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#MosqueMeToo : itinéraire du hashtag qui dénonce des agressions sexuelles au pèlerinage de La Mecque
Les témoignages évoquent notamment du harcèlement et des agressions sexuelles pendant la circumambulation autour de la Kabaa, à La Mecque.
AMR NABIL/AP/SIPA

#MosqueMeToo : itinéraire du hashtag qui dénonce des agressions sexuelles au pèlerinage de La Mecque

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Sur Twitter, des femmes musulmanes font part avec #MosqueMeToo ("mosquée moi aussi") des violences sexuelles qu'elles ont pu subir lors de leur pèlerinage à La Mecque. On a retracé le parcours de ce hashtag encore embryonnaire calqué sur #MeToo.

Est-ce un effet de loupe médiatique ou bien l'amorce d'une libération de la parole des musulmanes ? Il y a une semaine, le 6 février, le mouvement #MeToo accouchait d'un nouveau loupiot : #MosqueMeToo, un mot-clé destiné aux femmes de confession musulmane, et qui leur propose de "briser le tabou" des violences sexuelles qu'elles peuvent subir dans des lieux de culte.

Parus pour l'essentiel sur Twitter, ces récits, pour certains édifiants, relatent des agressions sexuelles survenues lors du hajj, le pèlerinage à La Mecque, en Arabie saoudite, où affluent chaque année près de 2 millions de fidèles, dont une moitié de femmes. Des actes qui paraissent d'autant plus crapuleux qu'ils sont exécutés dans des lieux saints - mosquées, site de pèlerinage - supposés être des sanctuaires où les pulsions sexuelles n'ont pas cours. Les jours suivants, ces récits ont été abondamment repris par la presse de tous les continents, de la BBC à La Voix du Nord. Certains y voient un "cri de ralliement" (comme France24), d'autres y déplorent des "réalités très dérangeantes" (comme la BBC).

Où ce mouvement trouve-t-il sa source ? C'est un long témoignage publié le 2 février sur Facebook par une jeune Pakistanaise, Sabica Khan, qui a allumé ce feu. Dans son post, repartagé 2.000 fois mais inaccessible depuis, elle dit s'être fait pincer les fesses "d'une façon très agressive" lors de son hajj. "Je me suis sentie terriblement violée, incapable de parler. Je savais que cela ne me servirait à rien d'en parler, parce que personne ne me croirait, sauf peut-être ma mère", écrit-elle. Nous pouvons en reproduire une seule partie retrouvée grâce au cache de Google, voici une capture d'écran :

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En-dessous, les commentaires - évaporés en même temps que le post originel - relataient des vécus directs ou indirects : une femme disait s'être fait "toucher les fesses", une autre avait "eu une expérience similaire" que Sabica Khan, etc. Les conditions d'accès à son profil Facebook ont depuis été restreintes, il n'est plus visible de tous. L'accès au message a par le même biais été rendu impossible.

"On prétend que je calomnie l’islam"

La journaliste égypto-américaine, Mona Eltahawy, a rebondi sur ce témoignage dans un tweet daté du 5 février. La femme, dont le compte affiche 286.000 followers, y écrit qu'elle fut la première à évoquer publiquement les violences sexuelles qu'elle dit avoir subies durant son hajj en 1982, alors qu'elle était âgée de 15 ans. Elle l'évoque dans un de ses livres, Voiles et Hymens: Pourquoi le Moyen-Orient a besoin d'une révolution sexuelle, paru en 2015 :

"Cela m'a pris des années pour parler des attouchements que j'ai subis pendant le hajj. J’ai gardé le silence non seulement à cause de la honte, mais aussi pour que les musulmans n’aient pas une mauvaise image. Et même aujourd’hui, quand je dis que j'ai subi des attouchements pendant le hajj, je suis accusée d’inventer, ou on prétend que je calomnie l’Islam."

C'est dans un appel lancé le lendemain, le 6 février, qu'elle invente le mot-clé #MosqueMeToo pour "aider les femmes musulmanes à rompre le silence et le tabou".

"Je n'ai jamais été autant harcelée que dans la ville sainte"

Quelques femmes lui ont alors emboîté le pas. Dans ce gigantesque magma de tweets - plus de 7.000 selon le dernier comptage - il est toutefois difficile de trouver des témoignages de première main. Nous n'avons pu en identifier avec certitude que quelques uns. Comme celui de cette Indonésienne, Farissa Nibala, qui indique par exemple dans un tweet daté du 6 février qu'elle n'a "jamais été autant harcelée que dans la ville sainte [La Mecque]".

Anggi Angguni une écossaise, conserve elle aussi d'"horribles souvenirs" de La Mecque. "Les gens pensent que La Mecque est l'endroit le plus sacré pour les musulmans, donc personne n'y ferait rien de mal. C'est entièrement faux", écrit-elle, avant de préciser ce qui lui est arrivé dans la ville saoudienne : "Un jour quelqu'un a touché mes seins et les a pressés. J'étais choquée. Le type derrière moi a soudain fait semblant de ne rien avoir fait et est parti. J'étais choquée, et ce que j'ai fait, c'est que j'ai juste pleuré en silence". Là, un Jordanien raconte avoir vu sa femme se faire peloter.

Des messages supprimés ou anonymes

Beaucoup de tweets d'abord repris ont été vite ôtés. Mariha Syed, une étudiante en médecine originaire de l'Arizona, disait initialement qu'il était "difficile de penser à la omra [le pèlerinage] maintenant, quelque chose qui aurait dû être l'un des meilleurs souvenirs de ma vie et qui aurait dû me rapprocher de Dieu a gâché ma vie", avant d'effacer son message. Une jeune Indonésienne racontait dans un autre message, lui aussi effacé, avoir "été harcelée [sexuellement] à La Mecque et à Médine pendant le pèlerinage alors que j'avais 20 ans. C'était dégoûtant et ça m'a perturbée. Je l'ai dit immédiatement à mes parents, mais je n'ai pu donner les détails que l'année dernière".

Par ailleurs, certains textes proviennent de comptes anonymes avec peu d'activité. Comme celui de cette jeune Iranienne créé en 2013 et avec 8 tweets au compteur : "J'ai été agressée sexuellement à 21 ans alors que je faisais le Tawaf [la circumambulation autour de la Kaaba], juste là, dans l'endroit le plus sacré. Que cela se soit déroulé là où c'est supposé être le lieu le plus saint et le plus sûr des sanctuaires, m'a tellement brisée que je ne m'en suis jamais remise". Le 9 février, un compte anonyme narre à son tour une promiscuité gênante. "J'avais 10 ans et je croyais que ma soeur m'attrapait les hanches afin de ne pas me perdre dans la foule immense après la prière du vendredi", avant de s'apercevoir qu'il s'agissait des mains d'un homme. "Il n'a pas bougé avant que ma soeur ne lui donne des coups de coude", poursuit la femme.

Pression sociale

S'il est encore loin d'être massif, ce mouvement renseigne aussi par les réactions qu'il suscite. Une abondance de tweets dénonce ainsi ce mot-clé, prétexte à leurs yeux pour "salir l'islam", et uniquement cela.

Si la mayonnaise #MosqueMeToo ne prend pas, cela ne signifie en rien que les lieux saints musulmans sont exempts de ces comportements. Mais, à en croire l'éditorialiste du Guardian Aisha Sarwari, c'est peut-être plutôt parce que l'injonction sociale à se taire est autrement plus grande quand cela est rattaché à la religion : "Les femmes musulmanes comme les autres femmes souffrent d'harcèlement, mais quand cela arrive dans un contexte religieux, on leur demande de se taire au nom d'une cause plus grande. C'est à la fois injuste et oppressant", écrit-elle sur Twitter.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne