (sortie de secours) pieusement conservé près de l'entrée, et aussi des annotations bilingues sur des plans.

Le bunker de la Gare de l'Est n'a jamais vraiment servi. "A mon avis, il n'a pas été terminé", avance M. Lamming, même si les travaux ont officiellement été réceptionnés en 1941.

Sous les voies de la Gare de l'Est, un bunker figé dans le temps

De fait, Paris a été plutôt épargnée par les attaques aériennes pendant la Seconde Guerre mondiale, le danger ne venait plus des gaz... Et on se dit, en entendant arriver un TGV au-dessus de sa tête, que le plafond n'aurait sans doute pas résisté à un bombardement.

- vélo-ventilateur -

Sous les voies de la Gare de l'Est, un bunker figé dans le temps

"Depuis quatre-vingts ans, c'est la Belle au bois dormant", dit l'historien en pénétrant dans la salle des machines. "Tout est en état neuf de 1939!"

Cette salle est un petit bijou des années 1930, remplie de vieux moteurs, compresseurs, absorbeurs de CO2, compteurs, cadrans, gaines de cuivres et poignées de bakélite ne demandant qu'à être astiqués. Des batteries y permettaient la ventilation en cas de coupure de courant. Au pire, il suffisait de pédaler sur deux étonnants vélos pour mettre en marche une soufflerie et avoir un peu d'air frais.

Sous les voies de la Gare de l'Est, un bunker figé dans le temps

Même impression de musée au central téléphonique à côté, dont l'enchevêtrement de fils mériterait d'être classé aux monuments historiques. On pouvait y joindre les gares du réseau de l'Est, et sans doute d'autres bunkers, au cas où.

Les autres pièces, moins spectaculaires sans doute, sont encore meublées de quelques tables et chaises d'époque où les agents pouvaient déterminer les créneaux de circulation des trains. L'abri était conçu pour accueillir 72 postes de travail, et quelques papiers jaunis assurent le décor. Il y a même un lit.

Le bunker de la Gare de l'Est est tombé dans un semi-oubli après la Libération. Il est peu à peu devenu à la SNCF comme une légende parmi les employés, même si la modernité y a apporté un joli téléphone gris dans les années 1970 et plus récemment un éclairage aux normes.

"L'objectif, c'est de le préserver", d'autant que les abris installés dans d'autres gares à l'époque ont tous disparu, assure-t-on chez Gares & Connexion, la filiale de la SNCF chargée des gares de voyageurs.

Le bunker ne se visite qu'exceptionnellement, parfois lors des Journées du Patrimoine. Il faut dire qu'il ne supporterait pas les foules. Comme remarque Clive Lamming, "c'est comme la grotte de Lascaux"!