Marlène Schiappa : "Pourquoi les accusateurs de Nicolas Hulot bafouent la parole des femmes"
TRIBUNE - Marlène Schiappa, la secrétaire d'Etat à l'égalité entre les femmes et les hommes, s'exprime en exclusivité dans le JDD sur les allégations visant Nicolas Hulot.
Marlène Schiappa , la secrétaire d'Etat à l'égalité entre les femmes et les hommes, a attendu quelques jours pour s'exprimer sur les accusations de harcèlement et violences sexuels qui visent Nicolas Hulot. Dans une tribune publiée par le JDD, elle explique ne pas être "contrainte au silence" ou même "privée de parole". Si elle indique son soutien à Nicolas Hulot , elle explique dans son texte "ne jamais prendre la parole sur ce qui ne relève pas de mon champ de compétences".
Plusieurs articles et émissions (BFMTV, Le Dauphiné libéré, Quotidien…) supposant que je serais "contrainte au silence" ou même "privée de parole" m'amènent à m'exprimer sur l'article portant des accusations contre Nicolas Hulot. Le Premier ministre a parlé au nom de tout le gouvernement en étant très clair : le gouvernement fait confiance à Nicolas Hulot. Qu'ajouter ? Je pourrais répéter cela. Je pourrais ajouter que c'est "un homme charmant" (c'est le cas), "respectueux" (c'est le cas), que je pense à son épouse et ses enfants (c'est le cas), qu'il porte un combat majeur pour l'avenir de la planète (c'est le cas) ; mais en quoi cela apporterait-il quoi que ce soit, dans un sens ou dans un autre?
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Contrairement à ce qui est sous-entendu, je ne m'exprime pas publiquement sur tous les sujets. D'abord, je ne prends jamais la parole sur ce qui ne relève pas de mon champ de compétences. Ensuite, vous ne m'avez, par exemple, pas entendue prononcer un seul mot sur les accusations de viol de responsables politiques socialistes. Pour une raison simple : je crois que le viol est une affaire trop grave pour être instrumentalisée politiquement. Je crois que, si l'on veut faire porter la responsabilité du viol au violeur, il convient de ne pas mettre en accusation "ses proches" mais bien le violeur lui-même. Je pense que le débat d'idées ne doit pas se situer ad hominem ; dès lors qu'une plainte est déposée, c'est à la justice de travailler.
"L'article sur Nicolas Hulot? Je le trouve irresponsable
"
Je ne suis ni avocate ni procureure : il ne m'appartient pas non plus d'instruire une par une toutes les affaires de viol. Il m'appartient, avec tous mes collègues du gouvernement, de créer les conditions de prévention, d'éducation, de judiciarisation, de condamnation, de réparation de ces violences pour toutes les femmes et les hommes qui les subissent.
Donc je m'exprime quand la parole publique est utile, quand elle sert mon action et celle du gouvernement. Quand elle permet de mettre en balance tel ou tel traitement médiatique, d'y apporter un éclairage. Quand je sens que, quelque part, une femme est obligée de se taire, je parle. Mais avant, je me demande en quoi ce que je vais dire va aider les femmes de banlieue, de village, d'outre-mer, de métropole… à s'émanciper ou se valoriser ? Car je ne suis pas non plus commentatrice de l'actualité en continu. J'ai beaucoup de respect pour les journalistes, je le fus. Mais ce n'est pas la fonction que j'occupe. Ma mission est de conduire des politiques publiques, pour mener le combat culturel de la grande cause du quinquennat avec deux armes : l'action et la parole publiques.
Ces derniers jours, j'ai été littéralement poursuivie par des journalistes. En soi, soyons sincère : j'aime quand des journalistes s'intéressent au travail que je mène, quand ils considèrent que cela peut être utile pour leurs lecteurs et leurs lectrices. Mais voilà que des caméras m'ont poursuivie dans les couloirs du Salon des entrepreneurs, puis à la sortie de l'École militaire et à l'université de Lyon. Oh, ce que j'y faisais ne les intéressait guère ! Que l'État s'engage à doubler le nombre de femmes créatrices d'entreprise via un partenariat concret avec la Caisse des dépôts et deux banques, que les réseaux féminins d'entrepreneuses se fédèrent pour incarner des rôles modèles, qu'un Medef territorial s'engage pour la première fois sur les objectifs d'égalité femmes-hommes : pas une question là-dessus. Que je me rende à la présentation du ministre de l'Intérieur présentant le fonctionnement de la verbalisation du harcèlement de rue et la création d'une plateforme numérique pour accompagner les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles : pas une question là-dessus.
"La justice se rend dans les tribunaux, pas les médias
"
Le lendemain, à Lyon, pas une question sur le contenu de l'événement du Tour de France de l'égalité organisé à l'université pour résoudre la crise de l'orientation des jeunes filles dans les filières de nouvelles technologies – enjeu majeur du XXIe siècle – ni sur la rencontre politique avec 250 Marcheurs lyonnais. Une seule sempiternelle question : que pensez-vous de l'article sur Nicolas Hulot? Alors, voilà ce que j'en pense : je le trouve irresponsable, cet article. Quand j'entends sur un plateau de télévision l'une de ses auteurs dire solennellement qu'elle appelle les femmes victimes de viol, "par lui ou un autre", à contacter la presse, je trouve cela abject. Parler d'une agression sexuelle pour la première fois doit pouvoir se faire dans un cadre sécurisé, pour le bien de la victime, auprès de personnes formées ou empathiques qui n'ont aucun intérêt personnel à l'orienter vers tel ou tel point. #BalanceTonPorc et #MeToo avaient une intention éloignée de cela. Ils permettaient :
- aux femmes de témoigner simultanément à des milliers d'autres femmes dans un élan de solidarité mondiale
- de maîtriser ce qui serait écrit puisque sans intermédiaire entre l'émetteur et le récepteur du message
- de conserver leur anonymat ou de retirer leur publication si elles le souhaitaient
De surcroît, comme je l'ai toujours dit, la justice se rend dans les tribunaux, pas les médias. Si certains avocats plaident sur les chaînes d'information en continu, il ne faut pas qu'ils s'étonnent qu'un jury populaire se forme dans la foule. Nous ne voulons pas de cela dans notre État de droit. Ce que cherche le gouvernement, c'est à faire condamner les 9 violeurs sur 10 qui actuellement ne le sont pas (chiffres officiels). C'est à générer le "ressaisissement citoyen" évoqué par le président de la République, qui amènerait les témoins à ne plus tolérer les violences sexistes et sexuelles. Cela passe par des appels au 3919, des plaintes dans les commissariats, des signalements auprès des institutions… Notre but n'est pas de transformer chaque citoyen en contributeur du Nouveau Détective.
"Inciter les femmes à renoncer à la justice pour se tourner vers son journal?
"
J'ai été profondément choquée par une phrase de la même journaliste indiquant qu'aucune preuve ne pouvait exister pour caractériser une agression sexuelle. Comment peut-on dire cela? Dans quel but? Inciter les femmes à renoncer à la justice pour se tourner vers son journal? Des preuves peuvent exister! Et quand il n'y a pas de preuves, charge à l'instruction d'établir des faisceaux d'indices concordants, de témoignages. C'est l'un des buts d'une plainte, d'un procès.
Cet appel est irresponsable pour les hommes accusés, peut-être innocents mais condamnés a priori par des articles, et pire, c'est irresponsable pour les réelles victimes de viol. Supporter la médiatisation à l'extrême, le déballage de leur vie intime dans les journaux, leur nom en couverture sans y être préparées, associé à des récits de leurs pratiques sexuelles réelles ou supposées : qui nous garantit que ce sera sans effet sur elles? Que certaines aient besoin d'une enquête journalistique, je le comprends, quand c'est leur souhait et qu'elles connaissent suffisamment les rouages pour pouvoir gérer cette pression. Mais qui nous garantit qu'il n'y aura aucun débordement dans cet "appel à contributions"?
Dans l'article accusant Nicolas Hulot, on apprend que la femme présentée comme sa victime ne souhaitait pas médiatiser sa plainte (classée sans suite, à la fois pour prescription et parce que "les faits n'étaient pas établis", dixit le procureur de l'époque). Si je comprends bien, ni lui ni elle n'ont voulu la médiatisation? Comment ce journal peut-il alors prétendre œuvrer pour "la parole des femmes", puisqu'il bafoue le souhait de celle-ci de garder sa parole privée? Nous craignions toutes et tous qu'à un moment, tout cela n'aille "trop loin". Les 3 ou 4% d'accusations infondées, ou le "mauvais moment", ou la "mauvaise personne", et tout le travail patient que nous avons cousu ensemble, fil après fil, patiemment, serait arraché en quelques secondes.
"Cet article offre une occasion en or à celles et ceux qui voulaient discréditer #MeToo et reprendre le "business as usual"
"
Nous savions que tous ceux que l'on n'a pas entendus une seule fois pendant les derniers mois se jetteraient sur ce moment pour crier : "Ça suffit!", pour estimer que l'on a trop entendu "les féministes", ou "les femmes", créant, eux, une guerre des sexes que nous, nous ne voulons pas. Nous savions que certains seraient trop heureux de décréter cette page tournée, le livre refermé et rangé. Cet article, mettant sur le même plan des ragots de harcèlement sexuel (démentis même par la femme supposée harcelée!), une plainte pour viol classée et le mouvement de libération de la parole des femmes, offre une occasion en or à celles et ceux qui voulaient discréditer #MeToo et reprendre le "business as usual".
Je ne sais pas quelle cause sert L'Ebdo. Mais ce n'est ni la crédibilité de la parole des femmes ni la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Rien ne doit arrêter le mouvement de libération de l'écoute des femmes. Depuis des générations, des femmes alertent sur l'ampleur des violences qu'elles subissent. Rien ne doit permettre de dire : "Finalement, restons-en là, supportons encore quelques générations ces inégalités entre femmes et hommes". Rien. C'est cela, le sujet. Amis journalistes, si vous me tendez un micro, sachez-le : c'est sur cela que je m'exprimerai.
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