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Des outils sophistiqués vieux de 385 000 ans découverts en Inde

L’ancienneté de ces pierres taillées de « type Levallois » pose la question de leur origine : qui les a façonnées, sachant qu’aucun fossile n’a été retrouvé sur le site ?

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Publié le 31 janvier 2018 à 19h52, modifié le 01 février 2018 à 13h06

Temps de Lecture 5 min.

Une énigme de plus, dans une discipline qui en regorge, la préhistoire. Pourquoi a-t-on retrouvé en Inde des pierres taillées sophistiquées, vieilles de 385 000 ans (avec une fourchette de plus ou moins 64 000 ans), alors que les plus anciens de ces outils dits de « type Levallois », en Afrique et en Europe, datent plutôt d’environ 300 000 ans ? Et qui les a façonnées ?

La découverte, présentée dans la revue Nature, jeudi 1er février, par une équipe indo-française, repose la question épineuse de l’origine de ce type d’innovation technique.

Quelques pierres taillées du Paléolithique moyen du site d’Attirampakkam, en Inde.

Les pierres taillées de type Levallois ont été ainsi nommées d’après la ville des Hauts-de-Seine où elles ont d’abord été retrouvées, au XIXe siècle. Elles sont caractérisées par un mode de débitage bien plus complexe que celui qui a auparavant donné naissance aux bifaces acheuléens (une dénomination liée à un quartier d’Amiens).

Une « évolution technologique locale sur plus d’un million d’années »

L’industrie lithique acheuléenne, documentée à partir de 1,7 million d’années en Afrique de l’Est, et à 600 000 ans environ en Europe, est attribuée à des espèces du genre Homo (comme erectus) plus anciennes que la nôtre, sorties d’Afrique bien plus tôt. Elle précède partout celle du Levallois, généralement considérée comme une invention d’Homo sapiens.

Cet enchaînement a été observé sur le site d’Attirampakkam, près de Madras. En 2011, une partie de l’équipe qui signe l’article dans Nature avait déjà annoncé dans la revue Science la découverte de bifaces acheuléens vieux de 1,5 million d’années, lors de fouilles conduites entre 1999 et 2009.

Cette fois, Kumar Akhilesh et Shanti Pappu, du Sharma Centre for Heritage Education de Chennai (l’ancienne Madras), et leurs collègues ont daté et étudié les couches sédimentaires plus récentes. « Nous avons donc un aperçu de l’évolution technologique locale sur plus d’un million d’années », note le géomorphologue Yanni Gunnell, professeur à l’université Lumière Lyon-II et rattaché au laboratoire environnement, ville, société (EVS), qui a participé aux deux études.

Cette longue série a permis d’observer une inflexion dans les objets produits : le passage à la technologie Levallois serait donc intervenu il y 385 000 ans et se serait poursuivi jusqu’à 172 000 ans. Les bifaces ont laissé place à des outils plus petits, avant que le site ne soit abandonné, il y a environ 74 000 ans — peut-être en lien avec l’éruption massive du volcan Toba, à Sumatra.

« En bordure d’une petite rivière, moins dangereuse que les grands cours d’eau débordant lors des moussons, [le site] devait offrir de l’ombre et des opportunités de chasse », avance Yanni Gunnell, qui a étudié l’évolution des sédiments ayant emprisonné les outils. Il ne s’agissait pas d’une usine de fabrication de type « fordiste » (industriel), mais plutôt d’un atelier de débitage occasionnel, avance-t-il.

Aucun fossile trouvé sur place

Qui donc s’est mis à tailler ces pierres de façon plus subtile ? Impossible de le déterminer, car aucun fossile n’a été trouvé sur place. Dans l’article de Nature, les chercheurs restent prudents, mais leur titre suggère de « reformuler les modèles de type “out of Africa” ». Ceux-ci postulent que la technique Levallois se serait répandue sur la planète à la faveur de la sortie d’Afrique de notre espèce, Homo sapiens.

On pensait que celle-ci était intervenue il y a quelque 120 000 ans, mais deux découvertes récentes ouvrent la possibilité qu’elle ait été beaucoup plus ancienne : des Homo sapiens de 315 000 ans retrouvés au Maroc ont considérablement « vieilli » notre espèce ; la présence d’un de ses représentants en Israël il y a 180 000 ans, annoncée il y a quelques jours, a aussi repoussé dans le temps nos velléités d’expansion territoriale.

Yanni Gunnell et ses collègues ne vont pas jusqu’à écrire qu’Homo sapiens était le fabricant des Levallois d’Attirampakkam. « Cela relèverait plus du sentiment que de la preuve », admet-il. L’équipe veut aussi éviter des récupérations nationalistes, la tentation pour chaque pays de se revendiquer comme berceau de l’humanité étant toujours présente.

L’hypothèse de la convergence technologique

Reste l’alternative : qu’une technologie comme le débitage Levallois ait été « inventée » de façon indépendante dans diverses régions du monde, par des espèces tout aussi diverses. « Cette hypothèse de la convergence technologique correspond à l’opinion dominante, commente Jean-Jacques Hublin (Collège de France, Institut Max-Planck, Leipzig), découvreur des fossiles marocains de Djebel Irhoud. Mais est-ce qu’il n’y a pas pu avoir diffusion d’une telle invention, au gré des déplacements des populations humaines ? »

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Les fourchettes très larges des datations pourraient rendre un tel scénario envisageable : si l’on prend la marge haute de la datation des fossiles marocains (315 000 ans + 34 000 ans) et la plage basse pour le site indien (385 000 ans – 64 000 ans), les incompatibilités temporelles s’effacent.

Sachant qu’à la même époque, on a enregistré un épisode de « Sahara vert », le tableau se complète : « Les chasseurs-cueilleurs auraient ainsi rencontré entre l’Afrique et l’Asie du Sud un continuum d’écosystèmes de steppe et de savane sans interruption majeure par une barrière désertique, favorable à la dispersion des faunes cynégétiques avec lesquelles ils ont co-évolué », écrit Yanni Gunnell dans le communiqué de presse qui accompagne la publication dans Nature.

« Une simple recherche de tranchant »

Ce scénario ne convainc par Eric Boëda, spécialiste de la taille des outils lithiques (université Paris-X Nanterre). Pour la simple raison que, selon lui, les pierres taillées présentées « ne sont pas du Levallois ». Il estime qu’elles correspondent à « une analogie non contrôlée » avec cette méthode de taille, à « un début de production normalisée, un débitage même pas suivi de façonnage, une simple recherche de tranchant ». Mais pas au fruit de l’anticipation subtile qui permet de débiter une série d’outils à partir d’un bloc initial.

« C’est tout le problème de la définition de ce qu’est du Levallois, répond Yanni Gunnell. Chacun a vu le sien dans son pré-carré. Il y a des variantes locales. Ce n’est pas une production de masse comme le dernier Samsung. » L’objection d’Eric Boëda ne le surprend pas : « C’est bon pour le débat scientifique. Les outils peuvent être consultés sur place au Sharma Centre de Chennai. »

Lui aussi spécialiste de la production des industries lithiques, Vincent Mourre (Institut national des recherches archéologiques préventives) estime que les doutes émis par Eric Boëda « ne sont pas justifiés » - même si la qualification de « laminaires » de certaines production « pourrait sans doute être tempérée ». La critique de son confrère « ne tient pas compte de la variabilitié des méthodes Levallois dans le temps et dans l’espace ni de la nécessaire adaptation aux matières première locales, en l’occurrence, du quartzite ». Une des planches présentant des « nucléus », ces noyaux de pierre dont sont tirées les lames, lui semble « particulièrement convaincante ». « En l’absence de fossile humain ancien bien daté dans le sous-continent indien, les retombées immédiates sont peut-être un peu plus modestes que ce que laisse entendre le titre de l’article de Nature », tempère cependant le chercheur.

« Le drame de l’Inde, c’est qu’il n’y a pas de fossiles », constate aussi Jean-Jacques Hublin. Une géologie défavorable n’a pas permis la préservation des restes des hominidés qui l’ont arpentée jadis. Une absence qui laisse la place à l’imagination.

---- Cet article a été modifié pour préciser que la dénomination « acheuléen » provient d’un quartier d’Amiens et non de la ville voisine de Saint-Acheul (Somme), et pour ajouter les commentaires de Vincent Mourre, non disponibles au moment de sa première publication.

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