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En appel, le volet «suisse» de l'affaire Cahuzac passe au second plan

Le procés en appel de l’ancien ministre français du Budget, accusé de blanchiment de fraude fiscale, s'est ouvert ce lundi après-midi. La banque genevoise Reyl, condamnée à ses côtés en première instance, a finalement accepté sa peine

Lundi, l’ancien ministre français du Budget sera rejugé en appel pour fraude fiscale et blanchiment. — © THOMAS SAMSON
Lundi, l’ancien ministre français du Budget sera rejugé en appel pour fraude fiscale et blanchiment. — © THOMAS SAMSON

Un an et demi sépare l’ouverture, ce lundi à 13h30, du procès en appel de Jérôme Cahuzac de sa comparution en première instance, en septembre 2016. Différence marquante: le volet suisse de l’affaire de blanchiment de fraude fiscale pour laquelle comparaît à nouveau l’ancien ministre français du Budget (2012-2013) devrait être beaucoup moins évoqué lors des débats qui se poursuivront jusqu’au 21 février. L'audience initiale a d'ailleurs été courte: moins de deux heures, avant la reprise des travaux mardi après-midi.

Après l’ex-épouse du ministre, Patricia Cahuzac, qui avait immédiatement décidé de ne pas faire appel du jugement prononcé en décembre 2016, la banque genevoise Reyl et Cie et son dirigeant François Reyl se sont effet finalement désistés de leur appel. Ce volet helvétique de l’affaire est donc clos. L’établissement bancaire suisse ne sera pas représenté à cette audience, qui a de nouveau attiré une foule de journalistes au Palais de justice de Paris.

Pour la banque Reyl, une peine de près de 2 millions d’euros

Reyl et Cie avait été, en première instance, condamnée à une amende de 1 875 000 euros. François Reyl avait été, lui, condamné à 1 an de prison avec sursis et 375 000 euros d’amende. Patricia Cahuzac, jugée complice des faits d’évasion fiscale et de blanchiment reprochés à son ex-époux avait, elle, été condamnée à 2 ans de prison ferme. Bénéficiant d’une peine de substitution, elle a toutefois échappé à l’incarcération.

Lors du premier procès: Jérôme Cahuzac face à la situation «schizophrénique» de son banquier suisse

Pour l’ancien ministre socialiste du Budget, traqueur en chef des exilés fiscaux lors des débuts du quinquennat de François Hollande, la situation est radicalement différente. Condamné le 8 décembre 2016, à l’issue d’un jugement de plus de deux cents pages, à 3 ans d’emprisonnement ferme et 5 ans d’inéligibilité, Jérôme Cahuzac joue son maintien en liberté. Il est en effet désormais passible de 5 ans d’emprisonnement ferme, et pourrait être incarcéré à l’issue de ce second procès si la peine prononcée est soit identique à la précédente, soit plus lourde. Seules les peines de 2 ans de prison ferme ou moins peuvent être «aménagées» en France.

Une analyse au moment du jugement: Un jugement pour l’exemple dans le procès Cahuzac

Comme avocat, le «bretteur» Eric Dupond-Moretti

Pour jouer son va-tout, l’ex-élu – qui vit désormais reclus dans son domicile familial en Corse – a choisi un nouvel avocat haut en couleur: le «bretteur» Eric Dupond-Moretti. Celui-ci remplace l’équipe de défenseurs de la première instance, autour de Me Jean Veil. C’est à ce dernier, fils de l’ancienne ministre Simone Veil, que Jérôme Cahuzac avait confié ses aveux en avril 2013. Il avait alors admis, après des mois d’investigations journalistiques et de scandale politique, détenir depuis le début des années 90 un compte doté d’environ 600 000 euros, d’abord placé chez UBS en Suisse, puis transféré chez Reyl et Cie et enfin chez Julius Baer à Singapour.

Devant les magistrats de la Chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Paris, Jérôme Cahuzac n’aura qu’un seul autre accusé à ses côtés. Seul l’ancien gestionnaire de fortune Philippe Houman, condamné à 1 an de prison avec sursis et 375 000 euros d’amende pour avoir organisé le transfert des avoirs Cahuzac en Asie, a lui aussi fait appel. Il est dès lors probable que le circuit de l’argent en Suisse – où le secret bancaire était alors en vigueur – sera moins évoqué que lors du premier procès durant lequel les mécanismes d’évasion fiscale et de transferts des fonds d’une juridiction à l’autre par la banque Reyl & Cie avaient occupé une grande partie des débats. La joute juridique avait aussi porté sur la nature même du secret bancaire, puisque la banque Reyl arguait du fait qu’elle n’avait pas «assisté» l’évasion fiscale de Cahuzac, et que ses opérations de gestion de l’argent incriminé s’étaient déroulées en Suisse, ne constituant donc pas un délit.

Les magistrats français n’avaient toutefois pas retenu ce raisonnement, estimant qu’à partir du moment où quelques remises de fonds à Jérôme Cahuzac avaient été faites en liquide sur le territoire français, la causalité était établie et la complicité de fraude fiscale avérée. L’appel initial interjeté par Reyl et Cie et par François Reyl laissait entendre que l’une comme l’autre entendaient se battre à nouveau pour défendre leur réputation, et pour expliquer de nouveau aux juges l’absence de caractère délictueux. Mais la raison financière l’a emporté. La décision d’abandonner cet appel a permis à l’établissement, comme à son dirigeant, de clore ce très douloureux chapitre. Les époux Cahuzac ont, pour leur part, pu s’acquitter d’un redressement fiscal de 2,5 millions d’euros, dont 500 000 euros de pénalités. Cela explique qu’ils n’ont pas été condamnés à payer d’amendes en première instance.

Pari risqué

La grande question portera cette fois sur les arguments de la défense, pour expliquer les silences coupables de l’ancien ministre du Budget, qui alla jusqu’à mentir devant l’Assemblée nationale, niant avoir jamais détenu un compte à l’étranger. En septembre 2016, Jérôme Cahuzac avait affirmé, sans convaincre, que la somme d’environ 600 000 euros abritée par des comptes chez UBS, chez Reyl & Cie, puis chez Julius Baer en Suisse et à Singapour durant les années 1990-2000 – à laquelle viendront s’ajouter, ensuite, d’autres sommes non déclarées provenant de ses activités de chirurgien esthétique et de celles de sa femme, également spécialisée dans les implants capillaires – venait, à l’origine, d’une collecte de fonds auprès de laboratoires pharmaceutiques pour financer une éventuelle campagne présidentielle de Michel Rocard, décédé en juillet 2016. Une affirmation qu’il avait refusé d’étayer en donnant les noms de ses interlocuteurs rocardiens, et qu’aucun document n’a pu attester. Les questions des juges redoubleront à coup sûr à ce sujet.

Changement politique

Le changement de contexte politique pour ce second procès Cahuzac est drastique. En septembre 2016, l’intéressé avait été jugé sous le quinquennat de François Hollande, qui l’avait nommé au Ministère du budget sitôt après son élection présidentielle de mai 2012, pour traquer les fraudeurs fiscaux. Le climat, depuis, s’est renversé. Les récentes réformes fiscales du début du quinquennat Macron visent au contraire à susciter le retour au pays des hauts patrimoines partis à l’étranger. Un autre procès demeure en revanche à l’agenda judiciaire français, probablement pour 2018: celui de la banque UBS, mise en examen pour fraude fiscale et blanchiment en juillet 2014 pour avoir aidé les riches français à placer leurs avoirs en Suisse.