Harcèlement et cinéma : 120 Italiennes “dénoncent le système tout entier”

Dans le sillage de l’affaire Weinstein, et des insultes proférées contre Asia Argento qui l’avait dénoncé, des Italiennes du monde du spectacle publient une lettre choc, contre “un système qui consacre l’absolue domination masculine” et le “chantage implicite” auxquels sont soumises toutes les femmes.

Par Juliette Bénabent

Publié le 02 février 2018 à 17h40

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h31

Plus de cent vingt actrices, productrices et travailleuses du monde du spectacle italien ont publié le 1er février 2018, dans le quotidien La Reppubblica, une lettre coup-de-poing. Alors que les dénonciations de l’actrice Asia Argento contre Harvey Weinstein, en octobre 2017, lui avaient valu de nombreuses réactions insultantes en Italie, des dizaines de femmes se sont réunies pendant deux mois, « pour intervenir avec la force d’un collectif et ne pas permettre que les témoignages des derniers mois demeurent seulement des voix isolées. » 

Voici des extraits de leur texte, intitulé Dissenso comune (« Dissidence commune »), « Des femmes du spectacle à toutes les femmes. Unies pour repenser les espaces communs du travail, et pour une société qui reflète un nouvel équilibre entre hommes et femmes », et signé par cent vingt-quatre actrices et femmes travaillant dans le monde du spectacle – dont Alba et Alice Rochwacher, Valeria Golina, Jasmine Trinca, les sœurs Francesca et Cristina Comencini…  

« Cette lettre n’est pas seulement un acte de solidarité avec les actrices qui ont eu le courage de parler en Italie et qui, pour cela, ont été attaquées, moquées, poursuivies, mais un acte de témoignage. Nous vous remercions, parce que nous savons que ce que vous avez raconté est vrai, et nous le savons parce que cela est arrivé à chacune d’entre nous, sous des formes diverses (...)
Parler, c’est révéler comment le harcèlement sexuel est reproduit par une institution. Comment il est devenu culturel, un ensemble de pratiques que nous devrions accepter parce que c’est ainsi que les choses sont, ont toujours été, et seront toujours.
Le choix devant lequel est placée une femme au travail est : “Habitue-toi, ou sors du système.
Ce n’est pas le bruit médiatique qui nous intéresse. Notre discours n’est pas, et ne sera jamais moraliste. Le harcèlement sexuel n’a rien à voir avec le “jeu de la séduction”. Nous connaissons notre plaisir, la frontière entre le désir et l’agression, la liberté et la violence. 
(...)
Pourquoi le cinéma, et les actrices ? Pour deux raisons. D'abord, le corps des actrices incarne le désir collectif, et puisque dans notre système ce désir collectif est masculin, le bon sens commun voit en elles des créatures narcissiques, volubiles et vaniteuses, prêtes à user de leur corps comme une monnaie d’échange pour apparaître. (...) 
La deuxième raison est que les actrices ont la force de pouvoir parler, leur visibilité est notre caisse de résonnance. Elles ont le mérite, et le devoir, de se faire les porte-voix de cette bataille pour toutes les femmes qui vivent une condition semblable dans leur travail, et dont la parole n'a pas la même puissance. (...)
Le harcèlement sexuel est un phénomène transversal, au cœur du système, sous les yeux de tous, ce système qui consacre l’absolue domination masculine dans les lieux de pouvoir, les écarts de salaire, la sexualisation permanente des relations de travail. L’inégalité entre les sexes fait courir aux femmes, à toutes les femmes, un risque de harcèlement puisqu’elles sont sans cesse soumises à un chantage implicite. Cela arrive à la secrétaire, à l’employée, à l’immigrée, à l’étudiante, à la diplômée… Cela arrive à toutes.
Nommer le harcèlement comme un système, et non comme une pathologie d’individus isolés, signifie menacer toute cette culture. Nous ne sommes pas les victimes de ce système, nous sommes celles qui aujourd’hui avons la force de le démasquer, et de le renverser. Nous ne pointons pas le doigt contre un seul “harceleur”. Nous dénonçons le système tout entier. Le temps est venu où nous avons cessé d’avoir peur. »
 
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