Sur les traces du propithèque soyeux

À flanc de montagne, à quelque 800 mètres (2,626 pieds) au-dessus du niveau de la mer, deux hommes marchaient ensemble en silence hors sentier dans la forêt tropicale.

Le plus vieux avançait pieds nus pour se mouvoir plus rapidement dans l’enchevêtrement de feuilles, de racines et de plantes rampantes. Tous deux avaient des imperméables autour de la taille en prévision de la prochaine tempête violente.

Ces deux hommes, un oncle et son neveu sont des pisteurs de lémuriens professionnels, c’est ce qui les a menés dans le parc national de Marojejy à la poursuite de l’espèce la plus rare et la plus emblématique du pays : le propithèque soyeux (propithecus candidus).

Nestor, left, and his nephew Janvier track lemurs for tourists in Marojejy National Park. Photo by Dan Ashby and Lucy Taylor for Mongabay.
Nestor, sur la gauche, et son neveu, Janvier, pistent les lémuriens pour les touristes dans le parc national de Marojejy. Photo par Dan Ashby et Lucy Taylor pour Mongabay.

« Suivre les traces du propithèque soyeux est difficile, mais nous avons l’habitude de le pister et de le trouver. Lorsque vous savez où il vit, c’est facile », dit le plus jeune, Janvier.

Appelés par les locaux simpona, ces animaux se distinguent par leur fourrure longue, blanche et soyeuse. Ils vivent en petites cellules familiales, haut perchés dans les arbres, et ils sont reconnus pour la lenteur de leur reproduction, car ils ne s’accouplent qu’une journée par année.

Aujourd’hui, il resterait moins de 250 adultes, tous dans cette région du nord-est de Madagascar. Contrairement aux autres espèces de lémuriens, les propithèques soyeux ne se trouvent dans aucun zoo au monde. Il est impossible de les garder en captivité, car ils ont besoin d’une diète très riche et variée, constituée de plus de 100 sortes de feuilles, graines, fruits et fleurs, et même de terre, qui ne peuvent être trouvés que dans la forêt tropicale.

Les deux pisteurs gagnent leur vie en menant les touristes où se trouvent les lémuriens. Les visiteurs de Marojejy peuvent marcher jusqu’à deux jours pour atteindre les lieux occupés par le propithèque soyeux. À leur arrivée, ils paient les pisteurs pour pouvoir observer les animaux seulement pendant quelques minutes.

Les deux disent avoir été frappés au fil des années par la ressemblance entre le comportement des lémuriens et celui des humains. « Les propithèques soyeux ont plusieurs traits humains. C’est particulièrement apparent lorsque vient le temps de s’occuper de leurs petits. Ils en prennent soin comme nous le faisons pour les bébés », dit Nestor par l’entremise d’un interprète. « Lorsqu’on se réalise à quel point ils sont comme les humains, on a envie de les protéger. En plus, on sait que cette espèce est spéciale. Elle ne se trouve dans aucun autre parc », ajoute-t-il.

Map shows the location of Marojejy National Park in northeastern Madagascar. Map courtesy of Google Maps.
Carte qui indique l’emplacement du parc national de Marojejy dans le nord-est de Madagascar. Carte reproduite avec l’autorisation de Googles Maps.

Lorsque les pisteurs communiquent entre eux sur de longues distances, ils utilisent des cris qui ressemblent à ceux des animaux pour éviter de les apeurer.

Nestor et Janvier viennent d’un grand village au pied de la montagne, juste à l’extérieur du parc où il n’y a aucun tabou entourant la consommation de lémuriens. Les braconniers chassent même ces rares propithèques soyeux.

Par contre, Janvier dit que la population locale est en train de développer un respect pour l’animal. « Nous aimons les observer et nous avons un respect mutuel : nous respectons les lémuriens et ils nous respectent. Ils ne vivent que sur 44 hectares (109 acres) du territoire de ce parc national, nous faisons donc notre possible pour les protéger. »

Destruction de l’habitat naturel

À Sambava, Bera a mentionné un autre problème qui pourrait mettre en péril la survie des lémuriens en exacerbant les conséquences de la chasse.

À la grandeur de la Sava, les forêts sont détruites par l’exploitation forestière illégale et l’agriculture sur brûlis, c’est-à-dire que les fermiers abattent les arbres et y mettent le feu, ainsi qu’au reste de la végétation, afin de dégager de larges champs au profit de la culture du riz. Ailleurs au pays, c’est pour le charbon ou pour avoir de l’espace pour le pâturage du bétail que les forêts disparaissent.

« Même si les forêts sont importantes pour les lémuriens, elles sont encore défrichées. Les tueurs, les chasseurs, sont problématiques, mais ils ne sont pas les seuls responsables de la menace qui plane sur cette espèce », dit Bera. La combinaison des facteurs mène plusieurs espèces de lémuriens au bord de l’extinction. Ce pourrait avoir des conséquences significatives sur ce qui a été leur habitat durant les dernières 60 millions années, car ces animaux sont utiles à la diversité de la forêt en dispersant les graines de nombreuses plantes.

Les lémuriens ont aussi une valeur commerciale. L’UICN les appelle « l’élément le plus distinctif de Madagascar ». Selon le Ministère du Tourisme, plus d’un quart de million de touristes sont venus en 2016, une hausse de 20 pour cent comparativement à l’année précédente. Leur visite, la plupart du temps motivée par la perspective d’apercevoir des lémuriens, a permis de générer 702 millions de dollars. Le pays, 10e plus pauvre au monde, a besoin de cet argent.

Un guide touristique, qui désire garder l’anonymat, a fourni à Mongabay une photographie d’un lémurien abattu qu’il a trouvé en guidant un groupe à travers la réserve spéciale de Anjanaharibe-Sud, aussi dans le nord-est de Madagascar.

Il raconte que le groupe a entendu des coups de feu qui semblaient être à 500 mètres (1,640 pieds) de leur camp. Ils ont trouvé l’animal blessé caché dans un sac de riz attaché à une bicyclette lors de lorsqu’ils ont été investiguer. Ils ont aussi vu un homme muni d’une carabine qui s’est sauvé lorsque le guide l’a interpellé. Le guide dit qu’il a signalé l’incident aux autorités et qu’il leur a remis l’animal blessé, mais que le chasseur ne s’est jamais fait prendre.

A lemur shot in northeastern Madagascar’s Anjanaharibe-Sud Special Reserve. A forest guide delivered the injured animal to the authorities after the hunter ran off. Photo by Anonymous.
Un lémurien abattu dans la réserve spéciale de Anjanaharibe-Sud de Magadascar du Nord-est. Un guide touristique a remis l’animal aux autorités après que le chasseur se soit enfui. Source anonyme.

Des groupes internationaux et régionaux de conservation ont tenté d’aider la population locale à protéger les lémuriens. Ils misent particulièrement sur l’éducation et la sensibilisation. Par exemple, la Lemur Conservation Foundation amène des élèves dans le parc national Marojejy pour leur montrer la menace qui plane sur les lémuriens et leur habitat. Ceux qui vivent aux alentours des zones protégées trouvent de nouvelles façons de gagner leur vie sans nuire aux forêts ni aux animaux sauvages. Le Duke Lemur Center aide les communautés à développer la pisciculture pour substituer les protéines de la viande de gibier et avoir une nouvelle façon de gagner de l’argent.

Les coupables ne sont pas toujours punis. Peu de braconniers se font prendre ou sont poursuivis en justice et autant les hôtels que les restaurants sont rarement pris sur le fait.

Kim Reuter, qui travaille présentement pour l’ONG Conservation International de Botsawana, et ses collègues ont publié une étude en 2016 qui décrit en détail l’exportation de la viande de gibier vers les zones urbaines. Selon l’enquête auprès de 2000 personnes dans 21 villes et villages de Madagascar, les habitants des villes consomment deux fois plus de viande sauvage que ceux des milieux ruraux et ils sont prêts à payer plus cher pour l’obtenir. La viande est transportée sur des distances allant jusqu’à 166 kilomètres (103 miles) et « est souvent vendue dans des échoppes de marché et des restaurants connus ». Ils n’ont toutefois pas de preuve que ce commerce impliquait les lémuriens. Ils n’ont pu trouver aucun restaurant qui vendait de la viande de lémurien à ce moment, la plupart des signalements « remontaient à plus de cinq ans ». Ils en ont conclu que la menace actuelle provient du commerce informel.

A lemur of uncertain species, possibly a white-fronted lemur (Eulemur albifrons). Photo by Dan Ashby and Lucy Taylor for Mongabay.
Un lémurien de race indéterminée, probablement un lémurien à front blanc (Eulemur albifrons). Photo par Dan Ashby et Lucy Taylor pour Mongabay.

Le Duke Lemur Center avertie qu’il y a déjà le tiers des espèces de lémuriens qui ont disparu depuis que les Hommes se sont installés à Madagascar il y de cela environ 2000 ans. Andrianandrasana demeure optimiste pour le futur des lémuriens malgré tout : « De plus en plus de gens sont conscients de l’importance des lémuriens à Madagascar et plusieurs organismes travaillent pour les protéger. Je suis donc sûr qu’ils peuvent survivre pour plus d’un siècle si nous aidons les communautés locales ».

Dan Ashby et Lucy Taylor sont des correspondants de l’Afrique de l’Est pour le diffuseur Feature Story News en Tanzanie. Leurs recherches sur le trafic d’animaux sauvages, sur le commerce de l’ivoire, le braconnage et la pêche par explosif ont été publiées par plusieurs chaînes télévisuelles internationales, en plus d’avoir été nominées pour des distinctions par la Royal Television Society et le One World Media. Suivez-les sur Twitter : @danielashby et @lucytaylor.

Photo de la bannière : un bébé propithèque à diadème (propithecus candidus) dans le parc national de Marojejy. Photo par Dan Ashby et Lucy Taylor pour Mongabay.

Citations

Reuter KE, Randell H, Wills AR, Janvier TE, Belalahy TR, Sewall BJ (2016). Capture, Movement, Trade, and Consumption of Mammals in Madagascar. PLoS ONE 11(2): e0150305. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0150305

A bamboo lemur (Hapalemur griseus). Photo by Dan Ashby and Lucy Taylor for Mongabay.
Un hapalémur gris (Hapalemur griseus). Photo par Dan Ashby et Lucy Taylor pour Mongabay.
Article published by Maria Salazar
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