Depuis l’attentat, le Bataclan se bat toujours pour faire revenir les artistes

Jules Frutos, codirecteur du Bataclan, déplore avoir accueilli 30 % de spectacles en moins l’année dernière.

 Le Bataclan (Paris XIe).Jules Frutos, producteur et  codirecteur de la salle de spectacles.
Le Bataclan (Paris XIe).Jules Frutos, producteur et codirecteur de la salle de spectacles. LP/Frédéric Dugit

    Jules Frutos s'exprime peu depuis la renaissance du Bataclan, le 12 novembre 2016, un an après le sanglant attentat. Le codirecteur et coprogrammateur de la salle de spectacles assaillie par des terroristes le 13 novembre 2015, est réputé pour sa discrétion. Et il a d'autres priorités pour la salle qu'il a achetée en 2004 avec son associé Olivier Poubelle _ avant de revendre la majorité des parts en 2015 au groupe Lagardère : faire revenir le public et surtout les artistes.

    Il nous l'explique lors d'un entretien au cours duquel il ne souhaite pas parler du procès de Salah Abdeslam, seul rescapé de la bande tueurs du 13 novembre, jugé depuis lundi pour une fusillade en Belgique lors de sa cavale. « Je ne veux pas parler des questions judiciaires, tranche Frutos. D'autant qu'il est jugé pour autre chose que pour le Bataclan ».

    Comment allez-vous ?

    Jules Frutos. On rame. On avance pas à pas, c'est difficile, long. La normalité que nous recherchons est quand même à chaque fois remise en cause par les articles, les autres attentats. A chaque fois, c'est le Bataclan qu'on voit à la télé, dans la presse. Bien sûr que cela n'aide pas. On ne peut pas faire que ça n'existe pas, mais au quotidien, dans la vie de la salle, c'est lourd… Cela va s'apaiser, ça va dans le bon sens, mais Dieu que c'est long.

    Y a-t-il moins de spectacles ?

    Le nombre de spectacles a baissé de près de 30 % l'an dernier par rapport à une année normale. On se heurte à une concurrence accrue, la réouverture de L'Elysée Montmartre et de Pleyel en salle de musiques actuelles … et c'est compliqué de faire venir des humoristes et certains artistes français majeurs, c'est comme ça. La bonne nouvelle, par contre, c'est qu'on a 90 % de remplissage en moyenne par spectacle. On sait qu'il y a du public qui ne reviendra jamais. Mais constater qu'on progresse dans les concerts des mêmes artistes ( NDLR : depuis les attentats )… Et les rappeurs français reviennent, ça non plus ce n'était pas évident. Cela nous conforte dans notre volonté de continuer à faire vivre cette salle.

    Nicola Sirkis, d'Indochine, a déclaré qu'il ne comprenait pas que le Bataclan ait rouvert. Cela vous a blessé ?

    Cela m'a plus révolté que blessé. Faire de cette salle un mausolée serait un peu comme brûler les livres… Si je vais jusqu'au bout de la logique de Sirkis, en décidant de rouvrir le Bataclan nous tirerions profit de ce drame! Je ne m'attendais pas à ça de sa part. D'autant qu'Indochine fait partie des artistes qu'on aurait aimé recevoir. Comme les Insus (ex-Téléphone). Ils m'ont dit dix fois qu'ils viendraient et ils ne sont pas venus. Pas mal d'artistes français m'avaient assuré qu'ils viendraient et ne donnent pas de nouvelles… Mais je ne les rappelerai pas. On n'a pas une mission militante et commerciale, on ne force pas la main des artistes…

    A l'inverse, certains artistes tiennent à chanter symboliquement au Bataclan, comme samedi dernier, Julie Zenatti et son projet « Méditerranéennes » qui mélange artistes musulmans, juifs et chrétiens.

    Oui et c'est heureux. Presque tous ceux que nous avons programmés pour la réouverture de la salle en novembre 2016 tenaient à jouer au Bataclan par solidarité, Pete Doherty, Zazie, Vianney, Youssou'n'Dour… Mais ce sont des épiphénomènes. Le temps passant, les artistes viennent moins pour le symbole.

    Depuis deux ans, quels concerts au Bataclan vous ont marqué ?

    C'est difficile de répondre. Je ne suis pas un spectateur normal. J'ai plutôt des images en tête. En voilà quelques-unes : le concert de réouverture avec Sting, en novembre 2016, c'était tellement irréel, il y avait tellement de gens à voir, les associations de victimes, l'autre taré ( NDLR : le chanteur du groupe Eagles Of Death Metal ) qui voulait rentrer… Pendant le concert de Pete Doherty, en entrant dans les toilettes publiques, j'ai vu qu'il y avait de la casse, je me suis dit en riant : « ça y est, on a rouvert ». Lors du concert de Saez, je me souviens d'un couple qui s'embrassait sur le trottoir devant le vendeur d'affiches, j'ai la photo dans mon bureau. Je pense aussi au cirque « Les 7 doigts de la main », le premier qu'on a accueilli dans cette salle il y a un an. Voir des familles au Bataclan, voir des parents venir avec leurs enfants, ça fait chaud au coeur.

    Le Bataclan Café a rouvert seulement en novembre…

    Oui et c'est très important pour nous. On l'avait revendu après le drame. On avait tellement l'habitude de voir cette terrasse animée en sortant. Cet espace fermé, cela rappelait vraiment…

    Le Bataclan est toujours sous protection policière ?

    On n'a pas deux voitures de police en permanence devant, mais la salle a une attention policière particulière. Les policiers tournent.

    Comment voyez-vous l'avenir ?

    Tout ce que je sais, c'est qu'on ne revend pas la salle, qu'on a envie de rester, de continuer notre travail de fourmi… Le public revient et c'est le principal. Nous sommes humbles, modestes, solides. Ce qui m'a emmené dans cette salle, c'est qu'elle illumine le quartier. J'ai vraiment flashé dessus. J'y faisais des concerts avant même de la reprendre. Pour moi, c'est toujours la plus belle salle de Paris.