Fraude fiscale : un patron du fisc raconte la régularisation des comptes cachés

Dans la foulée de l’affaire Cahuzac, une cellule de régularisation avait été ouverte pour les fraudeurs repentis. Son ancien patron, Alexandre Gardette, nous livre des confidences - rares - sur la manière dont a travaillé ce service du fisc fermé le 31 décembre dernier.

 Alexandre Gardette, patron de la direction nationale des vérifications de situations fiscales  (DNVSF), ici dans son bureau rue Ampère à Paris
Alexandre Gardette, patron de la direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF), ici dans son bureau rue Ampère à Paris LP/Aurélie Ladet

    C'est un homme discret qui ne prend pas souvent la parole. Oeil malicieux, voix posée, il reçoit dans son vaste bureau de Bercy. Ex-grand chef du Fisc français, Alexandre Gardette est aujourd'hui le patron de la Direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF), chargée « du contrôle des particuliers à fort enjeu », détaille-t-il. En clair : « les personnes connues, les patrons du CAC 40 », et d'une façon générale tous les contribuables dont « le revenu annuel dépasse 1 million d'euros et le patrimoine 7 millions d'euros ». Mais Alexandre Gardette avait surtout en charge le fameux guichet de régularisation des comptes cachés à l'étranger mis en place après l'affaire Cahuzac. Celui-ci permettait aux fraudeurs de s'auto-dénoncer et de régulariser leur situation fiscale. En échange, ils bénéficiaient de pénalités réduites et, surtout, évitaient les poursuites pénales. Alors que le guichet a fermé ses portes le 31 décembre, son patron a accepté d'en dresser le bilan. En livrant quelques anecdotes croustillantes au passage.

    La ruée des repentis en décembre. Le 15 septembre dernier, Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des comptes publics, annonce la fermeture fin 2017 du Service de traitement des déclarations rectificatives (STDR). Entre ces deux dates, à l'automne, les agents du fisc ont enregistré 3 345 dépots de dossiers, dont 2 063 nouveaux cas. Soit 48 % de l'ensemble des dossiers déposés en 2017! La plupart du temps, les avocats fiscalistes ont joué les intermédiaires, mais « quelques repentis sont venus en personnes déposer leur dossier », confie Alexandre Gardette. Parmi eux, « beaucoup de fraudeurs qui hésitaient depuis des années » et ont pris conscience que c'était maintenant… ou jamais.

    Jolie rallonge pour le budget de l'Etat. Il reste environ un an de travail aux 172 agents du STDR et sa dizaine d'antennes en région pour boucler les 13 000 dossiers en stock. Les avoirs restant à régulariser représentent 5,4 milliards d'euros. Soit, pour les caisses de l'Etat, environ un milliard d'euros de recettes supplémentaires - et inattendues - en 2018.

    Jackpot à 140 millions d'euros. Tous les comptes cachés ne se valent pas. La dernière fournée de l'automne 2017 comprenait quelques pépites, notamment « un dossier avec 140 millions d'euros d'avoirs dissimulés ». Une belle prise, alors que le montant moyen tourne plutôt autour d'un million d'euros.

    Le profil type du fraudeur. Le régularisé a en moyenne 72 ans. Il est originaire de la région parisienne une fois sur trois (36 % des cas). Et « le fraudeur est dit passif trois fois sur quatre », détaille l'administration - c'est-à-dire qu'il n'a pas lui-même dissimulé son compte à l'étranger et qu'il ne l'a pas non plus alimenté. Dans ce cas, le fisc lui applique un régime de sanction moins sévère qu'en cas de fraude « active ». Dans l'écrasante majorité des dossiers, à savoir 9 fois sur dix, les avoirs étaient localisés en Suisse. En moyenne, sa régularisation coûte au fraudeur la coquette somme de… 214 000 euros.

    Des familles déchirées… « Nous avons reçu des repentis issus de fratries où, après un héritage, tout le monde n'était pas d'accord pour régulariser », confie Alexandre Gardette. Pour les frères et soeurs qui, alors, avaient préféré garder le secret, le réveil peut s'avérer brutal. « Nous les avons contactés pour leur dire : Au fait, vous n'avez rien à nous dire ? », glisse le chef des impôts.

    Le fisc en a vu de toutes les couleurs. Certains gros fraudeurs qui ont dévoilé leurs combines et leurs montages ont fait écarquiller de grands yeux aux agents du guichet de régularisation. Que d'inventivité ! La révélation de ces montages a permis au Fisc d'engranger une meilleure connaissance de certains mécanismes sophistiqués d'évasion fiscale. Comme une carte au trésor indiquant d'autres avoirs toujours dissimulés….

    Des retardataires toquent encore à la porte ! « Presque tous les jours, nous recevons des appels d'avocats fiscalistes pour le compte de leur client », souligne Alexandre Gardette. Le guichet de régularisation n'existe plus, « mais vous avez toujours le droit de déposer une déclaration rectificative », insiste le haut fonctionnaire. A quelques changements près, qui ont leur importance. Dorénavant, le fisc n'accorde plus « de remises » et applique « un nouveau régime de sanction avec une majoration de l'impôt de 80 % ». Par ailleurs, alors que la prescription fiscale est fixée à trois ans du temps du STDR, le fisc peut effectuer des redressements « jusqu'à dix ans en arrière en matière de comptes cachés ». Enfin, alors qu'ils échappaient jusqu'alors mécaniquement à l'éventualité de la prison, les repentis n'ont désormais « aucune garantie sur les poursuites pénales ».

    L'enjeu de la frustration à venir des super-enquêteurs des impôts. « Tous les agents du STDR retrouveront un poste, s'ils le souhaitent, dans les services de contrôle classique ». Mais certains ont d'ores et déjà fait part de leur crainte de s'ennuyer ! Dur-dur, en effet, de retrouver la routine de la vérification fiscale après l'excitation de la traque des milliards cachés dans les paradis fiscaux. Certains agents, forts de leur expertise, pourraient rejoindre la police fiscale que Bercy prévoit de créer.