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SYRIE

Un site archive les vidéos de la guerre en Syrie pour en faire des preuves

Image montrant la présence de bombes à sous-munition dans la ville de Maarat Al Numan dans le nord de la Syrie, après un bombardement en août 2017, mise en ligne sur le site Syrian Archive.
Image montrant la présence de bombes à sous-munition dans la ville de Maarat Al Numan dans le nord de la Syrie, après un bombardement en août 2017, mise en ligne sur le site Syrian Archive.
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Des centaines de vidéos traitant des atrocités de la guerre en Syrie sont quotidiennement supprimées par les réseaux sociaux car jugées trop violentes. Mais un informaticien syrien réfugié en Allemagne a saisi leur valeur inestimable, car elles constituent potentiellement des preuves sur des cas de crimes de guerre. Et depuis 2014, il sauvegarde sur son site, "Syrian Archive", les contenus qu’il a pu vérifier.

Depuis Berlin où il est installé depuis 2015, Hadi al-Khatib récolte quotidiennement des dizaines de vidéos diffusées sur YouTube, Facebook ou Twitter. Avec l’aide d’une équipe de six journalistes et activistes des droits de l’Homme, ce contenu est ensuite minutieusement vérifié. Si les images sont bien identifiables, elles sont publiées sur Syrian Archive.

Plus de 4 300 vidéos ont été vérifiées et plus de 1 000 cas d’utilisation d’armes illégales consignées. Le travail est immense : plus d’1,2 millions de vidéos ont été collectées.

 

"Nous avons mis en place une méthodologie pour vérifier ces images"

D’abord, ces vidéos sont bannies des réseaux sociaux comme YouTube, au motif qu’elles sont "violentes". Rien que durant l’été dernier, entre 150 00 et 200 000 vidéos ont ainsi disparu et 180 chaînes qui les mettaient en ligne ont été coupées. Par ailleurs, des journalistes-citoyens en Syrie m’ont rapporté à plusieurs reprises avoir perdu les disques durs dans lesquels ils stockaient leurs vidéos, dans des bombardements ou au cours d’accrochages.

Comme je suis informaticien, j’ai pensé à sauvegarder ce contenu sur un serveur, et c’est ainsi que le projet Syrian Archive est né.

Avec mes collègues, nous avons commencé à professionnaliser le procédé dès 2015, car des avocats me sollicitaient souvent pour les aider dans leurs recherches sur des cas d’atteintes aux droits de l’Homme. Nous avons donc mis en place une méthodologie pour vérifier ces images.

Sur cette vidéo, les enquêteurs de Syrian Archive ont repéré la présence de bombes à sous-munitions (internationalement prohibées), quelques minutes après le bombardement de la ville de Maarrat Al Numan, dans le gouvernorat d’Idlib. Images mises en ligne le 15 août 2017.

En 2017, nous avons reçu notre première subvention, d’une fondation allemande, la Open Knowledege Foundation, soutenue par le ministère allemand de l’Education et de la Recherche.

"Nous nous intéressons à tous les indices qui peuvent confirmer l’endroit "

Les vidéos que nous récupérons sont d’abord emmagasinées sur deux serveurs, et ce de manière automatique à l’aide d’un logiciel que nous avons mis au point.

Dans un deuxième temps, nous vérifions la source qui a posté la vidéo. Avec l’aide d’un réseau de journalistes qui travaillent en Syrie, nous essayons d’identifier cette personne, de savoir s'ils la connaissent. Nous essayons de savoir si elle a déjà posté des vidéos à partir du même endroit, ou si elle a l’habitude de relayer des images venant d’endroits différents. Nous privilégions toujours une vidéo de première main, filmée par la personne sur place.

Enquête réalisée par Syrian Archive sur le bombardement de plusieurs hôpitaux dans la région d’Idlib, en avril 2017.

Nous vérifions aussi si les images n’ont pas été mises en ligne à une date antérieure, à l’aide de la technique de l’image inversée.

Nous nous intéressons ensuite au contenu, à tous les indices qui peuvent confirmer l’endroit. Cela peut-être une montagne, un bâtiment, des arbres, le minaret d’une mosquée, etc. Pour ce faire, nous comparons ces indices avec des images satellites, sur Google Earth ou encore Digital Globe.

Nous nous appuyons également sur les métadonnées des vidéos, qui peuvent fournir notamment des informations sur le lieu et la date.

Nous comparons enfin cette matière avec les témoignages des victimes relayées par les médias fiables, ainsi que les organisations des droits de l’Homme qui enquêtent sur le sujet.

Cette vidéo prouve l’utilisation par les avions de chasse russes de bombes à sous-munitions, prohibées. Images mises en ligne le 18 juin 2016.

Sur certains incidents, nous collaborons avec d’autres organismes spécialisés dans la vérification des images, comme le consortium de journalistes d’investigation Bellingcat.

Nous collaborons en outre avec la Commission d’enquête pour la Syrie [créée par le Conseil des droits de l'Homme en août 2011 pour enquêter et enregistrer toutes les violations des droits humains et les allégations de crimes contre l'humanité et crimes de guerre]. Nous leur fournissons des vidéos vérifiées, quand ils nous sollicitent sur des incidents précis.

Nous sommes également en train de constituer une base de données qui recense toutes les attaques chimiques commises contre la population civile en Syrie depuis 2012. Ce type d’attaque est malheureusement très fréquent. D’ailleurs, la dernière a eu lieu aujourd’hui [jeudi 1er février] dans la Ghouta orientale, près de Damas. Cette base de données est mise à la disposition du mécanisme d’enquête mis en place en 2017 par l’ONU.  

 

Sur le site, les recherches peuvent se faire en fonction de l'arme utilisée, du lieu, ou même du type d’exaction. Les contenus amateurs sur Internet semblent commencer à se faire une place devant les tribunaux : en août 2017, la Cour pénale internationale s’est appuyée sur une vidéo postée sur YouTube pour émettre un mandat d’arrêt international contre un officier de l’armée libyenne accusé de crime de guerre.

Hadi al-Katib travaille par ailleurs à convaincre YouTube de ne pas systématiquement supprimer des contenus considérés comme violents : il a ainsi permis de remettre en ligne une vingtaine de chaînes YouTube très utilisées pour documenter les exactions en Syrie, et identifié pour la plateforme une centaine de source qu’il estime fiable.

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