Les roues des vieilles valises et des poussettes rouillées crissent sur l’asphalte du pont Simon-Bolivar, qui sépare la ville colombienne de Cucuta du Venezuela. « Je quitte mon pays parce que j’ai deux enfants à nourrir et parce que je n’ai plus d’espoir », dit Juan Carlos Rodriguez, 37 ans, en tirant un énorme bagage. Il explique : « J’ai pris ma décision le 15 janvier en recevant mon salaire de la quinzaine : je n’avais pas de quoi acheter un kilo de farine de maïs. » Technicien radio, Juan Carlos est convaincu que le président vénézuélien Nicolas Maduro va remporter l’élection du 22 avril. « Mes enfants méritent un meilleur avenir », soupire-t-il.
Sous une bâche de plastique au milieu du pont, un fonctionnaire colombien examine, vendredi 9 février, les documents que présentent les candidats au passage. Ils sont plusieurs milliers. Une femme avec un bébé dans les bras est refoulée, faute de pouvoir présenter son acte de naissance. « Qu’est-ce qui leur prend, s’étonne une vieille femme. Avant, on pouvait passer tranquillement. » En aparté, un policier justifie : « Les consignes ont changé. »
La veille, le président colombien, Juan Manuel Santos, a fait le voyage à Cucuta, entouré de neuf ministres. L’afflux de migrants inquiète Bogota. Le chef de l’Etat a annoncé un durcissement des contrôles migratoires et l’envoi de renforts militaires à la frontière : 2 100 soldats supplémentaires devraient y être déployés dans les prochaines semaines. « Notre objectif est de permettre une migration contrôlée et légale », a assuré M. Santos, en appelant ses compatriotes à faire preuve de solidarité envers les Vénézuéliens qui fuient un pays ravagé par la crise.
« Les Colombiens ne nous aiment pas, ils disent qu’on leur pique leur travail. C’est vrai. Mais on n’a pas le choix », explique John, 26 ans, plongeur au noir dans une pizzeria de Cucuta
Un agent des douanes colombiennes fouille sacs et valises. « Dix pots de sauce tomate ? Ce n’est pas pour ta consommation personnelle, non. Repasse de l’autre côté ou je saisis ta marchandise », dit-il. Le jeune homme aux chaussures usées remballe ses pots dans un long soupir. La majorité des Vénézuéliens qui franchissent le pont à l’aube le retraverseront dans l’autre sens à la tombée de la nuit. Les uns vont travailler pour la journée à Cucuta, une ville commerçante dynamique qui compte désormais plus d’un million d’habitants. C’est le cas de John, 26 ans, plongeur au noir dans une pizzeria.
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