Patrice Duhamel. «Perdre le pouvoir est plus douloureux qu'une rupture amoureuse !»

Par Propos recueillis par Philippe Minard/ALP

Dans "Les jours d'après" (*), Patrice Duhamel raconte les premiers jours de 23 personnalités françaises quand elles quittent le pouvoir. Du général de Gaulle à Hollande en passant par Giscard, Chirac, Sarkozy ou Rocard, leur blessure est aussi grande que leur incompréhension. Touchant et révélateur d'une "spécificité française".

Patrice Duhamel. «Perdre le pouvoir est plus douloureux qu'une rupture amoureuse !»
(Photo Hannah Assouline)


Les jours d'après sont, selon vous, aussi douloureux qu'une rupture amoureuse ?
Dans ce que cela provoque, je pense que cela peut même être plus douloureux. Si l'on s'en tient, par exemple, aux anciens Présidents, qui ont été battus alors qu'ils voulaient se représenter, comme Giscard ou Sarkozy, ce sont les Français qui ont choisi de les quitter. Des millions et des millions de Français. Ils se réveillent le lundi matin avec le sentiment d'avoir été rejeté, de ne plus être aimé. Les amis les ont déjà quittés ou vont les quitter dans les jours qui viennent. Ils ont le sentiment d'avoir consacré leur vie à ce pays, donc c'est une injustice totale. Et ils ont deux idées en tête : défendre leur bilan et tout faire pour revenir. En 2012, Sarkozy a fait un très beau discours d'adieu mais, dès le lundi, il téléphonait à ses copains pour dire que s'il avait eu 15 jours supplémentaires de campagne, il gagnait les doigts dans le nez.

Si on ne peut prévoir la fin d'une histoire d'amour, on peut, en revanche, envisager la fin d'une carrière politique. N'y a-t-il pas un sentiment d'éternité chez eux ?
C'est l'effet pervers de la monarchie républicaine et de l'élection du Président au suffrage universel. J'ai connu professionnellement tous les présidents, à l'exception du général de Gaulle. Ils ont passé à l'Élysée, selon les cas, 5, 12 ou 14 ans et ont considéré qu'ils étaient la France. De Gaulle avait la légitimité historique pour le penser. Je me souviens d'un incident avec Sarkozy, en 2008 qui, arrivant à la télé, est accueilli par quelques syndicalistes pas bien méchants et il se plaint en disant : « Le président de la République est tout de même chez lui dans le service public ! ». Tous les Présidents ont le sentiment et c'est vrai qu'ils incarnent le pays. Le Président, c'est la France ! Quand ils perdent, ils ne peuvent plus vivre normalement. Nous avons fait ce livre car il s'agit justement d'une singularité française, qui me semble néfaste à une démocratie adulte. Si vous prenez les anciens Présidents américains, les premiers ministres britanniques ou les chanceliers allemands, quand ils perdent, c'est fini.

Au moment où tout bascule, ils détestent l'univers politique et semblent soulagés de le quitter ?
C'est ce qu'ils disent. Quand il quitte Matignon, Raymond Barre prend un immense plaisir à retrouver sa vieille voiture et rouler dans Paris durant des heures. Ils ont ce réel besoin d'évasion mais s'ils ne ressentent pas de sympathie en croisant les gens, c'est terrible. Chirac le vivait extrêmement mal. Lors des promenades où les gens prêtaient moins d'attention, Jean-Louis Debré l'emmenait sur le pont des Arts où les étrangers, toujours nombreux à cet endroit, saluaient l'ancien Président... Quand vous avez perdu, vous êtes dans la contradiction permanente. Vous vous dites soulagé mais vous ne rompez pas. Rocard part seul sur son voilier faire le tour des îles de la Méditerranée mais à chaque port, un conseiller vient le renseigner... En 1981, Giscard part en famille de longues semaines dans un ranch isolé du Montana (États-Unis) mais chaque matin, il demande à un ami, fin connaisseur de la politique : « Pourquoi ai-je perdu ? ». Et ça dure deux heures. Ils partent souvent loin de Paris mais se disent que les Français ne peuvent pas les avoir oubliés...

Comment pourraient-ils mieux servir leur pays ?
Ce qui manque au pays, c'est un minimum d'organisation politique qui leur permettrait de jouer un rôle, comme les anciens Présidents américains. Je pense par exemple à la mission de Jimmy Carter au Moyen-Orient. Les anciens Présidents ont des moyens logistiques mais à partir du moment où ils font tout pour revenir et pour peser avec une part d'aveuglement, comme Hollande et Sarkozy aujourd'hui, cela ne sert pas le pays. C'est le mystère français. Ils pourraient jouer les grands médiateurs mais pour des causes internationales, pour leur pays. Or, l'un s'occupe de reconstruire le PS et l'autre de conseiller Wauquiez... Il y a un contre-exemple exemplaire, c'est Simone Veil. Quand sa vie politique active s'arrête, elle va continuer un combat pour le devoir de mémoire et pour l'Europe. Elle a été d'autant plus utile que vis-à-vis de l'opinion, son combat était désintéressé.

Quel est celui qui a le plus souffert ?
De Gaulle a énormément souffert car il a vécu le résultat du référendum de 1969 comme une injustice terrible. C'est curieux que cela ne soit pas plus souligné mais c'est le seul président qui a mis en cause sa légitimité personnelle lors de chaque scrutin ou référendum. En quittant l'Élysée, il est parti se noyer dans son chagrin. Quand sa femme disait qu'il était miné par le chagrin, on peut se poser la question de son suicide politique. Il ne voulait voir personne et vivait cloîtré. C'était assez pathétique. Giscard ne s'en est jamais remis. Il parle d'une morsure permanente. Il n'évoque jamais la « défaite » de 1981, mais parle d'une « non-victoire ».

Tous ont pratiquement juré de disparaître de la scène politique. Qui a tenu parole ?
Jospin à 95 %. Il avait fait savoir qu'il était éventuellement disponible pour la présidentielle de 2007. Il a une éthique personnelle très forte. Pour l'anecdote, il faut savoir qu'en 1976, Chirac jure à Giscard qu'il quitte la politique pour ouvrir une galerie d'art et qu'il n'entendra plus parler de lui. Giscard le croit, et une heure après Chirac fait une déclaration « boulet de canon » contre lui... Il faut noter aussi que de tous les Présidents, Chirac a été le seul à préparer sa succession. Il voulait Villepin ou Juppé. Et il a eu Sarkozy, ce qui a été terrible pour lui.

Macron appartient-il à cette race de combattants politiques ?
Quand Giscard est parti, il avait 55 ans. Si Macron fait deux mandats, il partira à 49 ans ! Il a théorisé deux choses : l'intervention et la participation de la société civile et le renouvellement. On ne l'imagine pas continuer à faire de la politique après et tirer les ficelles. Il est comme Barre et Rocard, la carte électorale, ce n'est pas son affaire.

* « Les jours d'après », Patrice Duhamel et Jacques Santamaria (éditions de l'Observatoire) 300 pages ; 19 €.

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