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L'étau turc se resserre sur Afrine

Une femme pleure un combattant kurde des Unités de protection du peuple (YPG) tué dans les affrontements près d'Afrin le 1er février.

Au 17e jour de l'offensive turque contre la province semi-autonome kurde d'Afrine, au nord-ouest de la Syrie, les habitants redoutent que l'étau ne se resserre davantage. «Je me sens très mal aujourd'hui. La situation est extrêmement précaire, les bombardements se font de plus en plus fréquents. Ils visent surtout les civils dont la majorité est composée de personnes déplacées. En sept ans, Afrine a accueilli tous les déplacés de la guerre civile. Mais depuis le 20 janvier (ndlr: date du lancement de l'offensive turque), cette zone est devenue un enfer sur terre», témoigne Angela Racho, co-directrice du comité de la santé publique de la région.

En deux semaines, près de 15'000 personnes ont fui leurs villages dans cette enclave où sont massés des milliers de soldats turcs et de rebelles syriens. Au total, une centaine de bourgades auraient été la cible de bombardements aériens, selon Mohammed Billo, correspondant de la webradio syrienne basée à Paris Rozana. «Ceux-ci sont particulièrement intenses au nord et à l'ouest de la ville, à Bilbil et à Rajo. Dans cette dernière localité, l'armée turque a pris des écoles et des centres médicaux comme cibles», poursuit-il. Face à ces violences, près de 300'000 personnes sont regroupées dans le centre d'Afrine», encore épargnée par les bombardements, assure le journaliste.

Catastrophe humanitaire

«Ce grand déplacement crée une situation humanitaire catastrophique. Maintenant, on en est à trois ou quatre familles par appartement», relate le reporter. Après plus de deux semaines de combats, vivres, médicaments et eau commencent à manquer. À l'hôpital Amine, le plus grand dispensaire de la ville, la situation est de plus en plus critique. «Les attaques sont tellement fréquentes que les médicaments ne suffisent plus. De nombreuses personnes sont amputées pour éviter les infections. Des associations nous ont promis de nous livrer des médicaments. Or cela fait dix-sept jours que nous n'avons pas reçu la moindre gélule», s'indigne Angela Racho. «Jusqu'à maintenant aucune organisation internationale n'est intervenue et n'a acheminé de l'aide humanitaire.

Malgré cela, la vie est très bien organisée, jusqu'à maintenant la nourriture est encore là, mais on ne sait pas jusqu'à quand on va pouvoir résister», confie Mohammed Bello. Avocat, père de deux enfants en bas âge, Rachid Kakaj a fui son village pour se réfugier dans le centre d'Afrine où il loue un appartement près du tribunal où il travaille. «Je n'ai plus de salaire, il va falloir faire avec ce qu'on a. Jusqu'à ce que Dieu ait pitié de nous et mette un terme à ce conflit», dit-il. Heureusement pour nous la ville d'Afrine est autosuffisante, car la région est riche en blé, en huile d'olive et en eau. Les résidents des autres zones, tentent tant bien que mal de nous envoyer de l'argent. Mais si le conflit continue, j'ai bien peur que nous ne puissions plus vivre sans être dépendants des autres. Nous aurons probablement besoin de farine, de blé et de lait pour nos enfants.»

Lancée le 20 janvier par l'armée turque et des rebelles syriens, l'opération «Rameau d'olivier» vise à chasser de la frontière syro-turque la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), Ankara n'ayant jamais accepté l'autonomie de facto acquise par la communauté kurde à la faveur du conflit qui ravage la Syrie depuis 2011. La Turquie craint de voir sa propre communauté kurde développer des aspirations similaires et accuse les YPG d'être liés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

La résistance s'organise

À Afrine, la résistance s'organise sur tous les plans, militaire comme humanitaire. Des vidéos montrent de jeunes hommes et femmes volontaires, armes à la main, déterminés à défendre leur ville. «Jusqu'à présent, l'armée turque et ses alliés, des djihadistes syriens, ne sont pas parvenus à avancer dans Afrine. Ils font face à une grande résistance de la part des militants kurdes sur toutes les lignes de front», martèle Mohammed Bello. Samedi sept soldats turcs ont été tués. Au total, entre le 20 janvier et le 1er fevrier, 110 combattants kurdes et 120 rebelles pro-Ankara, ont péri selon l'OSDH. Septante civils dont 20 enfants sont morts dans les bombardements turcs sur Afrine.

«Le gouvernement turc, ce gouvernement sauvage et barbare, n'a même pas pu s'emparer d'un mètre carré du territoire syrien de la zone d'Afrine. Nombre de personnes ont par contre perdu la vie, dont beaucoup d'enfants. Ceux qui ont quitté leurs villages l'ont fait pour protéger leurs enfants. Mais beaucoup d'autres ont choisi de rester dans leurs maisons en guise de résistance contre une éventuelle opération turque», renchérit Angela Recho.

«Si le danger augmente, il est probable que j'envoie mes enfants à Alep. Mais je ne quitterai pas Afrine. Je resterai ici et je mourrai ici», promet Mohammed Bello. Les résidents en appellent à la communauté internationale. «Nous en appelons aux ONG locales et internationales. Nous les invitons à venir voir de leurs propres yeux ce que les massacres ont causé comme pertes», lance Angela Recho.

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«Cette attaque turque sauve Daech!»

L'offensive turque en Syrie contre l'enclave kurde d'Afrine serait-elle en train d'offrir un répit bienvenu au groupe État islamique (Daech, en arabe)? Mustafa Balli va plus loin encore. Dans les colonnes du New York Times , ce porte-parole des redoutables Forces démocratiques syriennes estime que «les Turcs veulent donner à Daech une chance de se reconstruire. Avant l'invasion turque, nous étions près d'en finir avec l'État islamique!»

Aujourd'hui, en effet, les combattants kurdes se portent au secours de la population d'Afrine, dans le nord de la Syrie, au lieu d'étrangler le mouvement djihadiste dans le sud de la vallée de l'Euphrate.

Voilà qui facilite encore la métamorphose de Daech, qui a réussi ces derniers temps à faire fuir des milliers de djihadistes hors des territoires de leur ancien «califat». Certains, d'ailleurs, se font passer clandestinement en Turquie, alimentant un trafic plutôt juteux. Pour 20'000 à 30'000 dollars, des hauts responsables du groupe État islamique traversent ainsi la frontière, parfois déguisés en femme, mais le plus souvent habillés en jeans et la barbe rasée de près, selon des témoignages recueillis par le quotidien new-yorkais.

Ils seraient ensuite mis en lien avec des cellules djihadistes clandestines. Plus inquiétant encore, c'est en Turquie que serait basé depuis un an un mystérieux «Comité d'émigration et de logistique» de Daech, qui a pour mission d'envoyer ses hommes combattre dans d'autres pays musulmans ou préparer des attentats en Europe, selon le site Mediapart.

Ce n'est là qu'un aspect de la réorganisation en cours au sein de Daech, qui fait sa transition vers la clandestinité en envoyant également ses combattants vers le sud et l'ouest de la Syrie, à travers les lignes de l'armée de Bachar el-Assad, pour aller former des cellules dormantes capables à l'avenir de fomenter des attentats coordonnés. Certaines seraient déjà installées à Damas. Et du côté irakien, à Bagdad. Bref, si la défaite du califat est proche, celle de Daech paraît encore très éloignée.

Andrés Allemand